Pour beaucoup de Français d'aujourd'hui l'Indochine évoque essentiellement une guerre où nos soldats auraient cherché à maintenir par la force l'exploitation coloniale d'un pays dont la France aurait accaparé les richesses depuis près d'un siècle.
Ce sentiment de culpabilité collective, que les médias véhiculent trop souvent à ce sujet, correspond-il à une réalité historique ?
C'est à cette question que nous voudrions apporter une r\éponse en montrant les origines de la présence française en Indochine et surtout l'oeuvre accomplie dans ces pays au bénéfice souvent du petit peuple auquel la "paix française" a permis de jouer un rôle grandissant dans la naissance d'une nation moderne.
Le "rideau de bambou" est tombé sur l'ex-Indochine française, mais les nombreux réfugiés des "boat-people" et des camps thaïlandais montrent à l'évidence que les occidentaux n'étaient pas les oppresseurs que la propagande du Vîet-minh a hypocritement dénoncés.
Le Nam Viet fût fondé au 2ème siècle avant Jésus-Christ. Au XVème avec l'Apogée de Thanh Tong, le Viet-Nam a des premiers contacts avec des commerçants européens (Hollandais et Portugais).
Le terme "INDOCHINE" a été choisi au début du l9ème siècle pour désigner la vaste péninsule bordée par l'océan indien et l'océan pacifique, et comprise entre l'Inde et la Chine. Cette appellation, due au géographe danois Konrad Malte-Brun, fut reprise en 1888 par la France pour désigner l'ensemble des territoires de cette région passés sous son protectorat.
Cette Indochine Française représentait environ 750 000 km2, soit près d'une fois et demie la France, et s'étendait sur 1 800 km entre le tropique nord et l'équateur.
Le relief de cette région est marqué par la Chaîne annamitique qui se rétrécit vers le sud et donne à la péninsule sa forme arquée et ses cotes découpées. Cette masse montagneuse domine les bassins et les deltas des deux grands fleuves : au nord, le Fleuve Rouge ; au sud, l'énorme Mékong.
Située toute entière dans la zone tropicale et encadrée de mers chaudes, l'Indochine a un climat très humide grâce à la mousson d'été mais aussi par les pluies abondantes que la mer de Chine provoque 1'hiver sur le Tonkin et l'Annam.
Ce climat est favorable à la forêt et à la culture du riz et des fruits tropicaux mais il est souvent insalubre et épuisant, en particulier pour les Européens.
A l'arrivée des Français, l'Indochine avait déjà une longue histoire faite des mouvements permanents de races de civilisations qui avaient à tour de rôle imposé leur supériorité ou leur domination par la force.
Ainsi, la Chine, l'Annam, le Siam, le Cambodge, la Cochinchine ont tour à tour et plus ou moins longtemps, dominé la péninsule sans que, pour autant, disparaissent de nombreuses minorités ethniques réfugiées dans les montagnes : MOI, KHA, PNONG, MEO, MUONG, etc...
Toutefois, l'un de ces peuples, enraciné dans le delta du Tonkin, devait prendre une particulière importance grâce à ses qualités de courage, de discipline et de ténacité ; englobés dans l'empire chinois pendant dix siècles (111 av. JC à 939 ap. JC), ceux que l'on appellera les Annamites puis les Vietnamiens, garderont longtemps les structures sociales et administratives chinoises : culte des ancêtres, hiérarchie familiale, mandarinat. Libéré de l'emprise chinoise le Vietnam cherche vers le sud l'espace vital nécessaire en affaiblissant peu à peu le vaste empire CHAMPA d'influence indienne.
Cependant, le Vietnam voit se succéder crises dynastiques et guerres civiles ; ainsi, la dynastie des "LE"(1428-1793) porta le royaume jusqu'au cap Varella (nord de Nhatrang) mais en fait son autorité était fictive depuis le 17ème siècle car le pouvoir était exercé par deux familles : au nord, les "TRINH" (capitale Hanoi) au sud, les "NGUYEN" (capitale Hué).
Les NGUYEN continuèrent l'expansion vers le sud, s'emparèrent de Saigon à la fin du 17ème siècle et mirent la main sur la Cochinchine centrale au 18ème siècle.
L'un d'eux l'empereur GIA LONG, parvint à refaire l'unité du VIETNAM en 1802, mais trouva opportun de se faire reconnaître par l'empereur de Chine devenu ainsi une sorte de protecteur du nouvel État.
Si l'influence hindouiste, qui s'était étendue jusqu'à Tourane dès le début de l'ère chrétienne dans le cadre de l'empire CHAMPA, se trouvait rejetée jusqu'à la Cochinchine, il restait, entre le Vietnam et le Siam, le royaume du Cambodge. Ce dernier était le vestige du puissant empire Khmer fondé au 9ème siècle autour du bas Mékong et du TONLE-SAP par le groupe ethnique des KAMBUJAS (origine du terme KAMPUCHEA désignant le Cambodge aujourd'hui).
En effet, englobé dans le royaume Fou-Nan, satellite culturel de l'Inde, le Cambodge se révolta dès le 7ème siècle et organisa en 802 une nouvelle constellation politique, l'empire KHMER, grâce à un contemporain de Charlemagne, JAYAVARMAN II ; c'est lui qui donna à L'empire ses assises politico-religieuses en relançant l'hindouisme et en fonda la capitale ANGHOR où régnait le dieu-roi en communion avec Civa ; ce fut l'origine des prodigieuses constructions que le protectorat français permit de sauver. Mais l'influence nouvelle du bouddhisme Cinghalais au 13ème siècle allait altérer la croyance dans le dieu-roi, saper l'autorité de l'aristocratie et dévaluer le sens de la lutte et de l'effort. Aussi, lorsque le peuple des Siamois se révolta et s'organisa, l'empire Khmer déclina et sa capitale fut transférée à PNOMPENH au 15ème siècle tandis que ANGHOR était abandonné à la forêt.
Pris entre le Vietnam qui s'emparait du delta du Mékong et le Siam qui visait le Tonlé-Sap, le Cambodge dut accepter la co-suzeraineté des deux États en 1846, ce qui annonçait son partage définitif.
Le roi NORODOM sut profiter de l'arrivée des Français en Cochinchine pour sauver son royaume et sa culture en se plaçant sous notre protectorat en 1863.
C'est aussi l'arrivée des Français au 19ème siècle qui devait sauver le LAOS des ambitions territoriales de ses voisins vietnamiens et siamois. A l'origine, Laotiens et Siamois appartenaient au même groupe ethnique THAI implanté dans les montagnes du YUNNAN au sud de la Chine ; les invasions mongoles du 13ème siècle poussèrent les THAIS vers le sud, les Siamois suivant la vallée du Menam et les Thaï-Lao (ou Laotiens) celle du Mékong où l'empire Khmer les accueillit avant de sombrer dans la décadence.
Les Laotiens s'organisèrent alors en quatre principautés avant d'être unifiés au 14ème siècle par le prince FA NGUM de Luang-Prabang dans le royaume du Lang-Xang (royaume du "million d'éléphants"). Après des troubles intérieurs au 15ème siècle, le royaume fut reconstitué sur les deux rives du Mékong avec VIENTIANE comme capitale. Prospère durant Les 16ème et 17ème siècles, le royaume se divisa au 18ème siècle et devint une proie tentante pour le Siam.
C'est alors qu'arriva, par le Mékong, la fameuse expédition de Doudart de Lagrée et Francis Garnier qui fut bien accueillie par les populations. Bientôt, la France se faisait représenter sur place par le remarquable Auguste PAVIE qui sut rassembler les Laotiens et organiser leur résistance face aux "pavillons noirs" Vietnamiens et Chinois, ainsi que face aux prétentions siamoises. Finalement, en 1893, le traité de Bangkok libérait la rive gauche du Mékong, et le Laos retrouvait son entité sous notre protectorat.
Sur la voie tracée par les grands navigateurs comme Vasco de Gama et Magellan, Portugais et Espagnols s'installent en Asie dès le 16ème siècle et cherchent à commercer avec l'Annam et la Cochinchine ; mais la duplicité des mandarins et les guerres continuelles pour le pouvoir rendent impossibles des relations durables et l'implantation de comptoirs commerciaux.
Ce sont finalement des motivations religieuses qui vont permettre l'installation d'Européens en Indochine. En effet, les missionnaires jésuites s'intéressent à l'Inde et à l'Extrême-Orient, jusqu'au Japon où St François Xavier fait pénétrer le christianisme. Malheureusement, en 1613, le Japon se ferme brutalement aux Européens et les missionnaires vont reporter leurs activités vers l'Indochine.
Ainsi, en 1624, l'arrivée en Cochinchine du père Alexandre de Rhodes, né à Avignon en 1591, marque l'origine de l'influence française dans cette région. Missionnaire infatigable, il alla ensuite christianiser le Tonkin, d'où son trop grand succès le fit chasser, se rendit à Macao et revint à Rome en 1649 pour fonder les "MISSIONS ETRANGERES". Il eut également le grand mérite de mettre au point le QUOCNGU, écriture nouvelle du vietnamien utilisant les caractères latins et remplaçant les Idéogrammes chinois. Cette écriture simplificatrice devait être reprise par les lettrés vietnamiens dont les efforts assurèrent l'utilisation du "quôc-ngu" comme écriture nationale.
Le père Alexandre de Rhodes
Pour intensifier la christianisation, le Pape décida de nommer trois évêques pour le Siam, la Cochinchine et le Tonkin, dont le Tourangeau François Pallu, chanoine de St Martin-de-Tours. Celui-ci partit en 1661 porteur d'une lettre de Louis XIV pour les souverains de cette région. Outre ses activités religieuses, Mgr Pa11u s'efforça de développer les relations commerciales de la France en Indochine. Son oeuvre fut poursuivie par ses successeurs malgré les difficultés - voire les persécutions - provoquées par les mandarins que 1'influence des missionnaires gênait dans leurs malversations- Ainsi le commerce se réduisit-il avec les Européens et la compagnie française des Indes Occidentales ne put s'implanter malgré La tentative de l'intrigant Pierre Poivre, soutenue depuis l'Inde par DUPLEIX (1749).
Monseigneur Pallu
Cependant les conditions pour une implantation solide et durable de la France au Vietnam semblèrent se réaliser à la fin du 18ème siècle. D'abord parce que la perte de nos possessions indiennes en 1763 poussa à rechercher une compensation vers des territoires encore disponibles, ensuite, et surtout, parce que Monseigneur PIGNEAU de BEDAINE joua un rôle capital auprès de l'empereur GIA-LONG. En effet, lorsque le missionnaire Pigneau de Béhaine arriva en Cochinchine en 1767, cette province était à feu et à sang du fait de la terrible révolte des Tay-Son qui avait chassé du Tonkin la dynastie des Trinh et de l'Annam la dynastie des Nguyen, tuant le roi et pourchassant son héritier NGUYEN ANH (le futur Gia-Long). Nommé à 28 ans évêque de Cochinchine avec le titre d évêque d'ADRAN, Pigneau de Béhaine sauva NGUYEN ANH en 1776 et décida le prince à demander l'aide de Louis XVI.
L'évêque, accompagné du fils de NGUYEN ANH, s'embarqua alors pour la France et obtint du roi un traité d'alliance qui assurait l'encadrement et l'équipement de l'armée annamite à partir de nos territoires de l'Inde. Louis XV ayant laissé l'Hindoustan aux Anglais, Louis XVI désirait trouver une compensation sur les côtes d'Annam. Ce traité fut signé le 28 novembre 1787. La France aida NGUYEN ANH (Gia-Long) dans la reconquète de ses provinces perdues, jusqu'en 1802. L'aide permit également la réorganisation de son armée ... La reconnaissance de l'Annam dura le temps du roi Gia Long c'est à dire jusqu'en 1820. De 1815 à 1821, le "Gouvernement des Bordelais" imposa la suprématie du commerçant. La Marine, cherchant à retrouver les fastes de la Royale, s'allie avec les grands négociants.
L'aide de la France cessa à la suite de la mauvaise volonté du gouverneur de Pondichéry. Pigneau de Béhaine prit alors lui-même l'affaire en main, recruta des volontaires, acheta des armes et arma deux navires pour réorganiser l'armée de NGUYEN ANH. Cette aide technique et militaire allait permettre en 10 ans de vaincre définitivement les Tay-Son (1792-1802), de s'emparer de Hué puis d'Hanoi. NGUYEN ANH put ainsi se faire proclamer empereur sous le nom de GIA-LONG et unifier l'ensemble sous l'appellation de VIETNAM. Gia-Long fut toute sa vie reconnaissant à Mgr d'Adran auquel il fit des funérailles grandioses. Il assura également la protection des chrétiens et nomma même des mandarins parmi les officiers français qui avaient contribué à sa victoire.
A la mort de Gia-Long en 1820, il ne restait que deux de ces mandarins français : Chaigneau et Vannier que le fils de Gia-Long, Minh-Mang, écarta peu à peu de son gouvernement puis incita à regagner la France. Alors Minh-Mang se montra de plus en plus hostile aux Occidentaux et commença les persécutions contre les missionnaires car il voulait répandre la pure doctrine chinoise de Confucius.
Après sa mort en 1841, ses successeurs, Thieu-Tri et surtout Tu-Duc, aggravèrent les persécutions, provoquant ainsi des interventions navales françaises de plus en plus fréquentes et puissantes : en 1843, l'amiral Cécille, chef de la division navale des mers de Chine, envoya un navire à Tourane exiger, au nom de Louis-Philippe, la libération de cinq missionnaires condamnés à mort.
Deux ans plus tard, la menace de bombarder Tourane permit de sauver Mgr Lefèvre, mais Thieu-Tri se vengea sur les chrétiens indigènes.
Aussi, en 1847, l'amiral Rigault de Genouilly tenta-t-il de les protéger en envoyant deux navires à Tourane pour obtenir un édit de liberté du culte catholique. En réponse, la flotte vietnamienne attaqua nos navires qui la coulèrent mais durent repartir sans résultat probant.
Monseigneur Pigneau de Béhaine
Prince Canh
En 1852, l'évêque espagnol du Tonkin, Mgr Diaz, ayant été mis à mort, la France et l'Espagne décidèrent d'intervenir et Mr de Montigny, consul de France au Siam, tenta de reprendre des relations amicales avec la cour de Hué et d'obtenir la liberté religieuse pour les chrétiens, l'établissement d'un comptoir français et la création d'un consulat à Hué.
Mais Tu-Duc refusa toute concession ce qui décida Napoléon III à intervenir en force.
Pour préparer l'opinion, le "Moniteur officiel" publia un article le 25 Janvier 1858 où l'on disait : "la liste des missionnaires en Extrême-Orient n'est qu'un long martyrologe ; la France dans sa politique généreuse et conciliatrice, devait porter les yeux sur ces contrées lointaines d'où lui tendaient les bras un grand nombre de ses enfants". L'engrenage de la Conquête était en route !
Signature du traité
En 1857, sous prétextes, qui d'une prétendue violation du pavillon britanique, qui du meurtre dans le Kouang-Si du missionnaire P. Chapdelaine, l'Angleterre et la France déclarent la guerre à la Chine. Les Anglais commencent par bombarder Canton qui est pris par les Amiraux Seymour et Rigault de Genouilly . L'expédition comprend 23 000 Européens dont 8 000 français. Elle vise ensuite le nord où les chinois capitulent et signent les traités de Tien-Tsin.
Ce traité signé le 27 juin 1858, permet aux missionnaires de pénétrer à l'intérieur du pays.
Mais surtout, il ouvre 7 nouveaux ports au commerce et autorise des représentations diplomatiques à Pékin.
Le traité ne sera ratifié que le 25 octobre 1860, car entre temps, l'Empereur de Chine est revenu dessus.
C'est le prétexte pour une seconde expéditionmenée sous l'autorité du général Cousin-Montauban et de l'amiral Charner.
Tien-Tsin est pris et l'armée se dirige sur le Palais d'été qui est mis à sac et incendié. L'Empereur Mandchou s'incline et signe les traités de Pékin (24 et 25 novembre 1859).
Les puissances se taillent des zones d'influence et la France perd tout espoir de colonisation.
Ni la Restauration, ni la Monarchie de Juillet, ni la Seconde République n'avaient eu de politique coloniale active. Napoléon III, au contraire, par tempérament, par goût du prestige personnel, par souci d'avoir l'appui des catholiques en protégeant les missionnaires, se lança à partir de 1858 dans une politique d'expansion et d'intervention outre-mer.
Toutefois, cette politique restera jusqu'au bout désordonnée et incohérente. Ce furent surtout les initiatives individuelles de quelques militaires, notamment en Indochine, et les efforts du Ministre de la Marine CHASSELOUP-LAUBAT de 1860 à 1867 qui marquèrent la pénétration de la France dans ce pays. Cette pénétration se réalisa en quatre étapes principales :
A) OCCUPATION DE SAIGON :
A l'origine, l'intervention française en Extrême-Orient s'explique par le désir de protéger les missionnaires catholiques en proie depuis 1833 à la persécution. L'Empereur d'Annam TU-DUC était particulièrement hostile aux chrétiens. Comme on l'a vu précédemment, au nom du traité de 1787, nous étions intervenus plusieurs fois en Annam. L'éxécution de 2 missionnaires français en 1851 sur ordre de l'Empereur d'Annam, puis celui de Monseigneur Diaz, un évêque espagnol, en 1857 entraîne une expédition Franco-espagnole.
Napoléon III prescrit à l'amiral RIGAULT DE GENOUILLY, qui commandait l'escadre française, d'intervenir en Indochine lorsque le conflit avec la Chine serait apaisé. Il prend le commandement de cette expédition Franco-espagnole.
Profitant d'une expédition franco-anglaise en Chine (1857-1858) RIGAULT DE GENOUILLY bombarda TOURANE avec la flotte des mers de Chine, et décida de s'installer en Cochinchine, grand fournisseur de riz pour l'Annam. L'amiral y laisse une garnison.
L'escadre de l'Amiral Rigault de Genouilly prend Saïgon le 17 Février 1859.
Cette arrivée marque le début de la présence Française en Cochinchine. Les opérations se poursuivent sur la basse Cochinchine. La garnison de Saïgon est encerclée mais les campagnes d'Italie et de Chine ne permettent plus l'envoi de renforts.
La guerre contre la Chine ayant repris, la garnison de SAIGON résista péniblement à un long siège.
Mais le traité de PEKIN d'Octobre 1860 mit fin aux hostilités en Chine et SAIGON fut délivrée en Février 1861.
L'Amiral CHARNER, successeur de RIGAULT DE GENOUILLY, fit alors occuper les trois provinces de l'Est de la Cochinchine jusqu'à MYTHO. L'occupation s'étend à BinHoa et VinhLoy en 1861.
Le traité de Saïgon est cosigné le 5 juin 1862 par la France et l'Espagne qui perçoit une compensation financière. La France obtient les 3 provinces du sud et l'ile de Poulo Condor. Malgré la résistance de la population, l'Empereur d'Annam TU-DUC ayant besoin du riz cochinchinois, se résigna à signer à HUE le 14 Avril 1863, avec le contre amiral Bonard et le colonel espagnol Palanca, un traité cédant à la France les provinces de Basse-Cochinchine : SAIGON, MYTHO et BIEN-HOA.
A PARIS, on songea un moment à rétrocéder ce territoire dont on ne savait que faire. Mais le Ministre de la Marine et des colonies, Chasseloup-Laubat et l'Amiral DE LA GRANDIERE, nommé Gouverneur de la Cochinchine, firent décider le maintien de la présence française.
Du fait de l'opposition des mandarins, la première administration indigène à Saïgon fût un échec. La répression qui suivit l'insurrection de 1862-63 permit la ratification du traité et l'instauration d'un gourvernement d'Amiraux en Cochinchine.
Chasseloup- Laubat mène une politique déterministe. Le 17 février 1863, il déclare : "C'est un véritable empire qu'il nous faut créer dans l'extrème Orient". Le protectorat s'impose au Cambodge où Doudard de Lagrée hisse les couleurs. Le roi Norodom signe un traité le 11 Août 1863 et le ratifie le 17 avril 1864.
Mandaté par Tu Duc qui désire revenir sur le traité et racheter les 3 provinces du Sud, Phan Than Gian mène une ambassade en France. Il arrive à Marseille en septembre 1863 et est reçu par le ministre des affaires étrangères le 19.
L'ancien aide de camps de l'amiral Bonard, Aubaret, suggère à l'empereur, un échange contre un statut de protectorat. L'empereur accepte. Aubaret est envoyé rencontrer Tu Duc. Comme l'abandon des crédits le laissait prévoir, le 18 Juillet 1864 un nouveau traité est signé à Hué qui abandonne la Cochinchine contre le protectorat. 3 ports sont également ouverts sur la côte d'Annam : Saïgon, Cap St Jacques et My Tho. La marine, les amiraux et Chasseloup Laubat sont de farouches opposants. Napoléon III tente d'appaiser une fronde parlementaire, soutenue par les catholiques, et partisane de la conquète générale puis finit par céder aux amiraux.
Henri Mouhot découvre Angkor en 1860 (Doudart de Lagrée en 1863) et Louang Prabang en 1861 où il meurt. Ronard en 1864 y voit une possible route vers la Chine. Chasseloup Laubat veut ouvrir la Chine du Sud au commerce français. Il décide en 1866 une exploration sur le Mékong confiée à Doudart de Lagrée et Francis Garnier soutenu par L'Amiral La Grandière.
Rigault de Genouilly succède au ministère de la marine le 20 janvier 1867 à Chasseloup Laubat. Le nouveau gouverneur de la Cochinchine, La Grandière conquit en 5 jours de juin 1867 les 3 provinces de basse Cochinchine. La Cochinchine s'étend alors sur 60 000 km².
Ils sont quelques groupes, missionnaires (beaucoup de Lyon au Tonkin), anciens officiers ou soyeux de Lyon inquiets de la baisse désastreuse de la production française de cocons entre 1855 et 1865, qui souhaitent l'accès à la Chine du Sud par le fleuve Rouge.
Expédition Française en 1859 en Chine
1er septembre 1858 : prise des forts de Tourane
Prise de la citadelle de Saïgon le 18 février 1859
Expédition Cochinchine - Rivière FaïFo - Décembre 1858
Attaque des Forts de Ki-Hoa le 25 Février 1861
Soldats Français en tenue de Campagne en 1861
Soldats Annamites et Espagnols en 1862
Amiral de la Grandière, Doudart de Lagrée
B) PROTECTORAT SUR LE CAMBODGE :
L'Amiral DE LA GRANDIERE, Gouverneur de la Cochinchine de 1863 à 1870, réussit à établir le protectorat français sur le Cambodge, ancien empire KHMER, alors en proie à de nombreuses difficultés entre ses deux voisins le SIAM à l'Ouest et l'ANNAM à l'Est. Le roi NORODOM accepta, non sans hésitation, de signer avec le représentant français, le Lieutenant de Vaisseau DOUDART DE LAGREE, un traité le protégeant contre les agissements du SIAM (11 Août 1863). Le nouveau protecteur imposa au SIAM de restituer à NORODOM la couronne cambodgienne qu'il possédait. Le SIAM en 1867 renonça à tout droit sur le CAMBODGE, à l'exception des provinces cambodgiennes du MEKONG et notamment de celle d'ANGKOR, haut lieu de la civilisation KHMERE.
C) OCCUPATION DE LA COCHINCHINE OCCIDENTALE :
Les trois provinces occidentales, non cédées en 1863, étaient le centre de la résistance annamite contre la France. L'Amiral DE LA GRANDIERE les conquit en 1866-1867. L'Empereur TU-DUC fut obligé de les céder. La France occupa ainsi toute la Cochinchine.
D) EXPLORATION DU LAOS :
Le Ministre de la Marine CHASSELOUP-LAUBAT fit organiser une mission d'exploration le long du MEKONG de façon à savoir si ce fleuve permettait de pénétrer en Chine du Sud. L'expédition fut confiée au Lieutenant de Vaisseau DOUDART DE LAGREE (1866-1868). Ce dernier se rendit compte que le MEKONG n'était pas une voie d'accès praticable et ne permettait pas d'atteindre facilement la Chine du Sud. Il mourut au cours de cette mission. Son adjoint Francis GARNIER ramena l'expédition par la Chine. GARNIER avait acquis la conviction que la voie de pénétration en Chine n'était pas le MEKONG mais le SONG-KOI, ou Fleuve Rouge, qui aboutit au TONKIN.
Au total, en 1870 la France dominait la Cochinchine et le Cambodge. Le problème de savoir si elle étendrait son influence au-delà de ces régions ne se posera que plus tard.
Françis GARNIER
Le XIXème siècle fut, pour les marins européens, une période doublement passionnante. Elle vit en effet les conditions de la navigation se transformer du tout au tout à la suite d'un progrès technique d'une ampleur inconnue depuis l'Antiquité. Pour la première fois dans l'histoire des hommes, ceux-ci se trouvaient affranchis, pour traverser les mers, de la tyrannie et des caprices des vents qui interdisaient jusqu'alors d'appareiller à volonté et rendaient les voyages aléatoires quant à leur durée et quelquefois quant à leur issue. La propulsion mécanique des navires entama alors un processus de perfectionnement qui ne devait plus s'arrêter et réduirait de manière considérable la durée des traversées, et donc les risques sanitaires provoqués par d'interminables séjours à la mer. La construction métallique des coques permit d'accroître dans une large mesure les dimensions de celles-ci, ce qui était impossible avec la construction en bois. Les innombrables perfectionnements apportés aux différents appareils indispensables à la conduite et au fonctionnement général du navire et à la vie des équipages rendirent la navigation moins dangereuse. Enfin, dans la marine de guerre, toutes ces inventions nouvelles, blindage des coques provoquant l'apparition des premiers cuirassés, apparition de l'artillerie rayée à la portée sans cesse croissante, développement progressif d'armes inconnues jusqu'alors comme les mines et les torpilles, modifiaient dans de vastes proportions les conditions du combat sur mer. La propulsion à vapeur accroissait considérablement la capacité des flottes à intervenir au loin dans les régions les plus diverses et rendait possible des opérations inconcevables au temps de la voile. Ce fut le cas, par exemple, de la guerre de Crimée, premier conflit moderne au cours duquel la vapeur permit le transport de plusieurs dizaines de milliers d'hommes.
Conséquence de toutes ces innovations pour lesquelles l'Europe prit une avance considérable sur les autres continents, l'Amérique du Nord exceptée, les Européens, poursuivant et amplifiant le mouvement commencé au XVIIIème siècle entamèrent à travers le monde une ère d'expansion politique et commerciale qui allait leur permettre d'exercer leur domination pendant plus d'un siècle. Ce mouvement entraîna évidemment un développement considérable de l'activité des flottes et offrit aux officiers qui servirent pendant cette période des occasions multiples de campagnes lointaines passionnantes sans aucun doute, mais aussi terriblement éprouvantes tant au physique qu'au moral.
Parmi les hommes qui vécurent cet immense bouleversement et y jouèrent un rôle important figure dans les tout premiers rangs un rochefortais : Charles Rigault de Genouilly qui parcourut une carrière exceptionnelle par sa variété. Grâce à ses talents de combattant, de technicien et d'administrateur, il réussit à atteindre le sommet de la hiérarchie et à assumer le maximum de responsabilités.
Le futur amiral et ministre de la Marine était né à Rochefort le 12 avril 1807 - dans une maison qui existe toujours, rue de la République, sur laquelle une plaque rappelle son souvenir. Son père, ingénieur du génie maritime servait alors à l'arsenal [Jean-Charles Rigault (1777-1857 ; X 1795) avait participé à l'Expédition d'Egypte ; n'étant pas de famille noble, il avait emprunté la particule de noblesse à son épouse !]. Par sa mère [Adélaïde Caroline Mithon de Genouilly, fille de Charles Gabriel Mithon et adoptée par Claude Mithon de Genouilly], il était le petit-neveu du chef d'escadre Claude Mithon de Genouilly qui avait longuement participé à la guerre d'Amérique en commandant plusieurs vaisseaux dans l'escadre du comte de Grasse. Suivant l'exemple paternel, il entra en novembre 1825 à l'Ecole Polytechnique et opta à sa sortie pour la Marine. Depuis 1822 en effet, il avait été décidé que, chaque année, un certain nombre de jeunes polytechniciens seraient admis dans le corps des officiers de vaisseau. Nommé aspirant de 1ere classe en novembre 1827, Rigault de Genouilly fit sa première campagne au levant sur la frégate la Fleur de Lys commandée par le futur amiral Lalande. Il participa à l'expédition de Morée au cours de laquelle la marine apporta aux troupes du Général Maison un appui décisif en suppléant par ses canons aux insuffisances fréquentes de l'artillerie terrestre. Il fallait aussi lutter contre la piraterie qui, à la faveur de la guerre de l'indépendance hellénique, avait pris dans les eaux de l'Archipel grec des proportions inquiétantes et c'est à cette mission que fut affectée la frégate la Résolue sur laquelle le jeune aspirant embarqua à la fin de 1828.
Promu enseigne de vaisseau en février 1830, Rigault de Genouilly passa aussitôt sur le vaisseau le Breslaw avec lequel il participa, dans l'escadre commandée par l'amiral Duperré, au débarquement de Sidi-Ferruch et à la prise d'Alger. Après un bref passage sur le vaisseau l'Algésiras, il fut transféré au début de 1831 sur le Suffren dans l'escadre de Brest, ce qui lui donna l'occasion d'assister à une opération réputée impossible et qui réussit cependant, le forcement par une escadre de l'embouchure fortifiée d'un fleuve. Depuis la révolution de 1830 les relations franco-portugaises étaient devenues tendues et le gouvernement de Lisbonne faisait preuve à l'égard de la France et des négociants français d'une mauvaise volonté qui ne cessait de créer des incidents. Le gouvernement de Louis Philippe, pourtant porté au pacifisme, décida néanmoins de réagir et dépêcha devant Lisbonne l'escadre de Brest aux ordres de l'amiral Roussin. Celui-ci mena l'affaire rondement. Le 14 juillet 1831, après avoir sommé sans succès les autorités portugaises de satisfaire les réclamations françaises, il forma son escadre en ligne de file, entra dans le Tage, réduisit au silence les forts de Belem et mouilla devant Lisbonne après avoir bousculé des défenses réputées infranchissables. Ce coup d'audace brillamment exécuté produisit immédiatement l'effet diplomatique recherché et le jeune enseigne recueillit sans aucun doute au cours de cette journée des enseignements dont il saura se souvenir au cours de sa carrière.
Toujours sur le Suffren, il va participer à une autre opération dans un secteur tout différent : l'Adriatique. A la suite d'une insurrection survenue dans la province alors pontificale de Romagne, des troupes autrichiennes avaient pénétré dans les Etats du pape pour y rétablir l'ordre. Le gouvernement français ne souhaitait pas laisser le champ libre à l'Empereur d'Autriche dans cette région et envoya une division navale en Adriatique. Le 22 février 1832, le Suffren accompagné des frégates l'Artémise et la Victoire mouillait devant Ancône. Interprétant assez librement les instructions prudentes qui lui avaient été remises, le capitaine de vaisseau Gallois décida de mettre aussitôt à terre ses compagnies de débarquement. L'opération, conduite par le lieutenant de vaisseau et futur amiral Charner, réussit et, le premier, l'enseigne Rigault de Genouilly escaladait les remparts et entrait dans la ville qui capitula aussitôt. Une convention, signée le 16 avril, régularisa une occupation française qui se prolongea jusqu'en octobre 1839.
A son retour en France, Rigault de Genouilly passa sur la frégate la Médée intégrée dans l'escadre de l'amiral Ducrest de Villeneuve, laquelle pendant toute l'année 1833, assurera le blocus des côtes flamandes lors du conflit provoqué par la proclamation de l'indépendance de la Belgique.
Promu lieutenant de vaisseau en juillet 1834, Rigault de Genouilly va passer plusieurs années sur des vaisseaux en escadre dite d'évolutions en Méditerranée. Le gouvernement de Louis Philippe commençait alors à prendre conscience de la nécessité de disposer de forces navales disponibles en permanence, maintenues à un haut degré d'entraînement et donc parées à toute éventualité. L'amiral de Rigny, qui avait été très gêné, lors de la guerre de l'indépendance hellénique par la maigreur des moyens mis à sa disposition, devenu ministre de la Marine en 1831, se préoccupa de remédier à cette situation en multipliant les armements destinés à entraîner officiers et équipages. Officier de man?uvre sur le Duquesne en 1834, sur le Suffren en 1836, sur l'Hercule en 1838, Rigault de Genouilly acquit alors une solide réputation d'excellent man?uvrier habile et audacieux. En 1839, il reçut son premier commandement, celui du brick-aviso la Surprise à la station des Côtes d'Espagne, ce qui lui donna l'occasion de se distinguer le 22 décembre 1840 lors d'un ouragan qui ravagea la région de Barcelone.
En juillet 1841, à trente quatre ans, avancement exceptionnel à cette époque, Rigault de Genouilly était promu capitaine de frégate, le grade de capitaine de corvette n'existant pas alors. Il fut affecté au dépôt des cartes et plans, ancêtre du service hydrographique, pour y travailler à la traduction d'un Routier des Antilles qui sera publié en 1843.
La Gloire et la Corée echouées au large de la côte de Corée
L'Illustation, 1847. Archives de l'Ecole polytechnique.
La frégate la Gloire et la corvette La Victorieuse attaquent la flotte annamite devant Tourane, le 15 avril 1847. D'après l'Illustration, 1847.
En janvier de cette année, Rigault de Genouilly reçut le commandement de la corvette la Victorieuse avec laquelle il va effectuer sa première campagne dans les mers lointaines, en Extrême Orient, campagne qui va se prolonger pendant quatre ans. Partie de Brest le 12 décembre 1843, la Victorieuse fit escale à Ténériffe, arriva à la Réunion en avril 1844, à Singapour en juillet pour être envoyée en reconnaissance hydrographique dans l'archipel de Soulou. Ces îles, proches de Mindanao, au sud des Philippines, étaient habitées par des Malais dont la piraterie et le commerce des esclaves constituaient l'industrie principale. Pendant que la Victorieuse accomplissait dans ces eaux sa mission scientifique, un officier et un matelot de la corvette la Sabine furent assassinés. Ce n'était pas alors le genre d'incident qui laissait les Européens sans réaction et la Victorieuse participa au blocus de l'île de Basilan où se trouvaient les coupables.
Pendant les années 1845 et 1846, la corvette poursuivit ses missions à la fois scientifiques et diplomatiques dans les eaux comprises entre Singapour, les Indes néerlandaises, les Philippines et Macao.
En 1847, une tension dans les relations entre la France et l'empire d'Annam consécutive à des persécutions contre les chrétiens provoqua une brève intervention militaire. Le 15 avril, la frégate la Gloire, commandée par le capitaine de vaisseau Lapierre, accompagnée de la Victorieuse, arrivait devant Tourane et les deux bâtiments, par la précision de leur feu, détruisirent toute la flotte vietnamienne constituée de six corvettes. Mais ces démonstrations ne présentaient aucun résultat durable et se révélaient le plus souvent plus néfastes qu'utiles en provoquant de nouvelles violences.
En juillet 1847, toujours en accompagnement de la Gloire, la Victorieuse appareillait de Canton vers le Nord pour aller visiter les côtes de Chine septentrionale et de Corée encore très mal connues. Les cartes étaient de si mauvaise qualité que, le 10 août, les deux bâtiments s'échouaient sur une île de la côte Ouest de Corée. Toute remise à flot se révéla impossible mais les équipages, heureusement indemnes, campèrent sur l'île où ils furent ravitaillés par les habitants avant d'être rapatriés en Europe par deux navires anglais.
Acquitté par le conseil de guerre de Brest le 14 juin 1848, Rigault de Genouilly fut aussitôt promu capitaine de vaisseau. Il va alors se familiariser avec les bureaux parisiens. Chef de cabinet de l'amiral Casy, Ministre de la Marine en 1849, membre de plusieurs commissions administratives, il reprit la mer à la fin de 1849 en recevant le commandement de la frégate à roues le Vauban affectée à la station du Levant puis des côtes d'Italie. Il s'adapta vite aux techniques de la vapeur puisqu'en 1851 on lui confiait une unité beaucoup plus importante, le vaisseau mixte Charlemagne, premier de son type qui allait servir de modèle pour la modernisation des grandes unités à voiles. Le bâtiment avait été largement refondu et l'on avait gagné assez de place pour loger une machine de 500 CV. Après des essais satisfaisants, une campagne au Levant et à Constantinople permit de constater le succès de l'opération, ce qui valut au commandant un témoignage de satisfaction et sa nomination, en novembre 1852, au Conseil des Travaux. Cette haute instance de la Marine était chargée, comme son nom l'indique, d'examiner et d'émettre des avis sur les travaux en tous genres intéressant la Marine. Son rôle était donc essentiel et la nomination à ce Conseil la quasi- promesse d'atteindre le sommet de la hiérarchie.
Le Charlemagne, vaisseau de 66 canons, lancé à Toulon le 18 janvier 1851, muni d'une machine à vapeur de 500 cv. Archives Musée national de la Marine
Reconnaissance de la ville d'Eupatoria par un navire français en septembre 1854
L'Illustation, 1854. D'après an croquis de M. Dulong.
Les affaires d'Orient allaient donner à Rigault de Genouilly de nouvelles occasions de se distinguer. Napoléon III, qui avait pourtant proclamé « l'Empire c'est la paix », se décida à intervenir aux côtés de l'Angleterre qui s'inquiétait fort des visées russes sur Constantinople et les Détroits. Rigault de Genouilly venait de prendre le commandement de la Ville de Paris comme capitaine de pavillon de l'amiral Hamelin, commandant en chef de l'escadre de Méditerranée lorsque, le 23 septembre 1853, celle-ci entra dans les Dardanelles pour protéger la capitale turque contre une éventuelle attaque russe. Le 3 janvier 1854, la flotte alliée pénétrait en mer noire. Devant le refus du tsar d'évacuer les principautés danubiennes, la France et l'Angleterre déclaraient la guerre à la Russie le 27 mars. Le 22 avril, la flotte bombardait Odessa et, le 28, défilait devant Sébastopol. La guerre se transportait en Crimée. Le 13 septembre, une flotte imposante comprenant 15 vaisseaux, 25 bâtiments à vapeur (11 frégates et 14 corvettes), 3 frégates à voiles et 52 transports, débarquait avec une célérité et un ordre parfait sur les plages d'Eupatoria, 28000 hommes, 1400 chevaux et 68 canons. Il est vrai que les Russes commirent l'énorme erreur de ne rien faire pour troubler les opérations et chacun sait depuis Arromanches combien il est difficile de rejeter à la mer une troupe qui a réussi à débarquer avec l'appui d'une flotte. Si la victoire de l'Alma confirma le succès initial, elle ne régla rien de manière décisive et il fallut entreprendre le siège de Sébastopol puissamment défendue. On s'aperçut alors que l'artillerie de l'armée de terre se trouvait très insuffisante et, comme d'habitude on fit appel aux gros canons de la Marine qui débarqua une cinquantaine de pièces lourdes, 500 canonniers et autant de fusiliers dont le commandement fut confié à Rigault de Genouilly. Très brillamment secondé par le capitaine de frégate et futur amiral Penhoat, il dirigea magistralement ses canonniers lors des grands bombardements des 17 octobre et jours suivants, et pendant toute la durée du siège. Après la prise du fort Malakoff, le 8 septembre 1855, le maréchal Pelissier consacra un ordre du jour spécial au rôle des marins. Rigault de Genouilly avait été promu contre-amiral en décembre 1854, à 47 ans c'était encore une fois un avancement exceptionnel. A son retour en France, à la fin de 1855, il recevait la plaque de grand officier de la Légion d'honneur et entrait au Conseil d'Amirauté.
Cet ancêtre de notre Conseil supérieur de la Marine réunissait la fine fleur des officiers généraux et émettait des avis sur toutes les questions importantes concernant l'administration et l'organisation des forces navales. Il gérait, de plus, les tableaux d'avancement des officiers jusqu'au grade de capitaine de frégate. Rigault de Genouilly siégea peu de temps dans cette haute instance puisqu'en novembre 1856, il recevait le commandement de la division navale dite alors de la Réunion et de l'Indochine, avec pavillon sur la frégate la Némésis.
Une tension assez vive régnait alors entre l'Angleterre et la Chine et des incidents étaient survenus à Canton. Bien que les intérêts français fussent assez minces, Napoléon III décida d'intervenir de concert avec l'escadre anglaise de l'amiral Seymour, à la fois pour protéger les missionnaires et pour tenter de développer le commerce français en Chine du sud. Rigault de Genouilly prit, le 15 juillet 1857 le commandement de la division française qui comprenait deux frégates, trois corvettes, un aviso, quatre canonnières et deux transports avec à bord deux compagnies d'infanterie de marine. Après l'échec des négociations l'escadre franco-anglaise entreprit le blocus de Canton. Le 27 décembre, la ville était bombardée, le 28, Rigault de Genouilly conduisit en personne les opérations de débarquement et le 5 janvier 1858, toute résistance avait cessé. Avec un corps de débarquement comprenant 5600 hommes dont 950 français, les franco-anglais s'étaient assuré la maîtrise d'une ville d'un million d'habitants qui allait être administrée par une commission mixte franco-anglaise.
De nouvelles propositions de négociations étant restées sans suite, les alliés décidèrent de remonter vers le Nord pour attaquer la région de Peï-Ho et de Tien-Tsin pour tenter de faire pression sur le gouvernement chinois. Celui-ci refusant tout contact et un ultimatum étant resté sans réponse, les canonnières partirent à l'assaut des forts défendant l'embouchure du Peï-Ho et les réduisirent rapidement au silence. Le 20 mai le débarquement réussit sans difficulté majeure et les forces alliées entreprirent de remonter le fleuve, que l'ingénieur hydrographe Ploix sondait et relevait sous le feu des chinois. Le 26 mai, elles étaient parvenues devant Tien-Tsin. Les négociations reprirent alors et aboutirent le 27 juin à la signature d'un traité de paix qui ouvrait au commerce européen six nouveaux ports chinois. Le 9 août, Rigault de Genouilly était promu vice-amiral et nommé commandant en chef du corps expéditionnaire dans les mers de Chine. Les affaires de Chine étant réglées, très provisoirement, mais la seconde campagne de 1860 allait être conduite par l'amiral Charner, Rigault de Genouilly put exécuter les ordres qui lui prescrivaient de se porter sur les côtes d'Annam.
La frégate La Gloire et la corvette La Victorieuse attaquent la flotte annamite devant Tourane, le 15 avril 1847
Nous avons vu les Français intervenir à Tourane en 1847 mais cette brève action n'avait nullement mis fin aux persécutions dont les missionnaires étaient l'objet. Certains d'entre eux avaient entrepris de convaincre Napoléon III qu'une installation en Annam serait facile car les Français y seraient accueillis en libérateurs. Le vicaire apostolique, Monseigneur Pellerin, promettait un concours actif des populations chrétiennes. L'assassinat d'un évêque espagnol, Monseigneur Diaz, le 20 juillet 1857, servit de prétexte à l'intervention pour laquelle le gouvernement espagnol promit sa participation. Sur le conseil de Rigault de Genouilly, le ministre, l'amiral Hamelin, lui prescrivit à la fin de 1857 de s'emparer de Tourane et de s'y établir solidement. Dès la fin des opérations de Chine, Rigault de Genouilly entreprit donc cette nouvelle campagne. Le 31 août 1858, il arrivait devant Tourane avec la Némésis, deux corvettes à vapeur, cinq canonnières, et cinq transports contenant deux bataillons d'infanterie de marine, une batterie d'artillerie et un détachement du génie. Le concours espagnol se limita à un aviso à vapeur et un bataillon de 800 Philippins.
Le 1er septembre 1858 un bombardement réduisait les forts de Tourane au silence. Le débarquement des troupes s'opéra sans grande résistance et celles-ci commencèrent à s'installer en construisant des baraquements et des magasins mais l'amiral constata vite que ses moyens étaient très insuffisants et que Paris l'avait engagé imprudemment dans une opération sans en mesurer les risques et les conséquences. Le 29 janvier 1859, il écrivait au ministre : « le Gouvernement a été trompé sur la nature de cette entreprise en Cochinchine, elle lui a été présentée comme très modeste, elle n'a point ce caractère. On lui a annoncé des ressources qui n'existent pas, des dispositions chez les habitants qui sont tout autres que celles prédites, un pouvoir énervé et affaibli chez les mandarins, ce pouvoir est fort et vigoureux, l'absence de troupes et d'armée, l'armée régulière est très nombreuse et la milice comprend tous les hommes valides de la population. On a vanté la salubrité du climat, le climat est insalubre ». Bien qu'il se dise dans une lettre particulière, physiquement et moralement épuisé, Rigault de Genouilly n'était pas homme à céder au découragement. Placé par le manque de moyens dans l'impossibilité d'attaquer Hué, capitale de l'Empire, il décida d'opérer sur un autre terrain et hésita entre le Tonkin et la région de Saigon, les deux greniers à riz de l'Empire. Finalement il opta pour Saigon, d'un accès plus facile.
Le 4 février 1859, une division constituée de deux corvettes à vapeur, trois canonnières , un aviso espagnol et de trois transports quitta Tourane sous les ordres de l'amiral pour arriver le 7 au Cap Saint-Jacques qui fut occupé le lendemain sans résistance. Les Français ne disposaient bien entendu d'aucun renseignement sur l'hydrographie du delta et ne possédaient qu'une carte sommaire datant de 1791. Le 9 février, Rigault de Genouilly fit effectuer une reconnaissance par la canonnière la Dragonne et, le 10, décida d'entrer dans la rivière. Après avoir détruit au passage quelques batteries improvisées et quelques estacades de bambous, la petite flotte arriva devant Saigon le 16, assaillie par les tirs des deux grands forts situés sur chaque rive, qui furent rapidement neutralisés. Les Français ignoraient tout de l'état de la ville, de ses défenses et personne ne put ou ne voulut les renseigner, pas même les missionnaires qui semblaient d'ailleurs moins persécutés qu'on ne le prétendait car les ordres de l'Empereur n'étaient pas toujours exécutés avec rigueur. Le vicaire apostolique Monseigneur Lefèvre, « possédait, à deux pas de la ville, une très jolie habitation entourée d'une école de petits enfants chrétiens et d'un couvent de religieuses annamites » [Benoist de La Grandière (Docteur Auguste), Souvenirs de campagne : 1858-186 ? les ports d'Extrême-Orient. Paris 1869, réédition 1994, p.62. Le docteur de La Grandière médecin du transport la Saône qui a participé à toutes ces opérations, était un ancien de l'école de médecine de Rochefort]. Les arrivants constatèrent que Saigon était une place forte avec une magnifique citadelle bien armée de nombreux canons servis par une garnison bien approvisionnée.
Rigault de Genouilly ne se laissa pas impressionner. Le 17 février, il déclenchait le bombardement par les canons de la flotte. Au bout d'une heure, la défense faiblit et les troupes mises à terre donnèrent l'assaut. A 10 heures du matin, la citadelle était neutralisée et on y trouvait 5 à 6000 fusils de fabrication française, une centaine de canons de bronze, des munitions et des vivres en abondance.
Faute d'effectifs, il était impossible de conserver cette citadelle que le Génie fit sauter après en avoir évacué tout ce qui pouvait être utile. Saigon était déjà une grande ville d'environ cent mille habitants, riche et très commerçante grâce à son importante colonie chinoise comptant 12 à 15000 personnes. Toute la région était bien cultivée et grosse productrice de riz. Comme on pouvait le prévoir, une grande partie de la population s'était enfuie. Rigault de Genouilly tenta de la rassurer par une proclamation dans laquelle il promettait le respect des personnes et des biens et invitait les habitants à venir vendre leurs produits. Le marché fut vite approvisionné.
Malgré ces tentatives de cohabitation, le 18 février, un immense incendie éclata qui se prolongea pendant plusieurs jours et détruisit toute la ville à l'exception du quartier chinois. Il s'agissait à l'évidence d'un incendie volontaire, soigneusement organisé. Dans les jours qui suivirent, Rigault de Genouilly fit commencer les travaux d'hydrographie du fleuve et d'exploration des environs de la ville. Le 7 mars, la citadelle fut détruite et peu à peu une garnison aux ordres du capitaine de frégate Jauréguiberry s'installait, protégée par une petite division comprenant la corvette Primauguet, 2 canonnières, un transport et un aviso espagnol. Le 27 avril 1859, Rigault de Genouilly quittait Saigon pour remonter à Tourane. Ainsi, en un temps très court, une petite armée de 1200 hommes appuyée par quelques navires s'était emparée de Saigon qui passait pour inexpugnable. L'opération avait été menée par l'amiral avec une audace et une maîtrise remarquables et les efforts que poursuivirent les Annamites pour décourager les Français n'eurent aucun succès. La garnison pourtant bien réduite, tint bon jusqu'à l'arrivée, en janvier 1861, de l'amiral Charner qui venait avec des moyens plus importants.
En quelques semaines Rigault de Genouilly venait de jeter les bases d'une présence française qui allait se prolonger pendant près d'un siècle et marquer profondément les deux pays. Mais la question des relations avec l'Empire d'Annam ne se trouvait pas réglée pour autant.
A Tourane, où il arriva au début de mai 1859, l'amiral trouvait une situation précaire. Les Annamites ne s'étaient nullement découragés à la suite de leurs premiers échecs et les fortifications détruites avaient été reconstituées avec des batteries armées de canons de bronze et de pierriers. Le 8 mai, Rigault de Genouilly, commandant lui-même une des colonnes d'assaut entreprit d'attaquer ces nouvelles lignes de défense. Menée avec vigueur, l'opération vint à bout de la résistance courageuse des Annamites qui durent se replier et abandonner leurs positions. Les maladies sévissaient dans le corps expéditionnaire : choléra, dysenterie, fièvres pernicieuses, le petit hôpital de campagne ne pouvait suffire et il fallait évacuer les malades sur Macao. On était alors en pleine guerre d'Italie et les combattants d'Extrême-Orient se sentaient abandonnés. Le docteur de La Grandière témoigne : « jetés en enfants perdus au nombre de deux ou trois mille aux limites de l'Extrême-Orient, on nous laissait livrés à nos seules ressources et personne parmi nous ne pouvait prévoir quand l'on songerait à nous secourir et à nous remplacer. » Quatre des bâtiments de l'escadre étaient en Extrême-Orient depuis plus de quatre ans et on peut imaginer l'état d'épuisement des équipages. Rigault de Genouilly se dépensait sans compter. « L'amiral était partout, partageait toutes nos privations et encourageait les soldats de sa présence et de son exemple. Tous les jours, il visitait les postes, se rendait à l'ambulance et savait trouver pour chaque malade des paroles paternelles et consolantes. Il écoutait avec bienveillance le récit de leurs souffrances, prêtait une oreille attentive aux explications qu'ils nous demandaient sur leur état et s'efforçait de leur procurer ce qui leur faisait défaut. Ces visites produisaient l'effet le plus salutaire sur la santé des malades et sur le moral des troupes qui en étaient témoins » [Benoist de La Grandière, op.cit. p.51]
L'amiral se trouvait, de son côté, aux prises avec le Gouvernement impérial de Paris qui ne mesurait que fort mal l'ampleur des problèmes et cherchait visiblement à se défausser sur lui des décisions qu'il n'osait pas prendre. Le 8 avril 1859, en effet, l'amiral Hamelin écrivait à Rigault de Genouilly : « l'Empereur veut que, dans cet état de choses, vous soyez laissé juge des suites à donner à votre entreprise... s'il convient de poursuivre l'établissement de notre protectorat sur l'empire Annamite, s'il est préférable de se borner à peser sur le Gouvernement par l'occupation de Tourane pour arriver à conclure un traité sur la base du projet du 25 novembre 1857, ou enfin s'il faut nous résigner à abandonner les positions que nous occupons et à renoncer complètement à une entreprise décidément hors de proportion avec les moyens d'action dont nous disposons ». Rigault de Genouilly protesta naturellement avec vigueur et refusa de prendre des décisions qui étaient du ressort du gouvernement. Le 10 juin 1859, il demandait son rappel pour raison de santé et refusait d'accepter « la responsabilité d'une évacuation complète. C'est une mesure gouvernementale au premier chef que le gouvernement peut seul décider en connaissance de cause et, à cet égard, je décline toute compétence ». Et il insistait sur le fait que, évacuer les positions acquises, « c'est consommer la ruine de l'influence française dans toute l'étendue de l'Extrême-Orient ».
Prise De Saïgon
La cloche de la pagode de Ta-Kou, musée Girodet de Montargis
Les Annamites étaient éprouvés eux aussi par cette dure campagne et ils demandèrent à négocier. Le 18 juin, l'amiral reçut un parlementaire et le 23 les bases d'un Armistice étaient établies mais, suivant les meilleures méthodes asiatiques, la Cour de Hué cherchait surtout à gagner du temps pour reconstituer ses forces. Lassé de ces atermoiements, Rigault de Genouilly lui fit savoir que si la paix n'était pas signée le 15 septembre, les hostilités reprendraient. Ce fut ce qui se produisit. Le 15, un nouveau combat culbuta les défenses reconstituées et repoussa les Annamites mais il demeurait évident que les Français ne disposaient pas des moyens d'obtenir des résultats décisifs. Le 21 septembre, Rigault de Genouilly écrivait : « on ne voit pas de terme à l'entreprise dans laquelle nous nous sommes engagés. Peut être la meilleure solution serait-elle de s'emparer de la province de Saigon, d'y former un établissement définitif et d'attendre là les déterminations du gouvernement annamite ». Ce fut, en effet, le parti que prit le gouvernement de Napoléon III. [Battesti (Michèle), La Marine de Napoléon III, Paris, 1997, t.II, p.877].
Fatigué par cette longue campagne, Rigault de Genouilly obtint son rappel. Le 18 octobre, le contre-amiral Page, son camarade de promotion de Polytechnique, arrivait à Tourane et le 1er novembre, après trente-deux mois de commandement, il lui transmettait la suite. Les adieux furent chaleureux. « Tous les officiers et une foule de soldats, accourus de tous les points du camp, l'accompagnèrent jusqu'à la plage où l'attendait le canot de la frégate. Il s'y embarqua après avoir serré la main de ses anciens compagnons d'armes et le canot s'éloigna aussitôt. A mesure qu'il passait près des navires au mouillage, les équipages échelonnés dans les haubans firent retentir la rade de leurs bruyantes et sympathiques acclamations ». [Benoist de La Grandière, op.cit. p.55]
Cette affaire d'Indochine avait été engagée par Paris avec une grande légèreté. Le gouvernement de Napoléon III s'était basé sur de faux renseignements, avait gravement sous-estimé un adversaire qui fit preuve de beaucoup de courage et d'habileté. Enfin, l'organisation de l'expédition a posé d'énormes problèmes de logistique pour soutenir des opérations à 13000 miles de la métropole. On a pu mesurer le handicap que constituait l'absence d'un réseau de bases navales françaises, ce qui plaçait la flotte dans la dépendance des établissements étrangers : Le Cap, Hong Kong, Macao, Manille, Singapour. Placé par les circonstances dans une situation qui cumulait toutes les difficultés politiques, militaires, diplomatiques, sanitaires, Rigault de Genouilly avait fait face et réussi à tirer le meilleur parti possible d'une affaire bien mal engagée. Il était donc normal que, rentré en France, l'Empereur lui exprimât sa satisfaction en lui conférant la médaille militaire qui venait d'être créée en 1852 pour récompenser à la fois les soldats et sous-officiers qui s'étaient particulièrement distingués mais aussi les officiers généraux ayant commandé en chef.
En janvier 1860, il reprit sa place au Conseil d'Amirauté et, en juillet, était nommé sénateur. (On remarquera au passage que le Second Empire fut le seul régime politique français à se soucier d'associer des marins aux conseils du gouvernement). En janvier 1862, il prenait le commandement de l'escadre d'évolutions en Méditerranée et arbora sa marque sur la Bretagne puis sur la Ville de Paris qu'il avait autrefois commandée en Crimée. Dans ses « Souvenirs maritimes », le capitaine de frégate Souville décrit ainsi le chef qu'il eut l'occasion d'approcher : « L'amiral Rigault arrive à l'escadre précédé d'une réputation faite. C'est un homme imposant d'extérieur, très haut et très empanaché, chef capable et sévère habitué à se faire obéir...pompeux et théâtral, il exerce moins l'attraction qu'il n'inspire le respect... l'amiral est de haute taille et de lourde corpulence, il a des gros yeux ronds et fixes, les cheveux longs, la figure impassible, la parole lente et sentencieuse... le c?ur haut et la main large » [Le registre matricule de Polytechnique lui donne une taille de 1,78 m, grand pour l'époque]. Souville concluait qu'avec un tel chef l'escadre était « en des mains dignes d'elle ». Cet avis fut partagé par l'Empereur puisque, quand Rigault de Genouilly quitta son commandement en janvier 1864, il lui confia la dignité d'amiral et la plaque de grand officier de la Légion d'honneur.
Il s'attacha alors à combler une grande lacune du dispositif maritime français pour lequel notre pays était très en retard sur la Grande-Bretagne : le sauvetage en mer. Alors que la Royal Institution For Preserving Life From Shipwreck fonctionnait depuis 1824, rien de semblable n'existait en France. Or, à cette époque, les naufrages étaient fréquents et quelquefois dramatiques comme celui, le 15 février 1855, de la frégate la Sémillante, en route vers la Crimée, qui se brisa dans la tempête dans le détroit de Bonifacio, faisant plusieurs centaines de victimes dont beaucoup auraient pu être sauvées si on avait disposé de moyens de sauvetage. Cette catastrophe fut-elle à l'origine des décisions qui vont suivre ? On en discute encore. En fait, la réaction des pouvoirs publics fut assez lente puisqu'on attendit 1861 pour créer une commission chargée d'étudier les mesures à prendre. On se hâta lentement car la création, suivant les recommandations de cette mission, de la Société centrale de sauvetage des naufragés, ne fut confirmée que par le décret du 17 novembre 1865 qui la reconnaissait d'utilité publique. L'Impératrice Eugénie fut déclarée protectrice de la Société et la famille impériale offrit plusieurs canots de sauvetage. Le premier président fut l'amiral Rigault de Genouilly qui conserva ses fonctions jusqu'à sa mort. Mais une tâche bien plus lourde l'attendait. Le 20 janvier 1867, Napoléon III l'appelait à diriger le Ministère de la Marine où il succédait au marquis de Chasseloup-Laubat, député de Charente-Inférieure.
L'amiral allait avoir, pendant un peu plus de trois ans, la charge d'administrer une des plus belles flottes que la France ait jamais possédées, l'une des plus équilibrées et aussi l'une des plus en pointe sur le plan technique. A cette époque le Ministère de la Marine disposait d'attributions très larges qui en faisaient un véritable Ministère de la mer. Outre la flotte de combat, il avait autorité sur la marine marchande, l'inscription maritime, les pêches maritimes, la domanialité du littoral et les colonies, ce qui assurait un poids politique important dans les conseils du Gouvernement.
La flotte de guerre se plaça évidemment au centre des préoccupations du nouveau ministre qui ne négligea aucun des aspects tant matériels que personnels qui s'imposaient en ces temps de mutations techniques accélérées. En 1867, la flotte française était la deuxième du monde après la flotte anglaise avec environ 400 unités dont 34 bâtiments cuirassés. Il fallait maintenir ce niveau malgré une tendance à la diminution des budgets, conséquence du mouvement pacifiste qui se développait bien malencontreusement à la veille de la guerre de 1870 dans une classe politique qui, après avoir refusé les réformes et les aides indispensables, se lança en juillet 1870, dans un bellicisme d'une rare inconséquence. Polytechnicien, Rigault de Genouilly ne pouvait manquer de s'intéresser au progrès technique et aux armes nouvelles. Poursuivant la politique de ses prédécesseurs, il obtint la mise en chantier de bâtiments puissants : quatre cuirassés armés de pièces de 240 et de 270, protégés par des blindages de 220 mm, trois corvettes cuirassées dont les deux premières, La Galissonnière et La Triomphante avec leurs six canons de 240, s'illustreront en 1884-1885 lors de la campagne de Chine de l'escadre Courbet. Soucieux d'efficacité, il aurait voulu débarrasser la flotte de certaines unités inutiles comme les 60 avisos dont il prétendait qu'aucun, qu'il soit en bois ou en fer, ne possédait les qualités d'endurance indispensables à ce type de bâtiment. On en était alors aux premiers essais de torpille et Rigault de Genouilly suivit de près les premiers projets de bateaux porte-torpilles étudiés en 1868 par l'ingénieur Lagane, puis les projets du lieutenant de vaisseau Farcy, inventeur en 1870 d'une chaloupe porte-torpille cuirassée. Devinant l'avenir de ces armes nouvelles apparues pendant la guerre de Sécession aux Etats-Unis, il fit décider en novembre 1868, la création de l'école des torpilles de Boyardville qui deviendra pendant des années le champ d'expériences des armes nouvelles.
Le ministre ne s'intéressait pas qu'au matériel. La gestion du personnel fit aussi l'objet d'importantes améliorations. En décembre 1868, il obtint une progression sensible des soldes dont bénéficiaient surtout les jeunes officiers, puisque l'augmentation fut de 25% pour les officiers subalternes, 15% pour les officiers supérieurs et 6% seulement pour les officiers généraux.
Pour le personnel, les bouleversements techniques en cours nécessitaient des adaptations. Rigault de Genouilly obtint une augmentation sensible du nombre des mécaniciens principaux de manière à pouvoir en temps de guerre, en placer un sur tous les grands bâtiments.
Soucieux non seulement de progrès technique mais aussi de promotion sociale, même si le mot n'était pas encore à la mode, il prendra dans ces domaines des décisions importantes. Constatant que les écoles de maistrance ne correspondaient plus aux besoins de la flotte car leur niveau d'études était devenu insuffisant, il mit au point une réforme radicale qui devait permettre de former des personnels de meilleure compétence pouvant prétendre accéder ensuite aux corps d'ingénieurs. Le décret du 8 février 1868 divisait en deux les écoles de maistrance avec des écoles préparatoires dans les cinq ports, à Indret et à Guérigny, et des écoles normales de plus haut niveau à Brest et à Toulon. La scolarité était payée et comptée comme temps de service. Les élèves étaient recrutés par concours parmi les ouvriers des arsenaux et les officiers mariniers. La mise en place de ces écoles ne fut effective qu'au début de 1870 de sorte que ce fut la III ème République qui en tira profit.
Autre souci important du ministre : la lutte contre l'analphabétisme. Si les lois Guizot de 1833 avaient organisé l'enseignement primaire, elles n'étaient pas allées jusqu'à le rendre obligatoire, de sorte qu'un certain nombre de jeunes recrues entraient au service sans aucune culture. Rigault de Genouilly va faire de la marine une vaste institution d'enseignement en créant à bord une école élémentaire avec cours de lecture, écriture et calcul, une école de comptabilité, une d'escrime, une de natation et quelquefois une de musique. Le décret du 4 mars 1868 créait le brevet d'instituteur élémentaire de la flotte et organisait des cours préparatoires à Cherbourg, Brest et Toulon pour former des instituteurs. L'instruction du 25 mai 1870 établissait que « l'instruction élémentaire du 1er degré était obligatoire pour tout marin illettré ». La Marine devançait ainsi de près de quinze ans les lois de Jules Ferry sur l'enseignement obligatoire.
Dès avril 1867, Rigault de Genouilly avait décidé de généraliser les bibliothèques de bord sur tous les bâtiments ayant plus de cinquante hommes d'équipage. Destinées à la fois à l'instruction et au divertissement, elles comprenaient de 50 à 120 livres suivant la taille des bâtiments et on y trouvait des ouvrages techniques, scientifiques, des récits de voyages et de campagnes, des romans.
Si Rigault de Genouilly s'occupa beaucoup de la base, il ne négligea pas non plus le sommet. Depuis sa véritable création au temps de Louis XIV et de Colbert, la Marine avait toujours manqué d'une tête pensante, d'un état-major chargé de définir la politique navale, d'en suivre le développement, de préparer et de conduire les opérations à l'instar de ce qui existait en Angleterre avec l'Amirauté. Sous Louis XVI, le maréchal de Castries avait tenté de combler cette lacune en créant un embryon d'état-major mais la Révolution s'empressa de le supprimer. Rigault de Genouilly fut, semble-t-il, le premier à songer à remédier à cette déficience en obtenant, le 8 avril 1868, la création d'un poste de chef d'état-major général de la Marine. Mais, pour des raisons mal éclaircies, cet officier général ne reçut que des fonctions administratives de coordination «pour la prompte solution des nombreuses affaires qui exigent le concours de plusieurs directions». Il ne s'agissait donc nullement du véritable chef militaire dont la Marine avait besoin. La véritable solution ne sera adoptée, après plus de quarante ans de tâtonnements, qu'après la première guerre mondiale. [Voir à ce sujet : Capitaine de vaisseau Castex, Questions d'état-major. Principes, organisation, fonctionnement, Paris, 1923].
Dans un autre domaine, le Second Empire vit apparaître une préoccupation sinon nouvelle, tout au moins de plus en plus importante : le renseignement et la recherche d'informations sur l'évolution des marines étrangères. Le premier poste d'attaché naval fut ainsi créé à Londres en 1860. Conscient de la rapide montée en puissance des Etats-Unis, Rigault de Genouilly proposa en octobre 1867, la création d'un poste identique à Washington qui permettrait de suivre les progrès américains dans le domaine naval, qui venaient d'être mis en évidence par la guerre de Sécession. Mais le ministre des Affaires Etrangères ne jugea pas utile de donner suite à cette proposition et le poste ne sera créé enfin qu'en 1898. [Paroukian (Virginie), Le poste d'attaché naval français à Washington, Mémoire de maîtrise. Paris I. 2002, p. 16.
Salkin (Geneviève) Marins et diplomates. Les attachés navals. 1860-1914. Paris, Service historique de la Marine. 1990].
Dans les affaires coloniales, Rigault de Genouilly s'attacha surtout aux questions indochinoises. S'il soutint la politique d'expansion en Cochinchine, ce ne fut pas, en raison de son expérience du pays et de ses habitants, sans une grande prudence. Le 16 mai 1867, il recommandait au gouverneur, l'amiral de La Grandière, d'éviter «tout ce qui pourrait inquiéter la Cour de Hué et d'attendre son autorisation soit pour reprendre ses démarches auprès de cette Cour, soit pour employer contre elle des moyens comminatoires. » La Grandière ne suivit pas ces recommandations et, du 20 au 24 juin 1867, occupa sans combat puis annexa les trois provinces cochinchinoises de Vinh-long, Chau-doc et Ha-Tica. Le ministre exprima son mécontentement devant cet acte d'indiscipline mais Napoléon III décida d'accepter le fait accompli et La Grandière reçut carte blanche pour renégocier le traité de 1862.
Un des principaux soucis de Rigault de Genouilly fut certainement de préparer la Marine à une guerre contre la Prusse qui devenait menaçante en raison de la politique expansionniste conduite par Bismarck. Mais le ministre fut gêné par l'extraordinaire aveuglement de l'opinion publique et de la classe politique. Thiers, Jules Simon, Jules Favre, Gambetta soutenaient que la France devait donner l'exemple du désarmement en proclamant la République, donc la paix entre les peuples. Comme l'a justement noté François Caron : « On se résignait à la guerre sans vouloir la préparer. Chez certains, la haine de la dynastie étouffait les sentiments patriotiques ». [Caron (François), La France des patriotes, dans Histoire de France dirigée par Jean Favier, Paris, 1985, p. 184].
En dépit de ce climat pacifiste, la Marine avait préparé dès 1867 deux projets d'attaque contre les côtes prussiennes élaborés l'un par l'amiral Bouët-Willaumez, l'autre par l'amiral Laffon de Ladébat, qui préconisaient l'un et l'autre une opération ambitieuse de débarquement sur les côtes de la Baltique, les rivages prussiens de la mer du Nord ne se prêtant pas, du fait des difficultés de navigation, à des entreprises de ce genre. Mais rien de précis ne sortit de ces projets. La question fut reprise en 1869 sous l'impulsion de Rigault de Genouilly qui fit créer une commission mixte Guerre-Marine pour étudier le principe d'une opération combinée. Présidée par le vice-amiral Touchard, elle comprenait quatre officiers de marine et autant de représentants de l'armée de Terre et mena un travail très précis visant au transport de 45000 hommes, 8600 chevaux et un millier de voitures. Approuvé par le ministre, ce plan fut transmis au ministère de la Guerre et la Commission fut dissoute en mai 1869. Au même moment, le capitaine de vaisseau Palasan de Champeaux était envoyé en mission d'études sur les côtes prussiennes.
Une telle opération présentait d'énormes difficultés diplomatiques, d'abord. Elle supposait la coopération du Danemark que le ministère des Affaires Etrangères ne sut pas obtenir. Militaires ensuite : la Baltique n'était pas une mer très familière aux marins français et la flotte ne disposait ni de bâtiments aptes à naviguer dans les eaux peu profondes ni de chalands de débarquement. On avait, de plus, cru bon de dissoudre la Commission qui aurait pu travailler utilement à la préparation d'une affaire très complexe, mais on avait fait beaucoup plus en Crimée.
De l'aveu explicite de Rigault de Genouilly, en juillet 1870, « la Marine n'est pas prête ». Du fait de la réduction des budgets, il avait fallu mettre en réserve un certain nombre de bâtiments et réduire les effectifs du personnel de sorte que la flotte se trouvait, aux dires du ministre lui-même, « dans une situation tout à fait pacifique ». Lorsque la crise éclata et s'aggrava avec une rapidité imprévue, la division cuirassée du Nord était en man?uvres dans le Golfe de Gascogne et l'escadre d'évolutions à l'entraînement vers Malte. Dès le 6 juillet, le ministre décida la mobilisation de la flotte et le réarmement des cuirassés en réserve, ce qui assurerait à la France une supériorité écrasante sur mer mais, à l'évidence, personne ne s'attendait à ce conflit dont la déclaration fit, selon Rigault de Genouilly lui-même, l'effet d'une bombe. L'effort des arsenaux fut immédiat et intense puisque du 6 juillet au 4 septembre, date à laquelle l'amiral quitta le ministère, 79 bâtiments de tous types furent réarmés. L'impulsion énergique donnée par le ministre fut donc efficace.
La première mission de la flotte était d'assurer le transport vers la France des troupes stationnées en Algérie. L'escadre d'évolutions s'en chargea avec le concours des paquebots des messageries impériales. Comme on le refera en 1914, on s'exagéra beaucoup la menace prussienne qui était inexistante en Méditerranée mais les services de renseignements étaient très déficients et cette erreur d'appréciation retarda l'organisation de l'expédition prévue en Baltique. Les préparatifs de celle-ci furent beaucoup trop lents et il y eut des divergences sur le choix de l'officier général appelé à en prendre le commandement. Rigault de Genouilly, selon certains, aurait souhaité assurer ces fonctions tout en restant ministre, ce qui semblait peu réaliste. Napoléon III choisit le vice-amiral Bouët-Willaumez, qui s'était illustré en Crimée comme Chef d'état-major de l'amiral Hamelin. Les deux amiraux ne s'entendaient pas, ce qui ne facilita pas une préparation de toute manière difficile : incertitudes persistantes sur la composition du corps expéditionnaire, difficultés d'armement des transports, incertitudes aussi sur la position du Gouvernement danois. Vu l'état d'impréparation générale, ce n'était évidemment pas en quelques semaines que l'on pouvait espérer régler tous ces problèmes. Et certains grand chefs comme le vice-amiral de La Roncière, ne croyait guère à la volonté réelle de mener à bien une opération aussi complexe.
Pendant qu'on se livrait aux préparatifs, les premières grandes défaites de l'armée en Alsace, Wissembourg le 4 août, Froeschwiller et Spichere le 6, vinrent tout remettre en question. Pouvait-on envisager de distraire des troupes pour aller mener en Baltique une opération de diversion bien aléatoire ? Le renoncement s'imposait et l'escadre du nord aux ordres de Bouët-Willaumez se borna à opérer en mer du nord le blocus des côtes prussiennes pour lequel l'absence de bâtiments adaptés à ce type d'opérations se fit cruellement ressentir. Les canonnières, qui auraient pu être utiles, se trouvaient dispersées outre-mer, principalement en Extrême-Orient. Le blocus, décrété le 15 août, confié à des grandes frégates cuirassées, mit à rude épreuve bâtiments et équipages pour une efficacité discutable et incertaine.
Comme toujours quand les affaires tournent mal, la Marine fit l'objet de nombreuses critiques mais personne ne songeait à analyser la situation avec objectivité et à mesurer rationnellement ce que pouvait faire la flotte dans des circonstances telles qu'elles étaient à la fin d'août 1870. En admettant même que Rigault de Genouilly ait mérité des reproches sur les lenteurs de certains armements, il était évident que la Marine ne pouvait pallier les conséquences de l'effondrement si rapide du front terrestre qui la mettait hors d'état de jouer le rôle qui aurait dû normalement être le sien. Elle vint donc au secours de l'armée de terre, non plus seulement avec ses gros canons comme en Crimée, mais aussi avec ses hommes. Dès les premières défaites d'Alsace, on commença à débarquer massivement fusiliers et canonniers pour les envoyer aux armées. Dès juillet, Rigault de Genouilly avait pris des dispositions pour la défense de Paris qui, lors du siège, sera assurée en grande partie par des marins. A la fin de juillet, cent canons de marine arrivaient et neuf secteurs des fortifications seront commandés par huit amiraux et un général d'infanterie de marine, le tout sous les ordres du vice-amiral de La Roncière. Une flottille fut constituée fin août sur la Seine avec cinq batteries flottantes de rivière, neuf canonnières, six vedettes et six canots, le tout armé par 17 officiers et 490 marins commandés par le capitaine de vaisseau Thomasset. La Marine prêta à la guerre, pour la seule défense de Paris, 1700 canonniers pour le service des forts, douze bataillons de marins commandés par des capitaines de frégate et quatre bataillons d'infanterie de marine, en tout 13400 hommes qui se distingueront par leur discipline qui contrastait avec le laisser-aller général. La mise sur pied de guerre des forts de l'enceinte parisienne nécessita un énorme travail pour ces marins car ils se trouvaient, au début d'août, en situation de paix de sorte que rien n'était prêt pour d'éventuels combats. Comme le précise justement Michèle Battesti, « contrairement aux idées reçues, c'est moins la marine qui n'est pas prête à la guerre que le gouvernement français » et peut-on ajouter la nation toute entière qui ne se réveilla que quand il était trop tard.
L'effondrement du régime impérial auquel Rigault de Genouilly était très attaché, mit fin, le 4 septembre 1870 à ses fonctions de ministre de la Marine et à une carrière active qui se prolongeait depuis 45 ans. L'amiral ne se désintéressera pas pour autant des choses de la mer puisqu'il se consacra jusqu'à la fin de sa vie à cette Société Centrale de Sauvetage des Naufragés dont il avait été le président-fondateur. Lors de l'enquête parlementaire de 1872 sur les événements de l'année terrible, il exposa longuement le rôle joué par la Marine. Peu avant sa mort, survenue à Paris le 4 mai 1873, Rigault de Genouilly avait eu l'élégance de refuser de présider le Conseil de guerre chargé de juger Bazaine. L'amiral sera inhumé dans sa ville natale, au cimetière de Rochefort où son mausolée existe toujours. Maxime du Camp, qui l'a bien connu, écrit : « c'était un homme de fer que Rigault de Genouilly, dur aux autres, plus dur à lui-même, inflexible en toutes choses, n'ayant jamais pâli devant le danger » [Du Camp (Maxime), Souvenirs d'un demi-siècle, t.II. p.70]. Personnalité éminente dans un corps qui en comptait beaucoup, l'amiral n'a-t-il pas parcouru, des rivages de la Morée aux mers de Chine, des premiers navires à vapeur aux responsabilités ministérielles, la plus magnifique carrière qu'un marin puisse rêver ?
Au XVII° un pélerin japonais dessine le premier plan connu d'Angkor Vat. Ce plan sera découvert au Japon en 1911.
Il vivait entre Bangkok et Battambang. Ce fut "Le premier touriste à Angkor". Ses descriptions, publiées en France en 1857, (Voyage en Indochine 1848-1856, L'Annam et le Cambodge) serviront à Henri Mouhot...
Alexandre Henri Mouhot est né à Montbélliard en 1826 de parents peu fortunés.
Dès 18 ans il enseigne le français à Saint-Petersbourg et sillone la Russie des Tsars, de la Crimée à la Pologne pendant douze ans.
A 30 ans, établi dans l'ile de Jersey, il épouse la fille de Mungo Park, le plus illustre explorateur britannique de l'époque.
Entre 1858 et 1861, il effectue trois expéditions au Siam et en Indochine. En mission pour la British Royal Geographic Society, il découvre par hasard le site d'Angkor fin novembre 1859.
Il meurt au cours de sa troisième expédition (1860) au Laos en novembre 1861, emporté par une fièvre, la première qu'il eut connu, à l'âge de 35 ans.
Avant lui, un seul homme à sa connaissance, un missionnaire français, avait pénétré le coeur du Laos. Il fut le premier français à visiter Luang Prabang, dont le roi lui donna droit de vie et de mort sur tous ses sujets. Sa dépouille fut inhumée par les soins de ses compagnons indigènes dans le village de Ban Phanom (Peunom, à une dizaine de kilomètres de Luang Prabang). Doudart de Lagrée y éleva un monument en 1867, détruit par un débordement de la rivière Nam Khan. Pavie le fit reconstruire en 1887 :
"Je m'entendis avec les chefs du village pour la construction d'un monument durable, et d'une maisonnette pouvant abriter le temps d'un repas, les visiteurs dont le but serait de venir saluer à sa dernière demeure, le bon voyageur qui, au Laos, fit le premier aimer le nom français."
Il fut restauré par l'EFEO en 1951 et par la ville de Montbéliard en 1990.
Mouhot fut le premier occidental à vanter auprès du grand public les merveilles d'Angkor (1861). Ses descriptions publiées en France dans le journal le "Tour du Monde" et la Bibliothèque Rose après sa mort au Laos firent sensation.
Ethnographe allemand. Il fut le premier à associer le modèle architectural indien aux monuments d'Angkor.
Polytechnicien, marin, acteur principal du Protectorat de la France sur le Cambodge (1863) qui incluait alors la région d'Angkor.
Quatre ans plus tard, alors qu'il était en mission d'exploration du haut Mékong avec Francis GARNIER , un traité secret franco-siamois cédait les provinces de Battambang et de Siemreap au Siam qui, en échange, abandonnait toute prétention sur le reste du Cambodge. Ces provinces seront retournées au Cambodge en 1907.
Sa première mission au Cambodge porta sur Angkor et les autres sites archéologiques On lui doit le premier plan précis des temples.
La mission Doudard de Lagrée-Garnier (1866-1868) consistait à explorer le haut-Mékong pour ouvrir une voie vers la Chine. Il mourut en 1868, au cours de cette mission, dans le Yunnan.
Moura a été le premier à tenter une reconstitution des lignées royales du Cambodge. Ses travaux sont encore incontournables.
Issu d'une famille protestante de vieille souche, il entra en 1867 à l'Ecole navale et fut nommé en 1870, l'année de la mort de son père. Il découvrit d'abord la mer du Nord et la Baltique, aborda ensuite à l'île de Pâques et à Tahiti, puis séjourna, en 1876, à Istanbul, où il s'éprit de la belle Hakidjé, l'Asiyadé de son premier roman, paru en 1879.
Il fut promu lieutenant en 1881 et publia la même année Le Roman d'un spahi, que suivirent l'idylle polynésienne Le Mariage de Loti (1882) et Mon Frère Yves (1883), histoire d'un marin qui parvient à tenir en échec son ivrognerie héréditaire.
Il fit avec distinction la campagne du Tonkin, mais se mit à dos le ministère Ferry en décrivant dans Le Figaro les atrocités commises au moment de la prise de Hué. Après une brève sanction, il fut renvoyé en Extrême-Orient et fit un mois d'escale à Nagasaki.
Son succès grandit avec Pêcheur d'Islande (1886) et Madame Chrysanthème (1887), qui contribuèrent à renforcer la réaction contre le naturalisme. A partir de 1888, il obtint de nombreux congés pour des voyages personnels et renonça presque totalement à l'agencement de fictions, préférant publier telles quelles ses impressions du Maroc, de l'Egypte, de la Terre Sainte: citons Au Maroc (1890), Vers Ispahan (1904), Un pèlerin d'Angkor (1912).
Après avoir commandé, de 1891 à 1895, une canonnière stationnée sur la Bidassoa, il participa, en 1900, à la guerre de Chine contre les Boxers et fut promu capitaine de vaisseau en 1906. Admis à la retraite, il demanda à servir en 1914 et fut appelé l'année suivante.
Dans un de ses derniers livres, il dénonça L'Horreur allemande (1918). Candidat à l'Académie française en même temps que Zola, il fut élu en mai 1891 et reçu en avril 1892
Dessinateur habile, compagnon de Doudart de Lagrée auquel il succéda comme chef de la mission du Mékong, il fut ensuite en charge d'une mission d'études sur les monuments khmers qu'il publia sous le titre " Voyage au Cambodge ".
Ses envois de statues et d'estampages de gravures en France accélèrent la connaissance d'Angkor. Il se démène beaucoup à Paris pour faire connaître l'art khmer.
Marin et épigraphiste il fait le premier inventaire des monuments du Cambodge.
Résident Général du Protectorat, auteur d'une étude en trois volumes sur le Cambodge qui donne pour la première fois les traductions des inscriptions trouvées sur le site.
Lunet de la Jonquière, continuant le travail d'Aymonier, recense et numérote 910 monuments.
1899 : Fondation de l'Ecole Française d'Extrême-Orient qui créa en 1908 la Conservation d'Angkor.
Troupes alliées entrant dans Pékin par la porte Tcâo-Yant le 22 Octobre 1860.
Corps expéditionnaire Français 26 Novembre 1859
Francis Garnier est né à Saint-Etienne le 25 juillet 1835. Après des études au lycée de Montpellier, il est admis à l'école Navale en 1855. Une première campagne l'emmène vers les mers du sud, puis il s'aventure en 1859 sur le Duperré qui part pour la Chine. Au cours de cette traversée, il se jette à l'eau en pleine nuit pour sauver un camarade emporté par une lame. Il a vingt-et-un ans et le grade d'enseigne de vaisseau lorsqu'il découvre la Chine, pays qui ne cessera plus de le fasciner.
Sous les ordres de l'amiral Charner, il participe à la prise de Pékin et au sac du Palais d'Eté par les troupes franco-britanniques. En 1863, il rentre dans le corps de l'Inspection des Affaires indigènes. Il est nommé administrateur à Cholon, ville proche de Saïgon. Le contact et la richesse de la civilisation chinoise le passionnent et c'est à cette époque qu'il publie ses premiers ouvrages documentaires : "La Cochinchine" et "De la colonisation de la Cochinchine" où apparaît l'idée de l'exploration du Mékong au cours encore inconnu.
L'expédition soutenue par le président de la société de géographie, M. Chasseloup-Laubat, se forme. L'expédition quitte Saïgon le 5 juin 1866 sous les ordres du Commandant Doudard de Lagrée ; Francis Garnier en est le second La mission a trois buts : scientifique, politique et diplomatique.
Francis Garnier fut avec le Commandant Doudard de Lagrée l'un des moteurs de la mission française de 1866 en Extrême-Orient, mission marquant le début de la présence coloniale de notre pays dans ce qui devait devenir l'Indochine.
Il leur faut 16 mois pour pénétrer en Chine et atteindre le Sông Koi débouché normal du Yunnan. En novembre 1867, une révolte locale oblige Francis Garnier à s'écarter du Mékong avec une partie de sa troupe, laissant en arrière Doudard de Lagrée, malade. Il explore inlassablement toute la région. Au retour, il apprend la mort de son supérieur et prend alors le commandement. Il atteint la vallée du Yang-Tsé-Kiang. Il rencontre à Han-K'eou Dupuis qui cherche à établir une voie commerciale par le Sông Koi. De Shanghaï, il regagne Saïgon le 28 juin 1868. Au terme de cette expédition, il rentre en France, est affecté au "dépôt des cartes et plans de la Marine" et y rédige le rapport de sa campagne en Cochinchine. Il devient membre de la société géographique où il fait cet éloge de son chef disparu : "L'exploration du Mékong, que le Commandant de Lagrée avait comprise si grande, et qu'il a réalisé si complète, restera sienne ; ses glorieux et féconds résultats sont à jamais inséparables du nom d'Ernest Doudard de Lagrée."
Cette expédition fût fondamentale. Sur 10 000 km dont 4 000 à pied, 2 000 sur le Mékong et 500 sur le Yang-Tsé, les résultats recueillis jetèrent les bases de la politique tonkinoise de Jules Ferry. La voie du Mékong est reconnue impraticable pour accéder à la Chine du Sud et Françis Garnier milite en faveur d'une reconnaissance du Fleuve Rouge et l'établissement d'une présence française dans les ports du Tonkinois. Cette idée, il en a longtemps parlé avec le négociant Dupuis à la fin de son voyage alors qu'il passait à Han Kéou.
En 1871, Francis Garnier reçoit la Grande Médaille d'or de la Société de Géographie, honneur qu'il partage avec Livingstone.
Pendant la guerre de 1870, il reste à Paris comme Chef d'Etat-major de l'Amiral Mequet.
Ayant remis en 1872 son rapport de campagne, il sollicite un congé de trois ans sans solde afin de repartir à titre personnel pour la Chine.
Il quitte donc la France avec sa femme, qu'il a épousé en 1870, et s'installe à Shanghaï. Il se livre au commerce avec des maisons de Limoges, Lyon et Bordeaux. Son but est de poursuivre l'œuvre géographique de l'expédition de Doudard de Lagrée, de reconnaître jusqu'au Tibet le cours supérieur du Mékong mais aussi d'essayer de jouer le médiateur entre le pouvoir impérial chinois et les rebelles musulmans qui épuisent le pays.
C'est en solitaire qu'il explore ces régions pendant six mois, avant d'être rappelé par l'Amiral Dupré, gouverneur de la Cochinchine.
En Juillet 1873, le lieutenant de vaisseau Francis Garnier, alors en expédition en Chine Centrale, est rappelé à Saïgon par l'amiral Dupré. Celui-ci lui donne les pleins pouvoirs pour régler au Tonkin un différend qui oppose quelques colons français menés par le commerçant aventurier Jean Dupuis aux autorités de Hanoï. Francis Garnier, officier en congé, se voit confier le commandement d'une troupe de 50 soldats de marine. Le 11 octobre 1873, l'aviso d'Estrée quitte le port de Saïgon pour mouiller le 23 à l'entrée du Fleuve Rouge. L'accueil des missionnaires catholiques espagnols est mitigé.
Le 5 novembre, Francis Garnier débarque à Hanoï où il retrouve Jean Dupuis. 60 soldats viennent renforcer sa troupe de même que les 150 aventuriers français, grecs et chinois de Dupuis. Il veut imposer l'ouverture du fleuve au commerce contre la volonté du maréchal Nguyen Tri Phuong. N'y parvenant pas par la voie diplomatique, Garnier s'empare sans coup férir de la citadelle le 20 novembre.
Il prend en main le gouvernement du Tonkin. Puis, il envoie des détachements occuper les principales places du delta. Ainsi du 21 au 4 décembre, tombent Phu-hoai, Phu-ly, Hai-duong, Nam-dinh, Ninh-binh ... Devant la débâcle, une sorte de champs de guerre s'installe où des bandes de semi-réguliers chinois sèment la terreur. Le 21 décembre, alors que les négociations étaient sur le point d'aboutir, la citadelle est attaquée par les "Pavillons Noirs". Les Français résistent courageusement aux assaillants et les obligent à se replier. C'est alors que Francis Garnier sort de la citadelle avec plusieurs hommes et un canon à la poursuite de l'ennemi. A six cent mètres de là, il abandonne le canon et continue sa course avec trois hommes. C'est un piège. En tentant de passer une digue dans les rizières, il trébuche et, se trouvant isolé, est mortellement frappé par les "Pavillons Noirs". Ne le voyant plus, ses compagnons se rapprochent et trouvent son corps décapité. Des témoins diront que son état d'excitation provenait d'un accès de fièvre chaude. Non loin de là, l'enseigne Balny et trois de ses hommes subissent le même sort.
Françis Garnier est mortellement frappé au cours des combats du 21 décembre 1873. Son corps sera décapité. Sa dépouille est ramenée à Saïgon où il est inhumé en 1875 aux côtés de Doudard de Lagrée.
Garnier deviendra un symbole pour tous ceux pour qui le fleuve rouge constitue une voie commerciale vers la Chine du sud (le Yunnan).
Telle fut la vie de ce pionnier de la présence française en Asie.
Par le rôle essentiel qu'il joua dans le succès de la mission d'exploration du Mékong, par les réflexions que lui inspirèrent ses voyages en Chine et sa parfaite connaissance de l'Empire du Milieu, par les œuvres qu'il publia au retour de ses expéditions, Francis Garnier demeure l'un des artisans de l'ouverture de l'Asie au monde occidental.
Dans la nuit du 1er au 2 mars 1983, les corps de Garnier et de Doudard de Lagrée furent exhumés et incinérés. Le consul général de France à Ho Chi Minh ville, à qui l'on remis les urnes, le 2 mars 1983, les confia au capitaine de vaisseau "La Jeanne d'Arc" qui les ramena en France. Le jeudi 23 avril 1987, une brève mais émouvante cérémonie au cours de laquelle l'urne contenant les cendres de Francis Garnier était confiée par le capitaine de vaisseau (H) Besancon, descendant de l'illustre marin, à la ville de Paris pour être enchassée dans le socle d'un monument, situé à la rencontre du boulevard Saint-Michel et de la rue d'Assas.
Etaient présents notamment les membres de la famille de Francis Garnier dont le capitaine de corvette Besancon, ancien commandant de l'aviso Premier maître L'Her, le vice-amiral d'escadre Denis représentant le Chef d'Etat-Major de la Marine, le capitaine de vaisseau Cottin Commandant la Marine à Paris. La section d'honneur de la Marine à Paris rendait les honneurs. Monsieur Didier Bariani, adjoint au maire de Paris, Secrétaire d'Etat auprès du Ministre des Affaires Etrangère et représentant Monsieur Jacques Chirac présidait cette cérémonie. Les cendres de Francis Garnier ont désormais quitté la nuit indochinoise pour retrouver le sol de Paris.
Mission explorant le Mékong en 1866 A l'extrème gauche Francis Garnier
Capitaine Doudard de Lagrée en 1868
Ruines d'Ankkor-Vat vues par Doudard de Lagrée lors de son expédition avec Garnier en 1866
Campement aux abords des rapides de Keng Chan (Siam) en 1867
En 1872 ci-dessus
Mort Fr. Garnier 21 Décembre 1873- Poste de pavillons Noirs en 1872
Carte Tonkin fin 1873
Prise de Hanoï le 19 novembre 1873
Temple de l'esprit du roi à Hanoï où Garnier pris résidence fin novembre 1873
Départ pour Phu Thong le 1er Décembre 1873
Prise de Haï Duong le 3 Décembre 1873
Distribution d'armes aux volontaires indigènes début décembre 1873
Prise de Ninh Binh le 5 décembre 1873
Prise de Nam Dinh le 10 Décembre 1873
Mort de Françis GARNIER le 21 Décembre 1873
Carte Hanoï le 21 Décembre 1873
Prise de Yen Hoa le 24 Décembre 1873
Corps de Françis GARNIER le 21 Décembre 1873
Départ de Hanoï des compagnies du Fleurus et du Décrès le 20 Janvier 1874
Jean Dupuis est né à Saint-Just-la-Pendue, près de Roanne (Loire) le 7 décembre 1829. Ses parents agriculteurs crurent longtemps qu'il reprendrait leur succession. Mais ses rêves étaient ailleurs, séduit dés sa plus tendre enfance par les récits d'aventures. Il séjourna au collège de Tarare (Rhône) jusqu'à dix-huit ans et toujours il nourrissait l'envie de partir pour une destination lointaine. Il espéra que la conscription en l'appelant sous les drapeaux, allait lui permettre de réaliser enfin son rêve : voyager. Hélas ! Le sort devant être contraire au jeune conscrit, qui ayant tiré le n°196, un des plus élevés du canton, se trouva de ce fait exempté. Jean Dupuis resta donc à Saint-Just-la-Pendue. A la même époque vivait au village un façonnier, négociant de tissus et de broderies, qui voyageait à travers la France pour vendre sa production. Ayant noué quelques liens avec ce dernier, le jeune Jean Dupuis délaissa complètement l'exploitation paternelle pour partir avec lui. Sa première exploration fut celle de la France méridionale, mais aussi des départements limitrophes de la Loire. Finalement, il prit goût à cette vie et se mit à son compte.
On était en 1858 et Ferdinand de Lesseps entreprenait le percement du canal de Suez. En 1858, des amis lui proposèrent de les accompagner pour faire des affaires en Egypte. L'occasion était trop belle pour être refusée, mais il craignait la réaction de la sa famille. Alors il se procura en cachette un passeport. Puis sous le prétexte d'un voyage à Marseille, il prit la route d'Alexandrie et ne prévint sa famille qu'une fois arrivé au pays des Pharaons. Dans cette tour de Babel qu'était alors l'Egypte, Dupuis se livra au négoce et ses affaires prospérèrent rapidement. Dupuis comprit très vite qu'une fois terminé, le Canal de Suez serait la porte d'entrée du commerce entre l'Europe et l'Asie. Cependant, la guerre d'Italie qui éclata en 1859, interrompit le percement du canal et, du même coup, arrêta son fructueux commerce. Son désir de voyager et son goût pour l'aventure le poussèrent à aller plus loin. Durant son séjour égyptien, il avait tissé des liens avec un certain nombre de négociants ou de capitaines de la marine marchande. Si bien que l'un d'entre-eux lui donna de précieux conseils, tout en lui proposant une affaire qui s'avéra par la suite fort rentable.
Percevant l'intérêt du passage de Suez avec l'Extrême-Orient, il décida d'y reconnaître la presqu'île indochinoise et la Chine. Pour cela, il fallait que Dupuis rejoigne Shanghaï. Il s'embarqua donc à Suez pour se rendre tout d'abord en Inde, puis ensuite en Chine. Une fois là bas, en 1860, il lui fut expédié une cargaison de marchandises, notamment des vins et spiritueux qui se vendirent à prix d'or. Car à ce moment là, la seconde guerre dite de l'opium donnait dans cette contrée à nos produits une valeur inestimable. Dupuis en profita avantageusement.
Personnalités au pouvoir au moment de l'ouverture du canal de Suez
Carte du Canal de Suez ouvert en 1869
Lors de la signature du traité de Pékin en Octobre 1860, il s'y rendit. Il put profiter du traité dans lequel l'Empire du Milieu était contraint de lever l'interdiction de l'importation de l'opium et ouvrir des ports pour commercer avec les européens Alors qu'il revenait sur Shang-Haï avec la ferme intention de retourner en Egypte, il rencontra, à l'Impérial hôtel, Eugène Simon en mission scientifique. Le traité prévoyait l'établissement de trois ports sur le Yang-Tsé-Kiang, qui devaient être ouverts par la suite au commerce européen. Pour cela, il fallait explorer les lieux afin d'y établir les premières bases de la future coopération commerciale. A force de persuasion, Eugène Simon l'emmena suivre l'amiral anglais Hopp remontant le Yang-tsé-kiang à l'aide de treize navires. Le but de cette expédition était de faire reconnaître le traité aux gouverneurs des provinces traversées, d'y implanter des consuls et d'aller jusqu'au Tibet explorer le fleuve avant de revenir par Pékin. Le sens était contraire au voyage du père Huc en 1844.
Partit avec M. Paks, ancien consul anglais de Canton et véritable négociateur du traité anglo-français, et les explorateurs Sarel et Blakeston, la flotte quitta Shang-haï le 11 janvier 1861 et arriva à Han-Kéou le 11 mars, au confluent du Han-Jiang et du Yang-Tsé, là où seraient installées les concessions étrangères. La flotte fût d'ailleurs stoppée un peu plus loin.
Voyage au Yunnan
Mais Jean Dupuis ne voulait pas se borner à explorer les abords du fleuve, prévoyant un périple beaucoup plus long. Dupuis et Simon avaient prévu de continuer leur route vers le Tibet, Lhassa, le lac Qinghai en gagnant Pékin par la Mongolie. Toujours dans l'optique de faire quelques bonnes affaires, le ligérien avait acheté avant son départ pour quelques milliers de dollars de montres et autres objets européens en espérant les échanger contre de l'or ou des pierres précieuses. Mais les choses ne se passèrent pas comme il l'avait espéré... Ils surent que la route qu'ils devaient emprunter plus tard pour leur grande exploration, était désormais fermée. Il leur fallait donc se résigner à rester là où le bateau les avait déposés.
Simon et Dupuis restèrent à Hankou l'un pour prendre ses renseignements (étude de l'industrie, du commerce et de l'agriculture chinoise) et les transmettre à Paris, le second pour y commercer. Il créa une succursale de commerce en thé, soieries et armes françaises. En ces temps troubles (graves troubles entre les populations musulmanes et les autorités chinoises), les affaires étaient bonnes mais pouvaient être ruinées aussi vite à cause des pirates. Jean Dupuis y resta jusqu'en 1866. Durant cette période, par deux fois Dupuis devint très riche et par deux fois il perdit tout ! La première fois, quatre de ses jonques furent attaquées par des pirates et la seconde, un incendie dévora l'entrepôt où il avait de précieuses marchandises. Il faillit d'ailleurs perdre la vie dans ce sinistre et mit longtemps à se remettre de ce désastre. Mais il sut pourtant rebondir. Tout ce temps passé à Hankou lui avait permis d'adopter les us et coutumes du pays, d'apprendre la langue locale mais également de se faire très adroitement des relations auprès des mandarins et des personnages importants du pays..
Déjà en 1861, Dupuis et son ami Eugène Simon avaient pensé à une voie plus courte vers la mer. Dès 1864, il projeta de mettre en relation avec la mer, les riches provinces de la Chine méridionale, en particulier le Yunnan. Mais celle-ci vivait dans un tel état d'anarchie, qu'il fut contraint de se tourner vers les autorités chi-noises. Il soumit ses projets au gouverneur de la province, le maréchal Mâ, qui fut d'emblée séduit par la proposition du français. Il faut dire que Dupuis lui proposait de lui amener des armes. C'est dans ces conditions qu'il envisagea d'ouvrir une nouvelle voie de communication. La province du Yûn-Nân était riche en produit métallurgiques et le Song-Koï (fleuve rouge) traversant le Tong-Kin menait à la mer de Chine. Cette idée communiquée en 1861 au ministère de la Marine est certainement à l'origine de l'expédition Garnier - Doudard de Lagrée le long du fleuve Mékong de 1866.
En 1868-1869, Dupuis s'était déjà rendu au Yûn-Nân. La rébellion musulmane gagnait contre les bouddhistes et certains mandarins étaient intéressés par l'ouverture d'une voie commerciale. Pour cela, il explora le Fleuve Rouge. Ayant fait à pied et en barque les 8000 km aller - retour entre le Yunnan et la frontière Tonkinoise, il eut l'assurance que le fleuve était navigable jusqu'à la mer. L'exploration partit la première fois de Han-Kéou en septembre 1870 et s'embarqua sur un petit canal aux portes de Yân-nân-sèn le 25 février 1871. Il y traversa ensuite le lac et par terre depuis Kouen-yang-tchéou arriva à Mang-Hao où il s'embarqua avec son seul domestique Yu sur une barque légère avec laquelle il descendit, au milieu de mille périls, le Song-Koï jusqu'à la frontière annamite. La voie était assurée mais la région peuplée de brigands pavillons noirs et jaunes.
Mines d'Or au Haut Tonkin en 1872
Poste de pavillons noirs sur le fleuve Rouge en juin 1883
E. Millot négociant à Shang-Haï et président du conseil municipal de la concession française
Mandarin Tonkinois en 1872
Mais avec l'ouverture de cette nouvelle voie, il obtint du gouvernement du Celeste Empire, l'autorisation d'organiser une expédition militaire (Jean Dupuis la relata cette expédition à la Société géographique de France dans sa séance du 7 février 1877). Il demanda à Paris en 1872, l'adhésion du gouvernement français et eu du ministère la permission d'employer un navire d'état qui le conduirait de Saïgon à Hué pour négocier avec les annamites, administrateurs du Tong-Kin et vassaux de la Chine.
De retour à Saïgon, M. Dupuis reçu du général d'Arbaut, remplaçant par intérim de l'Amiral Dupré la permission d'employer le navire de guerre Bourayne alors en réparation. Il fut finalement décidé de ne s'en servir qu'au Tong-Kin afin de ne pas offenser le pouvoir annamite de Hué. Parti de Hong-Kong le 26 octobre 1872, l'expédition de Dupuis secondé de E. Millot rejoint les environs de Haïphong le 9 novembre où l'attend l'aviso. En attendant son commandant Senez, alors à Hanoï, Dupuis explore l'embouchure du fleuve Rouge. Le 17 novembre le commissaire annamite Ly, gouverneur des 3 provinces maritimes s'entretient à bord du Bourayne avec Dupuis et Senez. Ces derniers, munis de pièces chinoises et faisant miroiter pour la cour de Hué les avantages qu'il y aurait à commercer par cette voie, obtiennent du commissaire un délai de 15 jours durant lequel Hué fera savoir sa position.
Le Bourayne quitte Haï-Phong le 20 novembre 1872 et Dupuis se retrouve seul à attendre l'ordre de départ. Le gouvernement de Hué ne montre guère d'empressement et le 23 novembre Dupuis annonce à Ly qu'à l'expiration du délai de 15 jours, son équipage remontera le fleuve. Il ne reste plus que deux canonnières à vapeurs le Hong-Kiang et le Lâo-Kaï, une jonque à la remorque ainsi qu'une chaloupe à vapeur le Son-Tay qui intrigue tant les autochtones que le vice-roi le visite le 29 novembre. Le 4 décembre 1872, l'expédition, sans aucune autorisation, quitte Haï-Phong avec ses trois navires et vingt-sept français. Après plusieurs jours de recherche, les missionnaires espagnols convainquent Dupuis que pour retrouver le fleuve Rouge, il faut aller jusqu'à la mer. La "flottille" n'y pénètre que le 13 décembre. L'environnement est hostile, des coups de feux sont échangés mais les armes en présence sont à la faveur des français. Leurs audaces les fait progresser et ils atteignent Hâ-Noï, capital du Tong-Kin, le 22 décembre à 3 heures. Dupuis y restera jusqu'au 17 janvier 1873. Malgré les instructions du général chinois Tchen, le vice-roi d'Hanoï n'accorde aucune aide.
Fleuve Rouge ou Song Koï à l'embranchement des rivières Noire et Claire
Riche banquier de Yûn-nân-Sèn
Préfet Nun-Chan Délégué des Mandarins du Yun-nân
Hanoï : la Porte Dupuis en mai 1880
Le 18 janvier 1873, la chaloupe et les trois jonques, armées et montées de 30 Chinois et 9 Européens hors les domestiques, quittent Hanoï. Ces 50 personnes arrivent à Son-Tay le 20. Pendant plusieurs jours, naviguant sur la rivière claire puis la rivière noire, le groupe fait fuir les assaillants apeurés par la pièce de canon braquée à l'avant de chaque jonque. A Kouen-ce le 31 janvier, Le général Ong et ses 3 000 hommes, disposant au mieux de fusils à mèche, n'ose pas livrer combat. A Toeun-bia le 10 février, des vivres et hommes sont fournis à l'expédition.
Le 1er mars, Dupuis atteint Sinkaï en Chine. Dupuis y retrouve son ami Yang-Ming. Le 4 février l'expédition pose pied à terre à Mang-hâo. M. Rocher au service des autorités du Yûn-nân vient à leur rencontre avec 500 hommes. La ville de Mang-hâo est aussi triste que celle de Lâo-Kaï et Dupuis s'en désespère, lui qu'il l'avait vu 2 ans auparavant. La région est riche de mines d'argent et d'or et Dupuis fais débarquer le matériel qu'il amène de France. Le 6 mars il part avec quelques équipiers pour Yûn-nân-sèn y retrouver sa mission. Trois français, entre autres, restent sur place pour travailler dans les fonderies pour le compte des autorités de la province. Sur le chemin, Dupuis rencontre des chefs de Mon-tze qui bien qu'ayant fait allégeances à la capitale, continuent à administrer le pays. L'idée de cette voie commerciale leur fait espérer une meilleure exploitation minière. Dupuis atteint Yûn-nân-sèn le 16 mars. Les mandarins entrevoient la reprise des échanges et ainsi une pacification de la région favorable au commerce vers Canton puis Pé-Kin. Le Titaï, craignant des annamites un blocage du fleuve Rouge, décidera au besoin d'envoyer au Tong-kin 10 000 hommes.
Après avoir réglé ses affaires, Jean Dupuis quitte Yûn-nân-sèn le 28 mars avec une caravane de chevaux. A Mang-hâo, il embarque le cuivre et l'étain pour Hanoï. Ils quittent Mang-hâo le 21 avril avec douze jonques dont deux tongkionoises et font escales le soir à Sin-kaï. De passage le 23 à Lao-kaï, poste frontière du Tong-Kin et du Yûn-nân, il retrouve une partie de son équipage qu'il avait laissé à l'allée avec son second Millot. Après avoir pris la ville, la caravane se dirige sur Hanoï. Arrivés à la fin du mois d'Avril, une période de conflit débute.
Le maréchal Nguyen, vient depuis Hué rencontrer Dupuis pour le mettre en garde. Le négociant organise malgré tout un convoi de sel pour la Chine. Le 15 juin des bagarres opposent les matelots secondés de chinois aux Annamites. Le pouvoir de Hué et les mandarins sont partout contestés. Voulant empécher tout commerce, les autorités locales interdisent aux habitants toutes relations d'intérêts. Début juillet, Dupuis impose sa police dans la partie marchande de la ville d'Hanoï. Il reçoit le 13 juillet, une dépêche du contre-amiral Dupré, gouverneur de Cochinchine, l'invitant à quitter le Tong-Kin sitôt ses affaires réglées. Profitant de celà, Nguyen tente de diviser le petit troupe de Dupuis qui ne veut pas entendre parler de droits de douane et réclame des indemnités pour cause de blocage du commerce. Mi-août le ton monte d'un cran ; des combats de rues et arrestations s'ensuivent. Début septembre Nguyen menace de brûler les navires sur le fleuve. Dupuis reçoit des renforts chinois. Les 11 et 12 septembre des attaques sont lancées qui ne font aucunes victimes du coté de Dupuis .
Fin septembre une dépêche du vice-roi de Canton ordonne aux Annamites de donner la liberté de commercer à Dupuis. Le 8 octobre un convoi de sel part pour le Yûn-nân. L'aller retour se fera dans la crainte d'être incendié car encore eut-il fallu avoir l'accord des autorités de Hanoï pour le laisser passer. Revenu le 27 octobre 1873 à Hâ-noï, Dupuis apprend que Saïgon a dépêché une flotte. Le négociant rencontre le Stéphanois Francis Garnier le 5 novembre. Devant le refus répété de Hanoï, le 20 novembre 1873, il n'hésite pas, en sa compagnie, à prendre d'assaut la citadelle de Hanoï. En quelques jours les français se rendirent maîtres de tout le delta et de l'ensemble des citadelles du bas Tonkin. Francis Garnier annonça officiellement à son compatriote Jean Dupuis, que le Fleuve Rouge était désormais libre d'accès. Le 21 décembre Garnier est assassiné (voir par ailleurs). Le 3 janvier 1874, M. Philastre arrive depuis Saïgon en qualité de chef politique de Tong-Kin. Il apparaît assez vite à M. Dupuis que Philastre agit en sous-main des mandarins de Hué et que son but est de déloger les Français. Avec Mrg Puginier, M. Dupuis se rend fin janvier à Saïgon pour convaincre l'Amiral Dupré. Ce dernier ne fit que de vagues promesses.
En février 1874, devant les protestations officielles des autorités annamites, les français durent rendre les territoires conquis (le traité de Hué, du 15 mars 1874, laissa aux Français deux enclaves au Tong-Kin). Dupuis fut chassé du Tonkin et ses marchandises qui devaient être acheminées en Chine furent confisquées. Il perdait tout pour la troisième fois. Les partisans des Français furent victimes de représailles.
Comme les choses s'éternisaient et que ses biens ne lui étaient toujours pas rendus, en 1875 il prit la décision de rentrer en France et fit à l'État français, en juin 1876, une demande officielle d'indemnisation. Dupuis plaidant sa cause à Paris en 1877, se heurta au ministère de la Marine qui ne voulut jamais reconnaître ses erreurs. Il dut attendre 1888 pour que soit trouvé un consensus d'indemnisation de la part du gouvernement français et de celui d'Hanoï. On lui octroya les concessions minières de l'île de Kébao située au large du Tonkin.
Dès lors, jusqu'à la fin de sa vie, il fit des aller-retour entre Saint-Just-la-Pendue et l'Asie. En 1912, alors âgé de quatre-vingt-trois ans, il se cassa la jambe en débarquant à Saïgon et dut rentrer en France. Ce fut son dernier voyage, il décéda au début du mois de décembre de cette même année alors qu'il était en villégiature sur la Côte d'Azur. Son corps fut ramené dans son pays natal où d'imposantes funérailles eurent lieu.
Dupuis en Chinois
La campagne de Cochinchine (vietnamien : Chien dich Nam Ky, 1858-1862), commença comme une expédition punitive franco-espagnole limitée et se termina en guerre de conquête française. Elle se conclut par la colonisation française de la Cochinchine, prélude à presque un siècle de domination française au Viêt Nam.
Contexte.
Les Français avaient peu de prétextes pour justifier leurs ambitions impériales en indochine. Au début du XIXe siècle, certains pensaient que l'empereur Gia Long leur devait une faveur pour l'aide que les troupes françaises lui avaient apporté en 1802 contre les Tây Son, mais il devint bientôt clair que Gia Long ne se sentait pas plus leur obligé que celui de la Chine, qui lui était aussi venu en aide. Gia Long considérait que le gouvernement français n'avait pas honoré leur accord pour lui venir en aide durant la guerre civile — les Français qui l'avaient aidé étaient des volontaires et des aventuriers, pas des troupes du gouvernement — et qu'il n'avait donc pas à leur rendre de faveurs. Certes, lui et son successeur Minh Mang (r. 1820-1841) avaient des relations avec les Français. Les vietnamiens avaient rapidement appris à reproduire les forts à la Vauban construits par les ingénieurs français à la fin du XVIIIe siècle et n'avaient plus besoin de l'assistance française en matière de fortification, mais ils étaient encore intéressés par l'achat de canons et de fusils français. Mais ce contact limité avec les Français avait peu de poids. Ni Gia Long ni Minh Mang n'avaient l'intention de passer sous influence française.
Pour leur part, les Français n'étaient pas décidé à se laisser si facilement expulser. Comme souvent durant l'expansion coloniale européenne, la religion offrit un prétexte à l'intervention. Les missionnaires français étaient présents au Viêt Nam depuis le XVIIe siècle et au milieu du XIXe siècle il y avait peut-être 300 000 convertis au catholicisme en Annam et au Tonkin. La plupart de leurs prêtres et évêques étaient Français ou Espagnols. Les vietnamiens se méfiaient de cette importante communauté chrétienne et de ses chefs étrangers. Les Français, pour leur part, commençaient à se sentir responsable de sa sécurité. Le harcèlement des chrétiens leur fournit finalement un prétexte respectable pour attaquer le Viêt Nam. La tension monta graduellement. Au cours des années 1840, la persécution ou le harcèlement des missionnaires catholiques par les empereurs Minh Mang et Thiêu Tri (r. 1841-1847) ne suscita que des réponses sporadiques et non-officielles des Français. Le pas décisif vers l'établissement du Empire colonial français en Indochine ne fut pas franchi avant 1858.
En 1857, l'empereur d'Annam Tu Ðuc (r. 1848–83) fit mettre à mort deux missionnaires catholiques espagnols. Ce n'était ni le premier incident de ce type, ni le dernier, et le gouvernement français avait jusqu'alors ignoré ces provocations. Mais cette fois, les circonstances jouaient en défaveur de Tu Ðuc, car elles coïncidaient avec la Seconde guerre de l'opium (octobre 1856-octobre 1860). La France et le Royaume-Uni venaient d'envoyer un corps expéditionnaire commun en Extrème-Orient pour châtier l'empereur de Chine Xianfeng (r. 1850-1861) : il y avait donc des troupes françaises disponibles pour intervenir en Annam. En novembre 1857, Napoléon III autorisa l'amiral Charles Rigault de Genouilly à envoyer une expédition punitive contre le Viêt Nam. En septembre, un corps franco-espagnol débarqua à Tourane (l'actuelle Da Nang) et s'empara de la ville.
Tourane et Saïgon
Les alliés s'attendaient à une victoire facile, mais la guerre ne se déroula pas comme prévu. Les vietnamiens chrétiens ne se soulevèrent pas pour soutenir les français, comme les missionnaires avaient assurés qu'ils le feraient, la résistance vietnamienne fut plus tenace que prévu et les forces françaises et espagnoles se trouvèrent elles-mêmes assiégées à Tourane (actuelle Da Nang) par une armée vietnamienne commandée par Nguyen Tri Phuong. Le siège de Tourane dura presque 3 ans et bien qu'il y eût peu de combats, les maladies causèrent de lourdes pertes à l'expédition alliée. La garnison de Tourane fut renforcée de temps en temps et lança plusieurs attaques contre les positions vietnamiennes, mais elle fut incapable de rompre le siège.
En octobre 1858, peu après avoir pris Tourane, Rigault de Genouilly chercha un autre point pour attaquer les vietnamiens. Conscient que la garnison de la ville n'arriverait probablement à aucun succès décisif, il considéra la possibilité d'agir au Tonkin ou en Cochinchine. Il rejeta la possibilité d'une expédition au Tonkin, qui aurait exigé u soulèvement de grande ampleur des chrétiens pour avoir la moindre chance de succès, et proposa en janvier 1859 au ministre de la marine Ferdinand Hamelin une expédition contre Saïgon, une ville d'importance stratégique considérable comme source d'approvisionnement pour l'armée vietnamienne.
L'expédition fut approuvée : au début de février, Rigault de Genouilly laissa le capitaine de vaisseau Thoyon à Tourane avec une petite garnison et deux canonnières, et mit à la voile pour Saïgon. Le 17 février, après avoir forcé les défenses de la rivière et détruit une série de fortins et de retranchements le long de celle-ci, les français et les espagnols s'emparèrent de Saïgon. L'infanterie de marine française prit d'assaut l'énorme citadelle de Saïgon, tandis que les troupes philippines sous commandement espagnol repoussaient une contre-attaque vietnamienne. Les alliés ne furent pas assez fort pour tenir la citadelle et le 8 mars 1859, ils la firent sauter et mirent le feu à ses réserves de riz. En avril, Rigault de Genouilly revint à Tourane avec le gros de ses forces pour renforcer la garnison de Thoyon durement éprouvée, laissant à Saïgon le capitaine de frégate Jean Bernard Jauréguiberry (futur ministre de la marine) avec une garnison franco-espagnole d'environ 1000 hommes.
Les troupes française à l'attaque de Saïgon, 17 février 1859.
La prise de Saïgon s'avéra une victoire sans plus de conséquence que la prise de Tourane. Les forces de Jauréguiberry, qui subirent des pertes significatives lors de l'attaque surprise d'une fortification vietnamienne à l'ouest de Saïgon le 21 avril, furent obligées de se cantonner ensuite derrières leurs défenses. Pendant ce temps, le gouvernement français était distrait de ses ambitions coloniales par le déclenchement de la Campagne d'Italie, qui immobilisa de nombreuses troupes dans ce pays. En novembre 1859, Rigault de Genouilly fut remplacé par l'amiral François Page, qui avait pour instruction d'obtenir un traité protégeant la foi catholique au Viêt Nam, mais non des gains territoriaux. Page ouvrit des négotiations sur cette base au début novembre, mais sans résultat. Les vietnamiens, avertis des soucis italiens de la France, refusèrent ces termes modérés et firent traîner les négociations en longueur dans l'espoir que les alliés abandonnent complètement leur campagne. Le 18 novembre, Page bombarda et captura les forts de Kien Chan à Tourane, mais cette victoire tactique ne changea pas la position des négociateurs vietnamiens. La guerre continua en 1860.
Au cours de la seconde moitié de 1859 et en 1860, les Français furent incapables de renforcer significativement leurs garnisons de Tourane et Saigon. Bien que la Campagne d'Italie se soit achevée rapidement, la France restait en guerre avec la Chine et Page avait dû détourner la plupart des ses forces pour soutenir l'expédition chinoise de l'amiral Léonard Charner. En avril 1860, Page quitta la Cochinchine pour rejoindre Charner à Canton. À la même époque, en mars, une armée vietnamienne d'environ 10 000 hommes avait commencé d'assiéger Saïgon. La défense de la ville fut confiée au capitaine de vaisseau d'Ariès. Les forces franco-espagnoles, ne comptant que 1000 hommes, durent tenir contre des assiégeants très supérieurs en nombre de mars 1860 à février 1861. Prenant conscience qu'ils ne pouvaient défendre à la fois Saïgon et Tourane, les Français évacuèrent cette dernière en mars 1860, concluant le siège de Tourane d'une manière peu glorieuse.
Les troupes française à l'attaque de Saïgon, 17 février 1859.
Prise de Saïgon par le vice-amiral Rigault de Genouillyle 17 février 1859
Ky Hoa et My Tho.
Bien qu'ils aient évacué Tourane, ils réussirent à conserver Saïgon pour le reste de 1860. Mais ils furent incapables de briser le siège de la ville. Le face-à-face ne fut brisé qu' au début de 1861, avec la fin de la seconde guerre de l'opium. Les amiraux Charner et Page pouvaient maintenant revenir en Cochinchine et reprendre la campagne autour de Saïgon. Un escadre de 70 navires commandés par Charner et 3 500 soldats sous les ordres du général Élie de Vassoigne furent transférés du nord de la Chine à Saïgon. L'escadre de Charner, la force navale la plus puissante apparue dans les eaux vietnamiennes avant la création de l'Escadre de l'Extrême-Orient juste avant la guerre franco-chinoise (août 1884–avril 1885), comprenait les frégates à vapeur Impératrice Eugénie et Renommée (navires- amiraux respectivement de Charner et Page), les corvettes Primauguet, Laplace et Du Chayla, cinq canonnières de première classe, dix-sept transports et un navire-hôpital. L'escadre était accompagnée d'une demi-douzaine de lorchas armées achetées à Macao.
Grâce à ce puissant renfort, les alliés commencèrent finalement à prendre l'avantage. Les 24 et 25 févriers 1861, les Français et Espagnols de Saïgon attaquèrent les lignes vietnamiennes et défirent l'armée du maréchal Nguyen Tri Phuong lors de la bataille de Ky Hoa. Les vietnamiens combattirent farouchement pour défendre leurs positiosn et les pertes alliées furent considérables.
La victoire de Ky Hoa permit aux franco-espagnols de passer à l'offensive. Le 12 avril 1861, My Tho fut prise par les français. Une force d'assaut commandée par le capitaine de vaisseau Le Couriault du Quilio, soutenue par une petite flotte de canonnières, attaqua My Tho depuis le nord, le long de la Bao Dinh Ha : du 1er au 11 avril, elle détruisit plusieurs forts vietnamiens et se fraya un chemin le long de la rivière jusqu'à My Tho. Le Couriault de Quilio ordonna d'attaquer la ville le 12, mais un assaut ne fut pas nécessaire Une flottille de guerre commandée par l'amiral Page, envoyée par Charner pour remonter le Mékong et attaquer My Tho, apparut devant la ville le jour même. My Tho fut occupée le 12 avril 1861 sans un coup de feu.
En mars, peu avant la prise de My Tho, les Français avaient à nouveau offert la paix à l'empereur Tu Ðuc. Cette fois, les termes en étaient considérablement plus durs que ceux offerts par Page en novembre 1859. Les français demandaient le libre exercice du christianisme au Viêt Nam, la cession de la province de Saïgon, une indemnité de 4 millions de piastres, la liberté de commerce et de mouvement au Viêt Nam et l'installation de consulats français. Tu Ðuc n'était prêt à accorder que la liberté de religion et rejeta les autres demandes françaises. La guerre continua, et après la prise de My Tho les Français ajoutèrent à leurs revendications territoriales la province de My Tho.
Incapable d'affronter les forces françaises et espagnoles en bataille rangée, Tu Ðuc recourut à la guérilla en envoyant ses agents dans les provinces conquises pour organiser la résistance contre les envahisseurs. Charner répondit le 19 mai en déclarant les provinces de Saïgon et My Tho en état de siège. Des colonnes françaises parcoururent les campagnes de Cochinchine, suscitant la résistance populaire par la brutalité avec laquelle elles traitaient les suspects de révolte. Charner avait ordonné de ne pas exercer de violence contre les villageois pacifiques, mais ces ordres ne furent pas toujours suivis. La guérilla vietnamienne présenta parfois une sérieuse menace pour les Français. Le 22 juin 1861, le poste français de Go Cong fut attaqué, en vain, par 600 vietnamiens.
Bien Hoa et Vinh Long.
La prise de My Tho fut le dernier succès militaire de Charner. Il rentra en France à l'été 1861 et fut remplacé à la tête de l'expédition de Cochinchine par l'amiral Louis Adolphe Bonard (1805–67), qui arriva à Saïgon fin novembre 1861. Dans les deux semaines suivant son arrivée, il monta une importante campagne pour s'emparer de la province de Ðong Nai en représailles pour la perte de la lorcha Espérance et tout son équipage dans une ambuscade. La capitale de la province, Bien Hoa, fut prise par les Français le 16 décembre 1861.
Les Français poursuivirent leur offensive par la prise de Vinh Long le 22 mars 1862, au terme d'une courte campagne montée par l'amiral Bonard en représailles à des attaques de guérilla contre les troupes française autour de My Tho. Lors du plus sérieux de ces incidents, le 10 mars 1862, une canonnière française qui quittait la ville avec une compagnie d'infanterie à bord explosa soudain. Les pertes furent lourdes (52 morts ou blessés) et les Français convaincus que le bâteau avait été saboté par des insurgés aux ordres des gouverneurs de la province de Vinh Long.
Dix jours plus tard, Bonard se présenta devant Vinh Long avec une flottille de onze navires et canonnières et une force de débarquement franco-espagnole de 1000 hommes. Dans l'après-midi et la soirée du 22 mars, ils attaquèrent les batteries vietnamiennes placées devant la ville et s'en emparèrent. Le 23 mars, ils entrèrent dans la citadelle de Vinh Long. Ses défenseurs se replièrent vers un fortin de terre à My Cui, 20 kilomètres à l'Ouest de My Tho, mais deux colonnes alliées les poursuivirent et les en expulsèrent, tandis qu'une troisième leur coupait la retraite vers le nord. Les pertes vietnamiennes à Vinh Long et My Cui furent lourdes.
La perte de Vinh Long, après celles de My Tho et Bien Hoa, découragea la cours de Hué, et en avril 1862 Tu Ðuc fit savoir qu'il voulait faire la paix.
En mai 1862, après des discussions préliminaires à Hué, la corvette française Forbin appareilla pour Tourane pour y recevoir les plénipotentiaires vietnamiens chargés de conclure la paix. Les vietnamiens eurent trois jours pour présenter leurs ambassadeurs. La suite a été décrite par le colonel Thomazi, l'historien de la conquête française de l'Indochine :
Le troisième jour, une vieille corvette à roue à aubes, l'Aigle des Mers, fut aperçue en train de quitter la rivière de Tourane. Sa quille rabaissée était dans un tel état qu'elle suscita le rire de nos marins. Il était évident qu'elle n'avait pas pris la mer depuis des années. Ses canons étaient rouillés, son équipage était en haillons et elle était traînée par quarante jonques et escortée par une multitude de bâtiments légers. Elle transportait les plénipotentiaires de Tu Ðuc. La Forbin la prit en remorque et la conduisit à Saïgon, où les négociations furent rapidement conclues. Le 5 juin, un traité fut conclu à bord du Duperré, ancré devant Saïgon.
L'amiral Louis Adolphe Bonard (1805-1867) signa pour la France le premier traité de Saïgon
Canon de bois saisi par les Français lors de la prise de Vinh Long, le 23 mars 1862
La paix.
À ce moment-là, les Français n'étaient pas d'humeur généreuse. Ce qui avait commmencé comme une petite expédition punitive s'était transformé en une guerre longue, cruelle et coûteuse. Il était impensable que la France en ressorte les mains vides. Le 5 juin 1862, le ministre de Tu Ðuc Phan Thanh Gian signa un traité avec l'amiral Bonard et le représentant espagnol, le colonel Palanca y Gutierrez. Le traité de Saïgon obligeait le Viêt Nam à autoriser la libre pratique et le prosélytisme catholique sur son territoire ; à céder à la France les provinces de Bien Hoa, Gia Dinh et Dinh Tuong et l'île de Poulo Condor ; à laisser les Français commercer et voyager librement le long du Mékong ; à ouvrir au commerce les ports de Tourane, Quang Yen et Ba Lac (à l'embouchure du Fleuve Rouge) ; et enfin à payer une indemnité d'un million de dollars à la France et à l'Espagne en dix ans. Les Français placèrent leurs trois provinces vietnamiennes du sud sous le contrôle du ministre de la marine. C'est ainsi, fortuitement, que naquit la colonie française de Cochinchine, avec pour capitale Saïgon.
Conséquences.
Article connexe : Expédition du Tonkin.
En 1864, les trois provinces vietnamiennes cédées à la France devinrent formellement la colonie française de Cochinchine. Celle-ci doubla de taille au cours des trois années suivantes. En 1867, l'amiral Pierre de la Grandière obligea les vietnamiens à céder les provinces de Chau Doc, Ha Tien et Vinh Long à la France. L'empereur Tu Ðuc refusa d'abord d'admettre la validité de cette cession, mais finit par reconnaître le protectorat français sur les six provinces de Cochinchine en 1874, par le second traité de Saïgon, négocié par Paul-Louis-Félix Philastre après l'intervention militaire de Francis Garnier au Tonkin.
Les Espagnols, qui avaient joué un rôle mineur dans la campagne de Cochinchine, reçurent une part de l'indemnité de guerre mais ne firent pas d'acquisition territoriale au Viêt Nam. Au lieu de cela, ils furent encouragés par les Français à se créer une sphère d'influence au Tonkin. Cette suggestion ne déboucha d'ailleurs sur rien et le Tonkin finit par devenir lui-même un protectorat français en 1883.
Le facteur le plus important dans la décision de Tu Ðuc de faire la paix avait peut-être été la menace à son autorité posée par la révolte au Tonkin du seigneur catholique Le Bao Phung, qui prétendait descendre de l'ancienne dynastie Lê. Bien que les Français et les Espagnols aient rejeté l'alliance que leur proposait Le Bao Phung contre Tu Ðuc, les insurgés du Tonkin purent infliger plusieurs sévères défaites aux troupes impériales vietnamiennes. La fin de la guerre avec les européens permit à Tu Ðuc d'opposer au insurgés des troupes très supérieures en nombre et de rétablir le contrôle de son gouvernement sur la région. Le Bao Phung fut finalement capturé, torturé et mis à mort.
La colonisation européenne jusqu'alors réduite à une simple rivalité franco-britannique s'est développée très rapidement à partir de 1880. En moins de vingt ans, l'Afrique sera partagée, l'Asie du sud-est soumise, la Chine elle-même entamée. La plupart des gouvernements s'en sont souciés. L'opinion s'y est intéressée et souvent passionnée. Dans tous les grands pays apparurent des "partis coloniaux" auxquels s'opposait une résistance souvent acharnée des adversaires de la colonisation. Les causes de ce phénomène sont multiples : économiques, intellectuelles, idéologiques politiques et militaires.
En France, la politique coloniale après le Second Empire est préconisée par LEROY-BEAULIEU qui, en 1874, fait apparaître un ouvrage important : "Essai sur la Colonisation chez les Peuples Modernes". Des dirigeants opportunistes comme GAMBETTA et Jules FERRY en sont les leaders. Un vrai Parti Colonial se crée sous la direction d'Eugène ETIENNE, député d'ORAN, ami de GAMBETTA, et deux fois sous-secrétaire d'état aux Colonies.
La Péninsule Indochinoise dont la pénétration avait été largement entamée sous le Second Empire n'échappe pas à ce phénomène et sera finalement conquise, non sans difficultés et au prix de nombreux sacrifices humains.
LA FRANCE EN ANNAM ET AU TONKIN :
Jules FERRY, Président du Conseil depuis 1882, entreprit la Conquête de l'ANNAM et du TONKIN. A la suite des explorations de DOUDART DE LAGREE et FRANCIS GARNIER, et sur les conseils d un négociant, DUPUIS, une première tentative d'annexion avait été faite en 1873. Francis GARNIER avait pris Hanoi mais avait été tué. Le Gouvernement Monarchiste de MAC-MAHON était hostile aux conquêtes, et, en 1874, un émissaire français PHILASTRE signa le Traité de SAIGON qui aboutissait à l'évacuation du TONKIN par les Français.
Cependant, les Chambres de Commerce françaises poussaient le Gouvernement à s'assurer une voie commerciale vers la Chine du Sud. D'autre part, venus de Chine, des irréguliers, les "PAVILLONS NOIRS" avaient envahi le TONKIN. L'empereur d'ANNAM, vassal de la Chine, hésitait entre l'appui du Gouvernement chinois et celui des Français pour chasser ces bandes. En 1882, le Commandant RIVIERE fut envoyé pour repousser les PAVILLONS NOIRS. Mais il fut tué au cours d'un combat.
Jules FERRY fit alors voter des crédits pour une expédition. HUE fut bombardé et le TONKIN conquis (Décembre 1883 à Juin 1884). Deux traités furent signés : le Traité de HUE (1884) avec 1'ANNAM plaçant ce pays sous protectorat français et le Traité de TIEN-TSIN avec la Chine, par lequel celle-ci abandonnait sa suzeraineté sur L'ANNAM.
Le Pont de Papier (Nam-Dinh), où les commandants Rivière et Berthe de Billers laissèrent leur vie...
Jules FERRY et Georges CLEMENCEAU
L'Impératrice Tseu-Hi
Jules FERRY eut pu l'emporter s'il avait voulu révéler les négociations en cours. Mais il avait promis le secret et il fut battu par 306 voix contre 49. Son impopularité était extrême (on le surnommait "FERRY-TONKIN") et il ne devait plus jamais revenir au pouvoir.
Et cependant. le 31 Mars, la Chine acceptait les conditions françaises. Le deuxième Traité de TIEN-TSIN qui confirmait la renonciation de la Chine à L'ANNAM fut signé le 4 Avril.
La France détenait désormais toute l'Indochine de l'Est. Elle pénétra dans les années suivantes au LAOS, grâce à l'action pacifique et aux qualités humaines d'AUGUSTE PAVIE.
En 1891-1893, fut créée la CONFEDERATION INDOCHINOISE composée d'une colonie, la Cochinchine et de quatre protectorats, le Tonkin, l'Annam, le Cambodge et le Laos.
En 1869, le Tonkin n'avait toujours pas ouvert son territoire au commerce européen. Un aventurier et commerçant, Jean Dupuis apparut sur le fleuve Rouge aux portes d'Hanoï le 4 décembre 1872. A la tête d'une flottille armée, on le laissa passer pour rejoindre Lao Kay à la frontière Chinoise.
Revenant du Yunnan, chargé de marchandises, le convoi fluvial fût arrêté le 10 avril 1873 à Hanoï par les autorités annamites. A Paris, où les projets de Francis Garnier avaient essuyés plusieurs refus, le directeur de colonies Augustin Benoist d'Azy, sur les instructions de son ministre, estime qu'il faut éviter les expéditions lointaines. L'amiral Dupré qui n'attendait qu'un prétexte pour intervenir au Tonkin passe outre ces instructions. Déjà une semaine plutôt, l'amiral avait rappelé à Saïgon le lieutenant de vaisseau Francis Garnier. Garnier retrouve Jean Dupuis le 5 novembre à Hanoï.
Il prend en main le gouvernement du Tonkin. L'aventure tournant mal, L'amiral Dupré alors en visite à Paris s'en désolidarise (7 décembre). Une mission Philastre est formée pour rapatrier 310 matelots et soldats éparpillés à travers le delta. Lorsqu'elle arrive le 29 décembre, il est trop tard. 8 jours plus tôt Garnier était tombé sous les coups des Pavillons Noirs. Le détachement fut complètement évacué en février 1874. Mais Garnier mort devint un symbole dans certains milieux. Le lieutenant de vaisseau Philastre négocia avec les autorités annamites 2 conventions les 5 janvier et 6 février et un traité le 15 mars 1874.
Régulier Chinois au Tong-Kin en 1883
Poste d'entrée de la concession française d'Hanoï en 1883
Expédition du Tonkin - Attaque des forts de Hué le 20 août 1883
La canonnière Le Lynx combattant à Haï-Zuong les pavillons noirs le 17 novembre 1883
Renforts au Tonkin du transport La Corrèze en 1883
Prise de Son-Tay le 23 Février 1884
Retraite de Lang-son en mars 1885.
Professeur Harmand - Général Négrier
Habitation annamites au Tonkin en 1884
Retour des troupes du Tonkin Bd Diderot à Paris le 16 juillet 1886 - Scéance parlementaire du 30 mars 1885.
Le commandant Henri Rivière est né en 1827. Il entra à l'école navale en 1843. Sa carrière maritime avait été sans éclat à ses débuts. Sa première affectation à bord de la Brillante est pour la Pacifique, en 1847 il passe à la division navale des Mers du Sud sur la Virginie puis cinq années à bord du Iéna, navire de 110 canons, du Labrador et du Jupiter de l'escadre de Méditerranée. Il fait la Guerre de Crimée (il sert dans les batteries de la marine à terre devant Sébastopol) en servant à bord du Ouranie, puis du Suffren, de la Bourasque avant de finir sur le Montebello. Lorsqu'éclate la campagne d'Italie, il est à bord de la Reine Hortense et lors de l'Expédition du Mexique (aide de camp de l'amiral de Gueydon) il sert sur le Rhône puis sur le Brandon. En 1870, il est officier en second sur la Thétis et participe à la Guerre franco-allemande dans l'Escadre française de la Baltique.
Rivière était aussi écrivain. A 25 ans, il publia un volume en vers. Nombre de ses romans furent publiés par la Revue des Deux Mondes et par la Nouvelle Revue. Il s'était également essayé au théâtre (en 1869 à la Comédie Française et en 1874-1875 au Vaudeville). L'activité littéraire de Rivière effarouchait un peu la marine. Certains chefs s’étonnaient de cet officier qui ne rappelait, en rien, le loup de mer et moins encore le capitaine d’armes. Élégant pour les uns, débraillé pour les autres, il ne concevait guère qu’il pût être ailleurs qu’à Paris… ou aux antipodes. L’inquiétude de certains amiraux s’exprimait parfois par des mots et par des notes qui eussent coûté cher à tout autre. Mais Rivière avait ses amis de Paris, amis solides comme Alexandre Dumas fils et Edouard Pailleron, amis que des esprits étroits lui reprochaient.
Ses grades lui étaient venus à l'ancienneté et en 1878, âgé de 52 ans, il ne s'étonnait pas de la perspective probable d'être retraité dans son grade de capitaine de frégate.
Le premier orage éclata en 1878, alors que le capitaine de frégate Rivière commandait l’aviso-transport la Vire . Ce fut l’insurrection de Nouvelle-Calédonie : révolte d’anthropophages Canaques, aux portes d’un pénitencier presque sans soldats pour contenir la rébellion des sauvages ou des forçats. Il arriva dans le district d'Uaraï pour se ravitailler en pleine révolte, puis fût nommé commandant en chef des troupes, en remplacement du colonel tué dès l’alerte, Rivière, avec rien, improvisa tout, fit de la diplomatie canaque, n’hésita pas à donner des armes aux déportés de la Commune qui lui demandaient de participer à la défense et tout s’arrangea sans qu’il y eût trop de têtes cassées. Le colonel Galli-Passebosc vînt avec des renforts mais fût tué presque aussitôt. Rivière conserva donc le commandement supérieur du district et y fut maintenu jusqu'à la fin de l'insurrection 10 mois plus tard.
Ayant terminé son temps de colonie, il s'apprêtait à rentrer en France, lorsque le grand transport le Calvados arriva à Nouméa après avoir perdu son commandant en mer. Ce navire devait rapatrier les condamnés de la Commune que les Chambres venaient d'amnistier. Rivière en pris le commandement.
Le retour en France se fit sans encombre. A l'arrivée à Port-Vendres, il négocia avec les anciens prisonniers un débarquement discret afin de ne pas provoquer de désordres avec la population. Cette dernière mission étant considérée par le ministère de la Marine comme délicate, Rivière fut inscrit sur le tableau d'avancement. Ainsi fut-il nommé capitaine de vaisseau en 1880.
Il avait aussi, et plus encore, ses amis embarqués, ses officiers et ses matelots, lesquels savaient bien que son indulgence était faite du plaisir de les voir tous heureux à son bord et cachait une fermeté qui, aux heures graves, éclatait dans ce mondain. Aucun navire n’était mieux tenu et plus militairement que celui de cet officier d’aspect peu militaire mais à qui tous, grands chefs et subalternes, faisaient confiance méritée lorsque le temps devenait menaçant.
Siège de Sébastopol du 9 octobre 1854 au 11 septembre 1855 : prise de la redoute de Malakoff
Vice Amiral Louis Henri de Gueydon
CONTEXTE en Cochinchine
Après Pierre Poivre d’autres hommes sont venus en Cochinchine. D’abord, à la fin du XVIIIème siècle, Mgr Pigneau de Béhaine, évêque d’Adran. Premier ministre de l’empereur d’Annam et aidé de collaborateurs marins tels que Chaigneau, Dayot et Puymanel, le prélat pacifie et organise la Cochinchine tout entière. Dès sa mort son oeuvre tombe car, sous la Révolution et le premier Empire, la France, battue sur mer, est incapable de songer au lointain. Cependant d’autres nations d’Europe essaiment en Extrême-Orient : la Russie en Sibérie, l’Angleterre en Chine. Il est pourtant un pays où notre devoir est d’assurer la vie et la sécurité des chrétiens atrocement persécutés. C’est l’Annam. La cour de Hué se moque de nos représentations pacifiques. Et il faut bien finir par agir là-bas. Au mois d’août 1858 l’amiral Rigault de Genouilly occupe Tourane. Geste inutile que l’amiral complète en s’emparant, le 17 février 1859, de Saïgon et de tout l’estuaire du Mékong, d’où l’Annam tire tout son riz. Mais, pour la guerre de Chine de 1860, nous nous voyons forcés d’employer nos troupes de Cochinchine. Aussitôt Saïgon, gardé seulement par une poignée de Français, est assiégé. Heureusement l’amiral Charner débloque la ville, s’empare de Mytho, et l’amiral Bonnard prend Bien-hoa. En 1863 le traité de Hué nous donne toute la Cochinchine. L’époque commence des amiraux gouverneurs et des grands explorateurs marins : Doudart de Lagrée et Francis Garnier. Bientôt la protection de nos nationaux commerçant avec la Chine nous oblige à regarder vers le Tonkin. Dans ce pays un négociant, Jean Dupuis, est molesté par les mandarins annamites prévaricateurs. Il en appelle au gouverneur de la Cochinchine et c’est l’occasion de l’épopée du lieutenant de vaisseau Francis Garnier lequel, envoyé au Tonkin avec 9 officiers et 175 hommes, balaie les bandes chinoises des Pavillons Noirs, s’empare en quinze jours (décembre 1873) de Hanoï et du delta du fleuve Rouge, puis périt en héros dans une escarmouche. Un nouveau traité, signé le 15 mai 1874, sera, comme les précédents, sans effet.
Le Myre de Vilers le savait bien, lui qui, trois ans plus tard, gouverneur de la Cochinchine, laissait de côté trois colonels, spécialistes des questions coloniales, pour confier en 1881 à Henri Rivière, nommé capitaine de vaisseau chef de la division navale de Cochinchine, le soin de résoudre le plus grave problème qui se posât alors en Extrême- Orient, celui de ce Tonkin qui avait failli devenir nôtre huit ans plus tôt, de par l’épopée du lieutenant de vaisseau Francis Garnier. Problème presque insoluble que, celui qu’allait affronter Rivière. Après la mort de Garnier, le traité de 1874 avait placé l’Annam, suzerain du Tonkin, sous le protectorat de la France. Mais ce traité restait lettre morte. La cour de Hué, l’empereur Tu-Duc jouaient de la vassalité de l’Annam par rapport à la Chine – sujétion détestée d’ailleurs depuis des siècles – pour affirmer que les signatures, à nous données, étaient sans valeur. Et, peu à peu, le Tonkin devenait terre chinoise, occupée par les Pavillons Noirs, débris de bandes révolutionnaires organisés en armée forte sous le commandement de Luu-Vinh-Phuoc. La France se devait de faire respecter la convention, mais, encore sous le coup de la défaite de 1870 elle évitait les complications lointaines et n’osait songer à de nouvelles conquêtes. Le Myre de Vilers, en envoyant le capitaine de vaisseau Rivière remettre tout d’aplomb, lui recommandait d’éviter les coups de fusil, tout en nommant ce marin commandant supérieur d’une expédition qui comportait deux compagnies d’infanterie de marine et un détachement d’artillerie pour renforcer la garnison de Hanoi. En France le « Grand Ministère » de Gambetta ne se distingue pas des précédents. Bouvier, ministre du Commerce, auquel viennent d’être rattachées les Colonies, nul ne sait pourquoi, ne s’entend guère avec le capitaine de vaisseau Gougeard, ministre de la Marine. Aucun d’eux ne s’accorde avec le gouverneur de la Cochinchine. Tous veulent ignorer le ministre de France en Chine. On annonce l’arrivée de l’amiral Pierre qui commandera en chef les forces de terre et de mer. Puis, un beau jour, le ministère Gambetta dégringole. Les Colonies retombent sous la coupe de la Marine. Le nouveau Cabinet ne parle plus de l’amiral Pierre et tout le monde garde le silence sur la mission confiée au commandant Rivière. Mais celui-ci faisant le tour de la réalité, comprend qu’il va fonder un empire. Telle était la situation lorsque le capitaine Rivière quitta le port de Marseille le 16 octobre 1881 sur un paquebot des Messageries Maritimes.
Messagerie maritime à Marseille
Légation Française à Hué en 1883
Hanoï en 1882
Tour de la Citadelle d'Hanoï en 1882.
Défenses en terre Chinoise au Tonkin en 1882
Attaque de Bac Nigue (Bac-Ninh) le 29 mars 1883
Combat de Fou-Daï le 19 Mai 1883 Cdt Rivière et Aspirant Moulin
Marins français combattant des soldats annamites et des Pavillons noirs dans La Terre illustrée du 11 février 1892
La conquête du Tonkin. Panneau éducatif illustré
Le commandant Rivière entrant à Nam Dinh à la tête de ses hommes (gravure de 1888).
Le commandant Rivière en 1883
Tombe de Henri Rivière (cimetière de Montmartre).
Amédée Anatole Courbet est né à Abbeville le 26 juin 1827. Amiral français. Il établit le protectorat français sur l'Annam. Il meurt à Makung dans les Pescadores le 11 juin 1885.
Secrétaire du républicain Marrast en 1848, ce jeune polytechnicien fasciné par les mers de Chine intègre la Royale dès 1849. Aspirant sur La Capricieuse, il sillonne océans Indien, Pacifique et côtes asiatiques. Lieutenant de vaisseau en 1856, il dresse le plan de la rade de Biarritz où l'empereur souhaite créer un port important. Excellent ingénieur, il parfait méthode de tir et artillerie lors de son passage à l'école de Canonnage, puis dirige les combats de 1870 aux Antilles avant de rédiger un cours de tactique. Il commande l'école des torpilles de Boyardville comme capitaine de vaisseau en 1874. Chef d'état major de l'escadre de Méditerranée puis gouverneur de Nouvelle Calédonie où il mène réforme administrative et développement de l'agriculture en luttant contre les spéculations minières et foncières, il est nommé contre-amiral en 1880.
Les évennements du Tong-kin où se trouve le commandant Rivière forcent la Chambre à discuter d'importants crédits militaires. En première lecture, le 10 mai 1883, la Chambre vote 5,3 millions qui sont adoptés en seconde lecture, le 26 mai, encore sous l'émotion du décès de Rivière. Ferry crée une division navale des côtes du Tong-kin, confiée à l'Amiral Courbet. L'expédition française contre l'Annam comprend deux terrains d'opérations une intervention sur Hué pour faire pression sur la cour et une guerre d'occupation du Tong-kin. Le 17 août, la division navale se trouvait dans la baie de Tourane qu'elle quitte pour s'embosser devant Thuan-An. La reddition des ouvrages annamites n'ayant pas eu lieu à l'amiable, l'Amiral Courbet déclenche les hostilités vers quatre heures du soir. Durant trois jours, jusqu'au 20 août, les forts couvrants Hué sont bombardés. Les troupes débarquent et découvrent, rien qu'au fort central, 26 canons de douze et deux obusiers de vingt-deux. Les Annamites s'étaient défendus avec bravoure, mais l'on compte plus de douze cents tués et mille six cents blessés. Le 22 août Harmand se rend à la Cour totalement désemparée par la récente mort de Tu Duc. Un ultimatum français débouche le 25 août sur le "traité Harmand". L'extrême dureté de ce traité et le peu d'empressement des politiques à poursuivre l'action au Tong-Kin rendaient la guerre avec la Chine inévitable.
Le Général Bouet, commandant supérieur des troupes du Tong-kin, disposait en juin de 2 000 hommes puis de 4 500 avec des renforts venus de Saïgon et de France. Hai Duong et Quand Yen à l'est du delta tombèrent. A deux fois, on échoua à Son Tay. Le 25 octobre 1883, l'amiral Courbet fut nommé commandant de toutes les forces de terre et de mer au Tonkin. Le 23 novembre, M. Harmand lui remettait les services administratifs. La Marine obtenait ainsi le commandement.
Avec colère, les turcos restés en retrait, s'élancent à leur tour, arrachent, brisent les bambous, enlèvent la redoute, et massacres sans merci tous les Chinois qui la défendent. L'hécatombe est deux cotés mais rien ne pouvait arrêter l'élan des tirailleurs algériens. Dans la nuit, des troupes fraîches sortent de Son-Tay, s'emparent de l'ambulance provisoire et décapitent les blessés. La fusillade dura toute la nuit et la journée du 15 décembre 1883 fut employée à enterrer les morts et donner quelque repos aux troupes.
Mais le 16, dès le matin, les Français s'avancent sur Son-Tay par un mouvement circulaire. Les fusiliers marins et la légion étrangère prennent d'assaut la grande pagode, Gho-Phumi, située à deux cents mètres de la porte ouest de la citadelle. Un grand nombre de Pavillons-Noirs et d'Annamites s'y étaient réfugiés. Ils furent tous impitoyablement passés au fil de la bayonnette. A sept heures du soir, l'amiral Courbet annonçait par télégraphe qu'il était maître de la première enceinte ouest.
Les pertes françaises, pour la journée, étaient minimes. la place de Son-Tay est pénétrée vers cinq heures quarante-cinq, soldat Minnaert en premier. La citadelle est quant à elle évacuée dans la nuit et dans le calme. L'ennemi comptait plus de neuf cents tués pour soixante-huit du coté français. Le vice-roi du Yunnan, présent sur le théâtre des opérations, est tué (ci-contre, à gauche).
Le gouvernement persuade, de nouveau, les députés que la Chine n'interviendra pas et de nouveaux crédits sont votés. Le commandement est enlevé à la Marine, et l'Amiral Courbet céde la place au général Millot en 1884.
De février à juin 1884, le corps expéditionnaire élargit l'occupation du Delta. On déloge les 25 à 30 000 chinois de Bac Ninh et l'on progresse vers le Yunnan. Le capitaine de Frégatte Fournier, commandant le Volta, signe le 11 mai le traité de T'ien-tsin avec Ly-Hung-Tchang, grand tuteur de Sa Majesté le fils de l'empereur, premier secrétaire d'Etat, vice-roi du Tché-Li, plénipotentiaire pour la Chine.
Dans l'article 2, la Chine s'engage à évacuer le Tonkin avant le 6 juin. Ce traité est bâclé, en raison de la rentrée parlementaire du 20 mai.
Flotte de l'Amiral Courbet Dans la Baie d'Along Fin 1883
Prise de Son Tay par l'Amiral Courbet le 16 décembre 1883
L'Amiral COURBET est rappelé en tant que vice-amiral dès la violation du traité de Tien-Tsin par les Chinois.
Occupant Fou-tchéou, Keelung et l'actuelle Taïwan, il anéantit la flotte chinoise sur le fleuve Bleu et meurt d'épuisement la paix signée à bord du Bayard en 1885, léguant ses biens à la Société de sauvetage en mer des baies de Somme. On a publié de lui des lettres très vives contre Jules Ferry.
Pierre Loti, qui fut son enseigne de vaisseau, écrivait : " Il se montrait très avare de ce sang français. Ses batailles étaient combinées, travaillées d'avance avec une si rare précision que le résultat, souvent foudroyant, s'obtenait toujours en perdant très peu des nôtres ; et ensuite, après l'action qu'il avait durement menée avec son absolutisme sans réplique, il redevenait un autre homme, très doux, s'en allant faire la tournée des ambulances, avec un bon sourire triste. Il voulait voir tous les blessés, même les plus humbles, leur serrer la main, et eux mouraient plus contents, plus réconfortés par sa visite " Les pages suivantes présentent l'épisode de la Guerre du Tonkin qu'il mena et développent ensuite la guerre contre la Chine.
Apparté : Suite à l'octroi de renforts en août 1883 pour Courbet, le grand transport La Corrèze quitte Toulon le 27 septembre 1883. Ce bâtiment est, comme à chaque voyage, chargé de marins, de soldats, d'émigrants, de marchandises, de chevaux ... bref, de tout ce qu'il faut pour bâtir une nouvelle colonie et la défendre. Le bâtiment aborde la baie d'Along le 30 Novembre où il retrouve la flotte de l'Amiral Courbet. Le 3 décembre, au mouillage dans cette baie, La Corrèze s'amarre le long du Drac. Ce petit transport-aviso assure depuis plusieurs mois d'incessantes allées et venues de ravitaillement entre Haïphong et les navires de l'escadre. La discipline à bord d'un navire-amiral est stricte. Un matelot de 2ème classe perçoit 1,10F par jour à la mer, un timonier breveté 0,20F de plus. Le Drac sera à Kelung début octobre 1884.
Après sa campagne au Tonkin.
Porte Est de Son Tay le lendemain du 16 décembre 1883
Transport la Corrèze 16/12/1883 Touranne, 02/02/1884 à Toulon
Le 23 juin 1884, la colonne du lieutenant-colonel Dugenne, chargée d'occuper Lang-Son, arrive sur les bords du Song-Thong, en aval de Bac-Lé et y est assaillie. Les 300 français résistèrent durant deux jours à cinq mille hommes. Avec l'ordre de retraite, le désastre est évité . La France lance un ultimatum à la Chine le 12 juillet. Ferry pensait faire payer à Pékin le coût de cette campagne. Mais le 21 août, M. de Semallé, chargé d'affaires de France à Pékin quitte la ville avec le pavillon tricolore, tandis qu'à Paris Li-Fong-Pao, ministre de Chine, demande ses passe-ports à M. Ferry.
La marine en profite pour reprendre le commandement. Le théatre d'opération passe de la terre à la mer. L'Amiral Courbet a désormais la haute main sur l'escadre du Tonkin et celle de la mer de Chine. Pour ne pas géner les Anglais, Courbet a pour consigne de ne pas bombarder au Nord du Yang Tsé. Il dirige son escadre vers la rivière Min. Quarante kilomètres à l'intérieur des terres, se trouve la baie de Fou-Tchéou abritant le fameux arsenal chinois, oeuvre de l'officier de marine français, M. Prosper Gicquel. Il prit part, de 1862 à 1864, à la repression de la révolte des Taïpings dans la province de Tchekiang. L'Empereur le désigna directeur du futur arsenal. La fondation de l'arsenal à laquelle coopéra également un autre officier de la marine français, M. d'Aiguebelle, remonte à l'année 1867. On y fabrique exclusivement des navires entre autres de guerre.
Les écoles qui y sont attachés, les cours qui y sont faits par des Européens font de cet établissement une véritable école d'application. Aux obstacles naturels, s'ajoutent de nombreux fortins qui rendent, aux yeux des Chinois, le site inexpugnable . Les Anglais y avait été bloqués en 1840. De l'embouchure de la rivière Min, il faut franchir un goulet défendu par des batteries blindées placées sur les îles de Woga et de Woufou. Puis vient une passe surplombée des forts Blanc et de Kim-Paï munis de canons Krupp. Le fleuve s'élargit vers les forts de Mingan et de Kao-Tung à l'entrée d'une seconde passe. Après Gouding, on arrive à Goa, où le chenal est encombré par des bancs et des rochers à fleur d'eau. L'île de Losing barrant le fleuve est équipée de nombreuses batteries. On arrive, enfin, devant l'arsenal défendu par des batteries dominant la rade et armées de canons Krupp. Bientôt la profondeur de la baie diminue ; les navires ne peuvent plus avancer. Seuls les joncques et les petits bâtiments poursuivent leur route jusqu'à Fou-Tchéou, quinze kilomètres plus haut que l'arsenal.
Parfois écrit Gicquel, il était un officier naval français qui a joué un rôle important dans la modernisation de la Chine du XIXe siècle, voyant toutefois à la fin de sa vie une grande partie de ses efforts détruits par la guerre franco-chinoise.
Prosper Giquel arrive en Chine en 1857 avec les forces militaires de la seconde guerre de l'opium. Détaché dans un service à terre à Canton, il profite de l'opportunité pour se lancer dans l'étude du chinois. Au bout de 18 mois, il parvient à une maîtrise suffisante pour tenir une conversation, et pouvoir dicter une communication à un lettré chinois. Fin 1861 les opportunités que cela lui a ouvert lui permettent d'être retenu par Robert Hart pour rejoindre le service des douanes maritimes impériale chinoise que celui-ci dirige, en tant que directeur du bureau de Ningpo. Il y reste jusqu'à la capture de la ville par les forces de la rébellion Taiping en décembre 1861.
Révolte des Taiping
Après avoir passé le printemps suivant au service de la campagne coordonnée franco-anglaise pour chasser les rebelles hors de Shanghai, Giquel revient à Ningpo fin 1862 afin d'organiser, en réponse à la force anglo-chinoise de l'Armée toujours victorieuse, une force "Franco-Chinoise" qui deviendra l'Armée toujours triomphante. La force comptait entre 2 000 et 3 000 hommes. Le 15 mars 1863, la force, commandé par l'enseigne Paul d'Aiguebelle repris la cité de Shao-hsing aux rebelles Taiping. Prosper Giquel pris les commandes de la force "Franco-Chinoise" quand Paul d'Aiguebelle retourna en France, mais la force fut bientôt dissoute en octobre 1864, en accord avec Zuo Zongtang.
En 1866 Giquel commença à être impliqué dans l'organisation et la planification du projet de l'Arsenal de Fuzhou imaginé par Zuo Zongtang. De 1867 à 1874 il servit en tant que directeur européen du project que Shen Pao-chen, dirigeait en tant qu'envoyé impérial. L'objectif de l'arsenal était de créer une flotte chinoise moderne de bateaux de guerre et de transport, et d'éduquer les techniciens chinois aux techniques européennes. Ces efforts contribuèrent au mouvement de d'auto-renforcement chinois pour acquérir les connaissances occidentales (de manière similaire l'arsenal de Nankin fut placé sous la responsabilité de l'anglais Halliday Macartney). Une école de français est aussi présente à travers une mission d'instruction au sein de laquelle Giquel formera le jeune Tcheng Ki-tong.
Après la fin de sa période d'administration directe du projet en 1874, Giquel continua à servir l'arsenal en travaillant en tant que consultant, acheteur et co-directeur de la Mission chinoise d'Instruction en 1877. L'objectif de la mission était de fournir une instruction technique avancée pour compléter le programme d'instruction de l'arsenal, et de former ainsi les premiers ingénieurs chinois.
À partir du milieu des années 1870, Giquel devint de plus en plus impliqué dans la diplomatie internationale. Il servit d'abord comme conseiller pendants la "crise de Taiwan;' un clash diplomatique entre le Japon et la Chine en 1874. En 1881 il aida Tseng Chi-tse à conclure pacifiquement la question de Kouldja entre la Chine et la Russie. Giquel passa ses dernières années, 1883–1885, à essayer de mettre un terme à la guerre franco-chinoise qui avait éclaté à la suite du conflit d'influence entre la Chine et la France sur l'Indochine. Dans cette période l'évènement le plus dramatique pour Prosper Giquel, fut certainement au cours de la bataille de Fuzhou en août 1884 la destruction par la marine française de l'arsenal de l'Arsenal de Fuzhou (ainsi que de la Mission d'Instruction), le principal accomplissement de toute sa carrière en Chine.c Il décède à Cannes le 19 février 1886 alors qu'il s'apprêtait à repartir en Chine à la tête d'une nouvelle mission d'instruction.
Prosper Giquel supervisa la construction de l'Arsenal de Fuzhou à Mawei
Le général Chen Jitong en robe officielle
(orthographe francisée : Tcheng Ki-tong) (1851 - 1907) est un diplomate chinois auteur de plusieurs ouvrages en français. Le général Chen Jitong en robe officielle Général et lettré de la fin des Qing, Chen Jitong est né à Houguan, appelée aujourd'hui Fuzhou. En 1869 il se lança dans l'étude de la langue française dans l'école attachée au port ouvert de Fuzhou. Il y a comme professeur et se lit d'amitié avec Prosper Giquel.
En 1876, il fait partie de l'escorte en Europe de Shen Baozhen. L'année suivant son retour en Chine, il écrit un ouvrage sur ses impressions en Europe. Il devient alors un conseiller important pour la politique extérieure de la dynastie Qing.
Dans les années 1880, il s'établit à Paris en tant que chargé d'affaire de l'Empire de Chine. A cette occasion, il publie plusieurs ouvrages en français devenant le premier auteur chinois francophone et acquiert une certaine notoriété.
Cependant en 1891, il tombe en disgrâce. Après avoir été congédié de toute position officielle, il s'établit à Shanghai. L'éphémère République de Taiwan fera ensuite appel à lui le nommant ministre des relations étrangères pendant les quelques mois de son existence en 1895.
Il est mort à Nankin au mois de mars 1907.
La Marine française, sous le commandement du vice-amiral Amédée Courbet, bloqua les ports de Kilung et Tamsui sur l'île de Formose (actuellement Taïwan), avant de tenter un débarquement contre les troupes impériales (dans lequel Joseph Joffre, futur maréchal de France, participa en tant que capitaine du génie) qui échoua le 6 août 1884.
La bataille de Fuzhou se place au cœur des opérations effectuées sous le commandement de l'Amiral Courbet dan la rivière Min entre le 23 et le 29 août 18842. Elle vit la destruction en une demi-heure de la marine chinoise ancrée dans cette rade qui avait été récemment construite sous la supervision d'un Français, Prosper Giquel. Courbet ensuite bombarda l'arsenal de Fuzhou, écrasa les batteries de la passe Mengam et détruisit les forts de la passe Kimpaï. Cette victoire, qui fut la dernière des victoires navales françaises du XIXe siècle, se fit au prix de seulement dix tués et quarante-neuf blessés. Le 1er octobre 1884, Courbet revint une deuxième fois devant Kilung et enleva la ville, puis le 29 mars 1885, il occupa les îles Pescadores ou Penghu (rebaptisées "îles des pêcheurs"), chapelet d'îles au large de Formose qui commande tout le détroit de Fou-Kien, entre Formose et le continent.
Au Tonkin, la mousson mettait fin aux offensives françaises, permettant aux Chinois d'avancer dans le delta. Ils firent le siège de la forteresse de Tuyên Quang, qui fut défendue par un bataillon de la Légion étrangère pendant trente-six jours. Cette bataille est toujours célébrée dans la marche officielle de la Légion.
Fou-Tchéou compte 630 000 habitants, est la capitale de la province de Fo-Kien (région heureuse), et habrite, vers Nantaï, une concession européenne. Des vingt et un ports ouverts au commerce européen, Fou-Tchéou occupe le troisième rang avec un commerce extérieur que l'on peut évaluer à 105 millions.
Il suit Shanghaï (600 millions) et Canton (120 millions) pour le commerce, et Canton (1 600 000 habtiants) et Tien-Tsin (950 000) pour la population.
L'arsenal est entouré de montagnes ; aussi l'entreprise navale de l'amiral Courbet est audacieuse. Le commandant Chan-Pei-Lou, ne pensait pas que cette escadre, mouillée sur la rivière Min depuis le 18 juillet 1884, oserait s'attaquer à Fou-Tchéou. Cependant il compléte et augmente ses ouvrages de fortifications.
La Chine envisageait un coup de force qui aurait pû être, soit l'envoi d'un corps d'armée en Chine, mais qu'auraient obtenus 100 000 hommes face à 400 millions de Chinois, soit un bombardement d'une grande ville du litoral, mais comment aurait réagi les grandes nations. La déclaration de guerre arrive le 22 août. Le 23 août , à deux heures du soir, les dix bâtiments français ouvrent le feu sur la flotte chinoise composée de onze bâtiments appuyés d'une grande quantité de joncques chinoises armées en guerre.
En plein jour, un torpilleur français s'élance sur un croiseur chinois, sous une grêle de projectiles, et va planter à la main sa torpille sous le bâtiment qui s'effondre aussitôt avec tout son équipage.
Un autre bâtiment chinois est détruit de la même façon. La terreur s'empare des marins chinois qui abandonnent leurs navires. La flotte française concentre alors son action sur les batteries Krupp de l'arsenal et ne tarde pas à éteindre leurs feux. En quatre heures, neufs navires, douze joncques de guerre et un grand croiseur sont coulés. Trois bâtiments français sont touchés sans aucune avarie grave. Dans la nuit, Chan-Pei-Loun fait massacrer ses matelots déserteurs. Des joncques chinoises brûlent et sont dérivées sur les bâtiments français. Aucune ne parviendra contre les coques de bois. Le 24 août, l'amiral Courbet bombarde et détruit entièrement l'arsenal. Nos morts de Bac-Lé sont vengés. Il faut cependant en sortir et regagner la mer.
Le 25, les canons Krupp de l'île de Losing sont détruits ainsi que ceux de Couding. Le 26, on attaque la passe de Mingan. Les fortifications sont anéanties. Le 27, le goulet de Kunpaï est attaqué à son tour.
Le Bayard, par la mer, apporte son soutien. Le 28, le passage est complètement libre au prix d'une incroyable audace. Le 29 août, après toute une semaine de luttes acharnées, l'escadre française regagnait intacte le mouillage de l'île de Matson.
L'amiral Courbet se verra décerner la médaille militaire.
On demande à Courbet de se diriger sur Formose.
Combat de Sheipoo le 15 février 1885.
Le général Brières de l'Isle
Tableau représentant la bataille navale de Fuzhou (Août 1884)
Le 2 octobre 1884, le cuirassé Bayard, navire-amiral de l'escadre bombarde victorieusement Kelung au nord. Mais l'île de Formose est vaste et faute de troupes en nombre suffisant, les Français se retranchent sur les hauteurs. Courbet prévoit d'organiser un blocus de l'île. On s'attend à des ripostes chinoises. Les 8 et 9 octobre des combats ont lieus à Tam-Sui. Le 14 octobre, en pleine tempête, le Bayard brise par trois fois ses chaînes. Le 30 octobre, le blocus de Formose est déclaré et va s'organiser au cours des mois suivants.
Lors de la bataille de Fuzhou, l'escadre française de l'amiral Courbet ayant détruit la plus grande partie de la flotte chinoise, celle-ci ne possédait plus que cinq grandes unités : trois croiseurs modernes et rapides construits en Allemagne et deux frégates plus lentes, la Yuyuan et la Chengqing. Ces bâtiments mouillaient à Shanghai et étaient totalement inaccessibles à leurs adversaires.
À la fin de janvier 1885, l'amiral Amédée Courbet ayant appris que ces navires avaient pris la mer, décida de se lancer à leur poursuite. Le 11 février, les vaisseaux chinois sont aperçus, cinglant vers la baie de Shipu.
Il apparut très vite que les trois croiseurs étaient plus rapides que les navires français ; en revanche, il n'en était pas de même pour les frégates. Elles se réfugièrent dans la baie, protégée par des batteries d'artillerie alors que les croiseurs continuaient leur route.
Courbet prit la décision d'attaquer. Dans la nuit du 13 au 14 février 1885, fort de ses connaissances en torpilles, Courbet lance une attaque sur trois croiseurs chinois au large de Sheipoo (ou Shipu province du Zhejiang en Chine).
Deux canots à vapeur armés de torpilles, respectivement commandés par le capitaine de frégate Palma Gourdon, commandant en second du Bayard et chef de cette expédition, et par le lieutenant de vaisseau Émile Duboc, quittent le Bayard, navire amiral de la flotte française et s'engagent dans la baie, guidés un temps par la vedette et la baleinière du Bayard. À 3 h 30 du matin, ils lancent leurs torpilles sur la Yuyuan qui, touchée, riposte de toutes ses pièces. Elle manque les assaillants, mais atteint en revanche la Chengqing, qui lui réplique. Les canons chinois terminent ce que les Français ont commencé et les deux frégates s'entre-détruisent et coulent, tandis que les batteries terrestres ouvrent le feu sur tout le monde.
Le succès est total pour les attaquants qui ne déplorent qu'un mort lors du combat. Le blocus du riz est décidé en février 1885.
A cette même époque, sur terre, l'armée de Brière de l'Isle occupe Lang Son. En mars 1885, Courbet s'empare de Kelung en cinq jours.
Ces actions forcent le gouvernement chinois à l'armistice le 25 mars. Mais l'accord ne sera signé que le 30 mars ...
Ne pouvant avec quelques braves occuper l'île de Formose aussi grande que Madagascar, Courbet jette alors son dévolu sur les îles Pescadores. Ce petit archipel situé entre l'île de Formose et le litoral chinois constituait un excellent point de ralliement et de mouillage pour la flotte française. Aussi les Célestes y avaient-ils fait des travaux de défenses considérables.
La rade de Makung pourra offrir un abri idéal, non seulement pour la durée du blocus, mais également pour défendre à l'avenir les nouvelles possessions françaises.
Prise des iles Pescadores. Le Bayard entre dans le port de Makung
Amiral Courbet sur la passerrelle du Bayard en 1885
L'Expédition du Tonkin est une opération militaire française opérée sous la Troisième République et qui donne lieu à la guerre franco-chinoise. Elle provoque en mars 1885 la chute du cabinet de Jules Ferry, attaqué par la droite monarchiste et l'extrême-gauche radicale, Clemenceau en tête.
À la naissance de la Troisième république, la France possède déjà en Indochine, par le traité de 1862 avec l’empereur Tu Duc, trois provinces du sud du Viêt Nam qui forment la Cochinchine, et bénéficie également de l’ouverture de trois ports d’Annam au commerce français. Les aspirations de la république dans la région sont poussées par les marchands qui cherchent des débouchés en extrême-orient, et de ceux qui rêvent de concurrencer l'Empire britannique, présent aux Indes, grâce au Mékong qui ouvrirait le Laos, la Birmanie, la Chine au commerce français. Les aspirations françaises sur le Mékong, déçues par l’exploration du fleuve de 1866-1868, se reportent sur le Fleuve Rouge au Tonkin, qui ouvre un débouché commercial sur la Chine.
Première expédition
C’est par cette voie qu’un négociant français, Jean Dupuis, avait entrepris d’acheminer des armes pour un général chinois combattant une révolte au Yunnan (fin 1872-début 1873). Ce commerce au milieu du désordre remet en cause l’autorité de l’empereur Tu-Duc sur la région. Celui-ci fait donc appel à l’amiral Dupré, gouverneur de Cochinchine, pour mettre fin à ces agissements, tandis que Dupuis demande la protection de son pays dans ses affaires. Dupré envoie Francis Garnier, en principe pour enquêter et arbitrer, mais il a en fait carte blanche dans l’affaire. Peu après son arrivée sur place, Garnier envoie un ultimatum au représentant de l’empereur et attaque la citadelle d’Hanoi le 20 novembre 1873, avec deux cents soldats, puis il prend d’autre places du delta, remplaçant les représentants de l’empereur par des indigènes convertis au catholicisme pour la plupart. Mais les Annamites renforcés par les Pavillons Noirs chinois encerclent Hanoï où Garnier est tué le 21 décembre 1873. Le gouverneur de Cochinchine désavoue l’opération et envoie le lieutenant de vaisseau Philastre en tant que négociateur à Hué. Celui-ci fait évacuer le Tonkin malgré les engagements pris envers les chrétiens, alors livrés aux massacres. La convention signée par Dupré le 15 mars 1874, reconnaît l’indépendance de l’Annam et promet une aide financière, militaire et économique. L’empereur Tu-Duc doit quant à lui se conformer à la politique étrangère française, sans que cela remette en cause ses relations actuelles, ce qui laisse un flou sur la vassalité de l’Annam envers la Chine, et laisser les ports et le Fleuve Rouge ouverts au commerce français.
Seconde expédition
Les opérations reprirent en juillet 1881, sous le gouvernement Ferry, qui obtint 2,5 millions pour une opération de lutte contre le brigandage dans la vallée du fleuve Rouge. Comme en 1873, l’officier chargé de la mission, le capitaine de frégate Rivière, outrepasse sa mission, et le 25 avril 1882 prend la citadelle d’Hanoï à la tête de 500 hommes. Il est tué un an plus tard comme Garnier sous les coups des pavillons noirs (19 mai 1883).
Le retour de Ferry en février 1883 relance les opérations coloniales dans la région, faisant passer le corps expéditionnaire à quatre mille puis à neuf mille hommes. La seconde moitié de 1883 est l'expédition est dirigée par l'Amiral Courbet. En août 1883, la cour de Hué est obligée d’accepter un traité de protectorat qui lui impose la présence d’un résident français, et démembre l’empire. Le Tonkin est soumis à une complète occupation française ; l’Annam ne désignera plus que la province centrale du Viêt-nam.
L'Amiral Courbet céde la place au général Millot en 1884, qui de février à juin élargit l'occupation du Delta.
Le siège de "Tuyen Quang" est un épisode de la Guerre franco-chinoise survenu au Tonkin, dans l'actuelle Province de Tuyên Quang, province vietnamienne de Tuyên Quang : 2 compagnies du 1er bataillon du 2e régiment étranger de la Légion étrangère commandées par le chef de bataillon Marc-Edmond Dominé y furent assiégées en vain par les Pavillons noirs du 23 novembre 1884 au 28 février 1885.
Erigée en Moyenne Région, une vieille forteresse chinoise couronne un mamelon aux pentes raides. Elle est située sur la rive droite de la rivière Claire, à 50 km au-dessus de son confluent avec le Fleuve Rouge. Elle domine un village de Caïn Has, d’une centaine d’habitants. Surplombée de toutes parts par des hauteurs couvertes de jungle, elle est composée d’une vieille enceinte de forme carrée, construite de pierres sèches, de 3 m de hauts, de 270 m de côté. Sur chaque face, sauf au Nord, une demi tour, faisant flanquement, est rehaussée d’un mirador. Au centre, s’élève un énorme mamelon de 70 m de haut, bordés de magasins à riz et de quelques masures. Le sommet du mamelon forme un plateau où se trouvent des constructions en pierre. On y arrive par un escalier droit comprenant 193 marches, sur le côté sud. Une seule porte à l’Est, le long de la rivière Claire, qui longe la citadelle sur 25 m, communique avec le fleuve et par un chemin couvert, avec les pagodes fortifiées du cantonnement d’une compagnie tonkinoise. Une redoute, dont la position est très désavantageuse pour les défenseurs, est entourée de collines parfois très proches. Cette position occupée par des assaillants expose la citadelle à un feu extrêmement meurtrier. En novembre 1884, le lieutenant-colonel Duchesne avait été pris en embuscade par les Pavillons Noirs aux gorges de Yu Oc et résistèrent, les troupes furent remplacées par des troupes fraîches dans la citadelle, 400 légionnaires et 160 fusiliers du Tonkin.
Dès le 24 novembre 1884, d’importantes forces chinoises renforcées de Pavillons noirs, évaluées à 10 000 combattants, sont rassemblées à moins de 10 km de la citadelle sous les ordres de Luu Vinh Phuoc. Selon le règlement de l'époque, l’état de siège est déclaré et il commence.
Sous les ordres du chef de bataillon Marc-Edmond Dominé, officier des troupes de marine, se trouvent deux compagnies de Légion, soit 390 hommes dont 8 officiers, commandés par le capitaine Cattelain, une compagnie de tirailleurs tonkinois de 162 hommes commandés par deux officiers, une section de 31 artilleurs de marine avec deux canons de 80 mm, deux de « 4 » de montagne, deux mitrailleuses Hotchkiss, le sergent Bobillot et 7 sapeurs du génie, un médecin, un pasteur protestant, 3 infirmiers, 3 boulangers, monsieur Gauthier de Rougemont, un civil préposé aux vivres et les marins de la canonnière La Mitrailleuse, soit 598 hommes.
Avec 1 500 coups de canon, 250 000 cartouches d’infanterie, 4 mois de vivres et 75 outils de terrassement, le commandant organise le siège et chaque jour il effectue des reconnaissances à quelques kilomètres de la place. Le 3 décembre 1884, un convoi de 38 bœufs est amené par la canonnière l’Éclair. Le 4, 50 pirates s’approchent à moins de 2 km de la redoute. Le 7 décembre 1884, une compagnie de 30 tirailleurs tonkinois bouscule 700 Chinois à 5 km au sud-ouest près du village de Dong Yen.
Le chef de la citadelle fait fortifier les emplacements de combat avec des matériaux récupérés dans une vielle pagode en ruine. Les sapeurs renforcent le blockhaus en cinq jours. Cet ouvrage est tenu par un sergent et douze hommes, relevés toutes les 24 heures. Un chemin de 1 500 m est construit pour monter au mamelon. Une reconnaissance est chargée d’évaluer les forces ennemies.
La 1re compagnie de Légion, renforcée d’une pièce de « 4 » à 30 coups, de 40 tirailleurs tonkinois, pousse jusqu’à Dong Yen, à 4 km de sa base. Elle tombe sur les fortins chinois, enlève un petit poste et une tranchée mais les violents accrochages permettent aux contingents d’Y La et de Yen de cerner la colonne. Le commandant Dominé, prévoyant la manœuvre, envoie des renforts pour assurer une ligne de retraite. Aucune sortie ne peut être programmée à l’exception de patrouilles légères, dans un proche périmètre la garnison est employée à construire des protections : casemates, chemins couvert. De décembre 1884 à janvier 1885, les forces chinoises se font plus entreprenantes. Patrouilles, embuscades, attaques contre le blockhaus resserrent le cercle du siège. La capture d’un soldat chinois permet de connaître les forces en présence : 3 200 Chinois, dont 2 000 Pavillons noirs et 1 200 réguliers du Kouang Si, campent à Phu Yen Binh et à Phu Doan ; 5 000 réguliers du Yunnan et 1 000 Pavillons noirs sont à Yen Bay.
Les hostilités sérieuses débutent le 26 janvier 1885. Un vacarme infernal mêlant tam-tams, gongs, trompettes et fusillade se fait entendre. La ligne de défense des tirailleurs tonkinois est attaquée ; le village annamite est incendié ; les habitants se réfugient dans la citadelle. Une attaque pied à pied se prépare. Un millier de Chinois se lancent à l’assaut de la citadelle, mais ils sont stoppés par les feux croisés de la canonnière et de la garnison. Les 18 légionnaires du blockhaus, sous les ordres du sergent Lebon, repoussent l’assaut.
Pendant plus de 30 jours, c’est un bombardement continu. Seule une accalmie quotidienne, vers 10 h, trouble le vacarme de la bataille. C’est l’heure où les chinois se restaurent du tiou-tiou et fument la pipe d’opium. Les Français en profitent également pour avaler rapidement leur soupe, qui se compose d’endaubade en ragoût, en boulettes, aux oignons. Le menu est peu varié.
Les Chinois se rapprochent jour après jour et le 28 janvier 1885, il ne sont plus qu’à 100 m du blockhaus. Le 30 janvier 1885, la tête de sape des Chinois coupe la ligne de communication avec la citadelle. Le blockhaus est alors évacué et occupé presque aussitôt par les Pavillons noirs. Fort de ce point d’appui, l'attaque chinoise redouble. Les Pavillons noirs s'établissent sur la rive gauche du fleuve, les tirs chinois redoublent d’intensité et leurs effets deviennent plus meurtriers. La discipline de feu de la citadelle est parfaitement contrôlée. La plus grande partie des munitions brûlées l’est par 25 légionnaires, parmi les meilleurs, placés en tireurs de position sur le mamelon. Un Suisse, le légionnaire Sarback, tue plus de 20 Chinois avant de recevoir une balle au front qui le met hors de combat.
Le 6 février 1885, les Chinois s’approchent à 5 m du mur masqué par des fascines et plantent un drapeau. Le lieutenant Gœury de la 1re compagnie de Légion s’en empare au moyen d’une corde à nœud coulant, comme un lasso.
Le 8 février 1885, La garnison a perdu 6 tués et 22 blessés. Le légionnaire Wunderli est tué le premier au combat de Yoc, d’une balle dans la tête. Le 12 novembre les Chinois commencent à creuser des galeries de sape. Les défenseurs creusent des contre-galeries. C’est la guerre de siège. Le 11 février 1885, les mineurs chinois et français sont face à face. La mine chinoise est inondée au moyen de seaux d’eau préparés. Le 12 février 1885, la première sape explose ; les chinois s’élancent dans un assaut aussitôt brisé. Le 13, le saillant sud-ouest de la citadelle saute. Le capitaine Moulinay commandant la 2e compagnie de Légion, couvre la brèche de ses armes. Le bilan français est lourd : 5 tués et une dizaine de blessés. Le légionnaire Schelbaum est précipité en dehors du rempart, mort, défiguré par l’explosion. Il est récupéré audacieusement par le caporal Beulin et quatre hommes de la 2e compagnie. Ce dernier est nommé sergent sur le champ. Plus tard, il recevra la Légion d’honneur.
Le chef de bataillon Dominé ordonne la construction d’une citadelle plus petite, à l’intérieur de la citadelle, car les Chinois creusent sept galeries et pensent faire sauter 150 m de murs. Le travail a lieu pendant la nuit. Des trous sont creusés pour mettre à l’abri les munitions qui ne sont plus en sûreté à la poudrière. Le 16 février 1885, le sergent Beulin sort avec 20 légionnaires pour neutraliser un trou pratiqué par l’ennemi. Quatre légionnaires sont tués et un autre blessé.
Le 17 février 1885, le capitaine Dia, commandant les Tonkinois, est tué. Le 18 février 1885, le sergent Jules Bobillot est blessé en faisant une ronde sur la brèche. Il mourra un mois plus tard. Le 22 février 1885, les Chinois font exploser une mine sous les saillants ouest et sortent des tranchées. Le capitaine Moulinay à la tête d’une demi section et d’un groupe de sapeur contre-attaque. Il est tué ainsi que 12 de ses hommes. Le sous-lieutenant Vincent et 25 hommes sont blessés.
Le chef de bataillon Dominé, à la tête de d’une section de la 2e compagnie, fait sonner la charge et repousse les Chinois. Le 24 février 1885, ceux-ci se précipitent sur les brèches. Le sergent-major Husband, le sergent Thévenet et leurs légionnaires refoulent à la baïonnette les assaillants, qui laissent deux grands drapeaux. Le 25 février 1885, l’ennemi désespérant de prendre pied dans les brèches, laisse 40 morts avec leurs armes.
Un courrier annamite apporte une dépêche annonçant la venue d’une colonne de renfort, la promotion au grade de capitaine du lieutenant Naert, de la nomination au grade de sous-lieutenant du sergent-major Camps.
Le 28 février 1885, une septième mine ouvre une brèche où s’engouffrent les colonnes d’assaut qui se heurtent aux baïonnettes des légionnaires pendant 3 h. Au matin les Chinois battent en retraite. Le 2 mars la colonne de secours, avec à sa tête le général Brière de l’Isle et commandée par le colonel Giovaninelli, accroche les Chinois, à Hoa Moc, à 8 km de la citadelle. Cette colonne perd 400 hommes dont 34 officiers.
Le matin du 3, jour où la garnison est débloquée par les renforts de la colonne de secours, en tête de laquelle marchent les deux autres compagnies du 1er bataillon, commandées par le capitaine Frauger. Pendant la bataille, le légionnaire Streiber reçoit la dernière balle mortelle, en s’interposant entre des Chinois retranchés et le capitaine de Borelli.
L’Histoire garde en mémoire les noms du capitaine Moulinay, tué à la tête de la 1e compagnie, du capitaine Cattelin qui s’empare de deux drapeaux, du caporal Beulin qui, sous le feu ennemi, ramène les corps des légionnaires Schelbaum et Streibler. La garnison est réduite à 420 hommes. 48 hommes sont morts, et il y a 216 blessés; 8 mourront de leurs blessures dont Bobillot blessé le 18 février et qui mourra 1 mois plus tard à l’hôpital de Hanoi. Parmi ces pertes, 32 légionnaires morts au combat, ainsi que 126 blessés dont tous les officiers.
Effectifs pendant le siège[modifier] 1re et 2e compagnies de la Légion : 1er bataillon du 2e régiment étranger commandées respectivement par les capitaines Moulinay et de Borelli eux-mêmes sous le commandement du capitaine adjudant major Cattelin soit 8 officiers et 380 légionnaires
1 compagnie de tirailleurs tonkinois soit 2 officiers et 160 tirailleurs
1 section d’artillerie soit 1 officier et 31 artilleurs
1 escouade du Génie, commandant : sergent Bobillot, 7 sapeurs
3 infirmiers et 3 civils
l’équipage de la canonnière « La Mitrailleuse », soit 13 hommes sous le commandement de l’enseigne de vaisseau Senez.
Soit au total 611 hommes.
De leur côté les forces chinoises sont constituées d'environ 25 000 hommes, dont de nombreux pavillons noirs, élite d'alors.
Par la convention de Tien-Tsin, la Chine reconnaît les conquêtes françaises et promet d’évacuer ses troupes au Tonkin. Mais un incident relance le conflit, l’amiral Courbet reprenant sa campagne contre les côtes chinoises. La paix ne reviendra partiellement que le 9 juin 1885, les troubles reprenant dans la région de Hué, jusqu'en décembre 1885.
Malgré l'affaire du Tonkin et la chute de Ferry avec l’évacuation du poste frontière de Lang Son, le 30 mars 1885, la politique tonkinoise se poursuivit, la chambre continuant de voter les crédits nécessaires malgré une plus faible majorité, pour la pacification du Tonkin qui ne fut véritablement effective qu’en 1891 grâce à la politique de la tache d’huile de Gallieni.
L'infanterie de marine du capitaine Taccoën lors de la Bataille de Palan (1er septembre 1883).
La prise de Lang-Son
Attaque par les chinois du village de Tuyen Quan
Siège de Tuyan-Quan (Janvier 1885)
Hong-Hoa Belle charge de 5 cavaliers français
Combat de Bac-Lé ( 23 Juin 1884)
Combats de Lam & Chu (Oct 1884)
Entrée des français à Lang-Son (Février 1885)
Guet-Apens de Hué (Juillet 1885)
Prise de Dong-Dang (Février 1885)
Prise du drapeau des tigres impériaux (janvier 1885)
Prise de Kep-Mort du capitaine Planté (Aout 1884)
Un soldat des Pavillons noirs en 1885
Un tireur d'élite de la légion à Tuyên Quang
Honneur à l'armée et à la marine françaises. (?) La France reconnaissante à son armée (?)
La Cochinchine et le Tonkin unis à la France (?) Apothéose de la conquête du Tonkin
Planche en couleurs illustrée. Scène intervenant sans doute après la signature du traité entre l'amiral Courbet
et le prince de l'Annam en 1883. En arrière plan, vue de Hué (citadelle).
Cloche d'une pagode, témoin du siège (Musée de l'Armée (Paris)
Ainsi, il y a un siècle, la France avait dessiné un nouvel empire d'Asie sur toute la façade orientale de la péninsule indochinoise. Encore fallait-il le pacifier et l'organiser ! Ce fut une oeuvre de longue haleine compte tenu des difficultés dues au relief et au climat, mais aussi du fait de la diversité des populations et des résistances politico-économiques.
En effet, les oppositions à la présence française étaient fortes car :
- le Viêt-nam était un État ancien doté d'une organisation administrative périmée mais puissante aux mains de "lettrés" (les mandarins) dont nous heurtions les traditions culturelles et sociales, mais aussi que nous empêchions souvent d'exploiter le petit peuple en rognant et contrôlant leur pouvoir,
- les nombreuses bandes de brigands (comme les fameux "Pavillons Noirs") dominaient des régions entières et rançonnaient les campagnes où nos soldats et administrateurs voulaient ramener l'ordre,
- en France même, une partie de l'opinion publique comprenait mal les efforts et les dépenses dans cette partie éloignée du monde, et les Chambres, lassées de voir les combats se poursuivre, rognaient souvent les crédits.
Face à ces oppositions le gouvernement français ne sut pas définir et faire appliquer une politique claire et constante avec des moyens militaires suffisants. Cela explique nos échecs et nos lourdes pertes durant cette période. Les difficultés furent particulièrement grandes en Annam et au Tonkin.
En Annam, en 1885, un guet-apens fut tendu au général de COURCY venu à HUE présenter ses lettres de créance au jeune roi HAM-NGHI. Il échoua mais ses organisateurs, les deux mandarins-régents TUONG et THUYET, organisèrent un véritable soulèvement populaire appuyé sur des places-fortes. Ce fut une guerre cruelle et sanglante qui ne se termina qu'après la capture et l'exil du roi SAM-NGHI en 1889.
Au Tonkin, une situation plus grave encore se développa car toute la Haute Région, entre le delta et la frontière chinoise, était abandonnée aux pirates qui rançonnaient et terrorisaient les populations. De 1886 à 1891, nos troupes s'épuisèrent à poursuivre un adversaire insaisissable qui les harcelait et réoccupait le terrain derrière elles. Pour en finir, le nouveau Gouverneur Général, M. de LANESSAN, divisa la Haute Région en quatre territoires militaires où les pouvoirs civils étaient confiés à des officiers comme le colonel GALLIENI qui mit au point les principes de pacification que son chef d'État Major, le commandant LYAUTEY, appliquera plus tard au Maroc. C'est la politique de la "tache d'huile" qui édifie une barrière de postes à l'abri desquels on trace des routes et protège paysans et commerçants. Puis on porte en avant la ligne des postes, on arme les villages pacifiés et ainsi de suite.
Ainsi, en 1896, la plupart des bandes étaient-elles détruites et les Chinois, envahis par les pirates en fuite, réagissaient à leur tour et s'entendaient avec les Français pour ouvrir la frontière au commerce.
Par contre, la pénétration française au Laos se réalisa relativement facilement grâce à 1'action d'Auguste PAVIE. Celui-ci, ancien soldat, puis fonctionnaire des P.T.T. en Cochinchine, devait se montrer remarquable explorateur et diplomate. Remontant le Mékong, PAVIE parvint à LUANG-PRABANG en Février 1887 alors que le Laos était en pleine anarchie par suite des attaques siamoises à l'ouest et des actions des Pavillons Noirs au nord. Avec une rare énergie et beaucoup d'audace, PAVIE sauva le roi du Laos, fit libérer ses fils prisonniers des Siamois, se rallia les Pavillons Noirs et gagna le Tonkin par la Rivière Noire en Février 1888. D'Août à Décembre 1888, PAVIE, accompagné du commandant PENNEQUIN et d'une escorte, obtint, sans tirer un coup de fusil, la soumission des Méos et des Thaïs du Haut-Laos. Malgré un accord en 1889, le Siam envahissait à nouveau le Laos dès 1891, et il faudra un blocus de Bangkok par notre flotte pour obtenir le traité d'octobre 1893, où le Siam reconnaissait l'indépendance du Laos et notre protectorat. Enfin, un accord avec l'Angleterre fixa la frontière entre le Laos et la Birmanie annexée par les Anglais en 1886.
L'année 1897 marqua le début d'une ère nouvelle par la nomination d'un véritable homme d'État, Paul DOUMER, au Gouvernement Général de l'Indochine. Organisateur et homme d'action, il allait fonder l'Indochine nouvelle en créant une administration centralisée disposant d'un budget général important, et en lançant un vaste programme de grands travaux nécessaires à la modernisation et au développement d'une économie archaïque. Il sut également achever la pacification du Tonkin en obtenant la soumission du dernier chef de bande, le rusé DE-THAM, qui avait regroupé les débris des autres bandes (mais en 1909, il faudra lutter à nouveau contre lui pendant onze mois pour en finir).
En 1902, quand Paul DOUMER quitte son poste, l'Indochine est transformée : la paix et l'ordre règnent à peu près partout et le développement économique est en bonne voie. Pourtant, des abus de l'administration et le mépris, voire les violences de certains colons, détournent parfois de nous les populations. Aussi, le successeur de DOUMER, Paul BEAU, entreprit-il la conquête morale du pays en luttant contre les abus de toute nature et en donnant aux indigènes la possibilité de jouer un rôle croissant (recrutement de fonctionnaires, ouverture d'écoles, assistance médicale, etc.).
En 1905, M. CLEMENTEL, Ministre des colonies, officialisait cette politique en déclarant : "l'heure est venue de substituer en Extrême-Orient la politique d'association à la politique de domination".
Si le petit peuple acceptait facilement la paix française, gage de tranquillité et d'amélioration de son niveau de vie, une partie des "lettrés" restait hostile à la France qu'ils considéraient, à tort ou à raison, comme un frein à leurs ambitions politiques ou sociales.
Or, la victoire japonaise de 1905 sur la Russie révélait aux Annamites que les peuples jaunes, formés à la science et aux techniques modernes, valaient les Européens. C'est ainsi que quelques Annamites partirent pour le Japon ; le plus actif d'entre eux s'appelait PHAN-BOI-CHÂU et il y attira le prince CUONG-DE, descendant de GIA-LONG. Du Japon, ce petit groupe allait commencer une propagande nationaliste par l'envoi de pamphlets et de poèmes.
Cependant l'ordre ne fut pas troublé jusqu'en 1908 où la crise éclata : les troubles commencèrent en ANNAM le 11 mars 1908 avec des manifestations réclamant la réduction ou la suppression des impôts. Au Tonkin, les choses allèrent plus loin avec la tentative d'empoisonnement de 200 soldats. Il s'agissait d'un véritable complot qui n'échoua que par l'arrestation rapide des meneurs dont les vrais chefs étaient au Japon, mais aussi au Tonkin, car le De-Tham n'avait fait qu'une soumission apparente.
Cette crise fut l'occasion de profondes réformes au profit des indigènes réalisées par les gouverneurs Klobukowski et Sarrault. Mais l'activité clandestine des révolutionnaires se poursuivit à partir de la Chine en liaison avec les anarchistes chinois. Ainsi, une série d'attentats à la bombe eut lieu à Saigon, Hanoi et Thai-Binh en 1913.
Finalement, les réformes libérales d'Albert Sarrault portèrent leurs fruits et la confiance populaire succéda au mécontentement. Il était temps, car la déclaration de guerre en Europe retentit comme un coup de foudre en Indochine .
Pendant la Grande Guerre, le loyalisme des Indochinois permit de dégager des troupes et de lever soldats et travailleurs pour la Métropole. Cependant des troubles se produisirent à l'instigation des Allemands qui voulaient soutenir les révolutionnaires à partir de leur base de Tsin-Tao (mais les Japonais s'en emparèrent le 6 novembre 1914), et qui financèrent la piraterie chinoise au Tonkin et au Laos. Il y eut des complots comme à HUE où le jeune roi voulait chasser les Français. Arrêté et exilé, il fut remplacé par le fils de Dông-Khanh, premier roi choisi autrefois par la France et dont la loyauté avait été exemplaire.
En août 1917, une révolte éclata à THAI-NGUYEN au Tonkin et il fallut quatre mois de campagne pour en venir à bout. Enfin, en 1918, un autre complot dans la région de Moncay nécessité 7 mois de campagne.
Déo Van Tri (jambes croisées) ancien chef des Pavillons Noirs, rallié à Auguste Pavie
Partisans du Fleuve Rouge (1894)
Paul DOUMER
Le pont Paul Doumer à Hanoï
Albert Sarrault
Le De-Tham
Le monument aux morts de la Grande Guerre à Hanoï
Après la guerre, la France victorieuse mais meurtrie voulut trouver dans ses colonies des ressources nouvelles et l Indochine, longtemps méconnue, apparut à certains comme un eldorado. Capitalistes et techniciens s'y intéressèrent, et deux milliards de francs y furent investis de 1924 à 1929 provoquant une fièvre de production industrielle (métallurgie, cimenterie, textile) et la création d immenses plantations au sud en particulier (hévéas, caféiers, théiers) Cette prospérité bénéficia surtout aux industriels et commerçants, grisés parfois par d'énormes profits. Mais la crise mondiale de 1929 donna un coup d'arrêt et provoqua des difficultés sociales. En effet, le passage d'une économie rurale élémentaire à une économie plus évoluée et en partie industrielle, avait amené l'apparition d'un prolétariat particulièrement exposé à la propagande extérieure.
Par ailleurs, cette politique purement économique avait déçue l'élite qui avait cru que la participation de l'Indochine à l'effort de guerre français grandirait son influence politique et modifierait l'ordre colonial.
Or, dès 1924, les idées marxistes se développèrent en Asie où Moscou travaillait surtout à exalter le nationalisme indigène et à semer l'esprit de révolte. En Chine, Canton était devenu un centre de propagande communiste avec une section annamite, et, à Paris, le parti communiste français prenait en charge nombre d'étudiants et ouvriers indochinois perdus dans la grande ville. Ainsi, peu à peu, les révolutionnaires purent-ils organiser des cellules, travailler les ouvriers, fomenter des grèves et agir sur la jeunesse universitaire avec l'aide, souvent, de la presse indigène.
Face à ces menées, le gouvernement français ne sut pas définir le programme à la fois libéral et ferme qui s'imposait alors que l'élite annamite formulait des revendications avec une hardiesse accrue. Dès 1918, des groupes révolutionnaires et des sociétés secrètes s'organisèrent pour l'action, comme le CONG-SANH communiste et le VIET-NAM-QUOC-DANG de forme traditionnelle annamite et se considérant comme le parti national du Tonkin. Ce dernier parti extorquait de l'argent aux riches villageois et promettait honneurs et places à tous les aigris et mécontents groupés en sections.
En 1929, le parti Viet-Nam-Quoc-Dang passa à l'action par une série d'assassinats à Saigon, Hanoi et Haïphong, des attentats (20 bombes à Hanoi en 1930), l'attaque d'une caserne à Yen Bay au Tonkin et des manifestations dans la Cochinchine. La répression fut rapide et se traduisit par l'arrestation des principaux chefs du parti qui se trouva complètement désorganisé.
Mais, a partir de Mars 1930, ce fut le parti communiste qui prit la relève non sur le plan politique (contre les Français), mais sur le plan social en vue de soulever les paysans pauvres contre les riches. Ainsi, de mai à septembre, l'agitation grandit et se transforma en jacquerie surprenant les autorités non prévenues par les mandarins anxieux ou indifférents. On vit des colonnes de manifestants, armés de battons et de piques de bambou, brandissant des drapeaux rouges soviétiques, attaquer les postes indigènes, les gares, les écoles et même des pagodes !
Toutefois, l'action du parti communiste indochinois, dirigé par Hô Chi Minh fut purement annamite et le calme régna au Cambodge et au Laos.
En 1931, tout était rentré dans l'ordre alors que s'ouvrait l'exposition coloniale à Paris. Là, les Français découvraient le bilan extraordinaire de la colonisation sur les plans de la législation, de l'administration, de l'économie, mais aussi de la santé, de l'instruction et de la culture dans le respect des traditions et des religions locales.
Il y avait cependant des ombres à ce tableau et dans "l'HISTOIRE DES COLONIES FRANCAISES ET DE L'EXPANSION DE LA FRANCE DANS LE MONDE", parue en 1932, Edmond CHASSIGNEUX concluait la partie consacrée à l'Indochine en évoquant les difficultés politiques sous-jacentes :
"Cette élite réclame de la France démocratique un ensemble de réformes immédiates destinées à fonder un ordre de choses entièrement nouveau. Mais à côté des constitutionnalistes de Cochinchine, des nationalistes et réformistes de toutes nuances le peuple semble attendre de nous la paix et le bien-être, ainsi que le maintien des vieux usages et de ce qui subsiste des prérogatives communales ; les villages restent des foyers de conservation sociale. Cette dualité d'aspirations, qui n'apparaît en pleine clarté que depuis quelques années, constitue l'une des difficultés de l'oeuvre française : telle mesure libérale réclamée par l'élite peut sembler tyrannique à la masse rurale ; par contre une politique de conservation sociale que les indigènes les plus évolués jugent oppressive, peut avoir l'approbation du plus grand nombre. S'il est vrai que la législation d'un pays doive enregistrer le résultats déjà acquis dans les moeurs comment devons-nous donc agir ?".
En fait, sauf en Cochinchine, où les français ont par un acte d'autorité brisé volontairement avec la tradition, ils ont le plus souvent suivi l'évolution avec prudence. Aujourd'hui, le vieux despotisme asiatique a vécu. Les populations indigènes ont le moyen de faire entendre leur voix, des assemblées consultatives existent dans tous les pays de protectorat : l'une d'elles, à HUE même, siège sous le nom "d'Assemblée du peuple" à côté de celui que l'on nomme encore le Fils du Ciel, "père et mère" de son peuple. Le principe occidental de la séparation des pouvoirs, qui n'est pas en contradiction moins flagrante avec les vieilles institutions, d'abord introduit en Cochinchine, a été progressivement étendu. La responsabilité collective des villages a été supprimée. Des codes nouveaux on été rédigés par nos juristes, qui ont fait effort pour fondre ensemble les principes du droit français et ceux du droit indigène. Ont-ils réussi ? Dans le code pénal promulgué au Tonkin en 1917, l'adultère (autrefois réprimé par la strangulation avec ou sans sursis) est puni de trois mois à deux ans de prison et la peine peut être abaissée par l'admission de circonstances atténuantes ; la désobéissance filiale n'est plus sanctionnée que dans certains cas expressément indiqués et après vingt et un ans le fils n'est plus tenu, pénalement, d'obéir à son père. Si cette législation nouvelle a consacré un affaiblissement de l'autorité familiale déjà réalisé dans maintes familles indigènes, n'a-t-elle ! pas troublé bien des consciences ?
Une autre cause de difficulté, peut-être encore plus grave réside dans l'attitude adoptée à notre égard par les diverses fractions de la population. La jeunesse instruite, qui a acquis dans nos grandes écoles et nos facultés une culture à forme européenne, a parfois affiché des sentiments d'hostilité envers la France.
La bourgeoisie annamite aisée et les fonctionnaires indigènes qui nous doivent tout, comprennent mieux la signification dé notre oeuvre indochinoise ; ils sont d'ailleurs trop renseignés sur la force française pour obéir aveuglément aux conseils de violence. Mais ils nous apportent rarement une franche collaboration et prennent volontiers à notre égard une attitude réservée et distante.
Quant à la masse paysanne, traditionnellement dressée à l'obéissance, bien qu'elle sente confusément que la tutelle française est pour elle un gage de paix et de bien-être et qu'elle apprécie les avantages matériels que nous lui apportons, elle est aujourd'hui, comme elle a toujours été, infiniment crédule et impressionnable. Les hommes qui la connaissent bien redoutent toujours cette instabilité dont elle a donné tant d'exemples au cours de 1 histoire. Bien avant les tragiques événements de Yen-Bay, M. PASQUIER avait dit : "La masse rurale rêve d'un régime meilleur, oublie les services reçus, se laisse bercer par les mots et les Chimères... Pour une heure d'ivresse, le peuple est prêt à suivre tous ceux qui parleront à sa chimère, quitte à payer ces heures d'égarement par de longues années d'oppression et de souffrance". Des paysans se sont levés hier à l'appel des communistes, comme ils avaient obéi naguère à Phan-boi-châu et comme leurs ancêtres avaient aveuglément suivi en Cochinchine les Tay-son, au Tonkin les partisans du prétendant Lê. Dans tous ces cas de "psychose collective", l'élan initial, violent et fanatique, a été suivi par un dur retour à la réalité : une répression sévère (moins cruelle aujourd'hui que sous les souverains annamites) et le sentiment d'avoir été trompé par des meneurs sans scrupule.
Devant toutes ces difficultés, on ne peut s'empêcher de penser au mot prophétique de Paul Leroy-Beaulieu : "Le dix-neuvième siècle aura été l'âge héroïque de la nouvelle colonisation européenne, il se pourrait que le vingtième siècle en fut l'âge critique."
La suite des événements devait malheureusement confirmer la justesse de ces appréciations !
Hô Chi Minh
Chemin de fer Decauville au Tonkin
1939, Français et Indochinois vivent en harmonie. Harmonie engendrée par la paix française, obtenue au prix d'efforts convergents et de compréhension réciproque. Paix réelle dans un climat général de confiance et d'estime. Chacun à sa place. Responsabilités partagées. Souveraineté respectée partout où elle a une origine historique. Assistance et développement sur l'ensemble du territoire. La vie quotidienne se déroule pour les Indochinois et pour les Français dans la plus totale sécurité.
L'indochinois est chez lui, qu'il soit Tonkinois, Annamite, Cochinchinois, Laotien ou Cambodgien. Le Français se sent aussi chez lui, qu'il réside dans les villes, sur les plantations, dans les postes isolés des confins montagneux ou des plaines agricoles. Du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest, chacun peut circuler librement, sans escorte , sur les pistes, les routes, les voies ferrées, les artères fluviales ou la mer. Chacun se nourrit à sa faim car la distribution des ressources s'effectue rationnellement par la loi naturelle du marché. L'Indochine est prospère et heureuse sous la conduite de la France.
Mais, ce 3 Septembre 1939, les Français d'Indochine apprennent en fin de journée que la guerre est déclarée à l'Allemagne nazie. De partout des volontaires demandent à rejoindre la métropole et se battre pour leur patrie. Le mot d'ordre arrive vite : "L'Indochine c'est aussi la France ; chacun reste à son poste". Et la vie, un instant suspendue, reprend, jusqu'à ce jour de Juin 1940 où est signée l'Armistice. L'avenir est imprévisible : il va bientôt se préciser.
Fort de la défaite française en Europe, le Japon, qui depuis 1937 occupe une partie de la Chine, exige, dès Juillet 1940, la présence au Tonkin d'une mission de contrôle qui se transformera vite en une implantation militaire abusive et hostile. L'Amiral DECOUX, qui prend alors la barre de l'Indochine, va s'efforcer tout au long de son mandat de contenir les exigences de plus en plus pressantes des Japonais.
Elles se traduisent d'abord par un premier ultimatum, le 2 Août 1940, pour la liberté de passage, à travers le territoire indochinois, de LANGSON à HAIPHONG pour l'armée japonaise du KOUANJ-SI dont la situation devient précaire. L'affaire est réglée diplomatiquement. Mais le 19 Septembre, un nouvel ultimatum est lancé par T0KIO : disposition de 3 aérodromes, stationnement de 6 000 hommes et libre transit de l'armée de KOUANG-SI.
La sécurité et la paix de l'Indochine, évoquées plus haut, ne réclamaient la présence que d'une force de défense de 20 000 hommes dont 6 000 Français. Mais le matériel et l'armement dont elle disposait étaient désuets et inadaptés à une guerre moderne. Seule la Marine pouvait compter quelques unités de haute mer de niveau convenable. La qualité des hommes et leur aptitude au combat n'étaient pas en question, qu'ils fussent Français ou Indochinois.
Aussi, lorsque le 22 Septembre, les Japonais violèrent la frontière du Tonkin au mépris des accords convenus, les garnisons de NA CHAM, DONG DANG et LANGSON résistèrent-elles avec la plus grande détermination. Ce premier "drame de LANGSON", qualifié de "regrettable malentendu", doublé d'un débarquement en force à DO SON, près de HAIPHONG, firent de ces journées du 22 au 26 Septembre 1940 le premier sacrifice des Français d'Indochine à la 2ème Guerre Mondiale.
Dans le sillage de cette agression, le Japon prévoyait déjà l'établissement de la "sphère de Prospérité de l'Asie Orientale" par l'élimination de toute présence de l'Occident à la frange du Pacifique. Aussi soutint-il l'ambition siamoise du "pan-thaîsme" qui déboucha sur la guerre franco-siamoise en Décembre 1940. A l'issue de nombreux et violents harcèlements ou combats le long de la frontière, la victoire navale de KOH CHANG, le 17 Janvier 1941 mit fin au conflit, mais la "médiation" du Japon imposa à la France la cession des territoires laotiens de la rive droite du Mékong et une large part du Cambodge. La France obtenait néanmoins la dé-neutralisation du Laos.
Une restructuration militaire fut accomplie mais nécessitait un renfort de moyens. Une mission fut envoyée dans ce but aux États-Unis, sans succès. Les dernières liaisons avec la métropole étaient coupées en Juillet 1941. L'attaque de PEARL HARBOUR le 8 Décembre isolait définitivement l'Indochine.
Une nouvelle pression du Japon aboutit à des accords laborieusement négociés sous la menace d'un adversaire déterminé et conquérant : l'Indochine dut concéder le stationnement ou le passage sur son territoire de troupes japonaises, ainsi que des facilités portuaires et aériennes. Mais elle ne fut jamais "occupée" car son gouvernement et son administration demeurèrent, jusqu'au 9 Mars 1945, entre les mains du Gouvernement Général, et son armée garda son entière liberté de structure et de mouvement.
Dans le calme précaire qui s'établit alors, l'Indochine se devait de montrer un visage courageux, tant vis-à-vis de ses populations que pour l'extérieur. Une profonde réorganisation fut lancée qui appelait les souverains protégés et les autorités indochinoises à de plus grandes responsabilités dans le gouvernement de leur pays. Un nouvel élan fut donné à la formation des cadres, à l'enseignement, à l'économie, à l'agriculture, aux exploitations forestières et minières, aux communications, aux échanges commerciaux intérieurs. L'Indochine devait vivre sur elle-même : un large champ d'action s'ouvrait à l'initiative privée et officielle. Malgré la présence japonaise et son insidieuse propagande auprès des populations, l'ordre et le progrès s'intensifiaient sur l'ensemble du territoire.
Dès 1941, cependant, des contacts individuels s'étaient établis avec l'extérieur. Ils se concrétisèrent en 1943 par une liaison audacieuse avec le Gouvernement Provisoire d'ALGER. Des missions clandestines parachutées en Indochine permettaient de poser les bases techniques de la résistance indochinoise qui s'organisa en réseaux dirigés de HANOI. Des moyens de transmissions modernes furent introduits par la même voie, à partir de CALCUTTA. Une moisson de renseignements était fournie aux Alliés sur les mouvements et les effectifs japonais, au point que dès la reprise des Philippines en 1944, les Américains purent intercepter, avec leur aviation, les convois maritimes de leur ennemi, mais aussi détruire de façon parfois regrettable, leurs lignes de communications sur le sol indochinois.
Dans le Pacifique et sur le continent, le Japon voyait s'amplifier le reflux des forces alliées. La résistance indochinoise se renforçait grâce aux parachutages d'armes et de commandos. Devant cette double menace, le commandement nippon élargit son emprise sur le territoire indochinois.
Comprenant que la présence d'une armée franco-indochinoise intacte pouvait faire obstacle au repli de ses troupes, il lança le 9 mars 1945, un dernier ultimatum au Gouverneur Général lui enjoignant de la mettre à ses ordres.
Le refus formel qui lui fut opposé déclencha le soir même une attaque sauvage de toutes les garnisons françaises. Toutes résistèrent farouchement. Le corps à corps se poursuivit parfois plusieurs jours. Assaillies par des forces supérieures, elles succombèrent l'une après l'autre dans l'honneur, non sans avoir infligé des pertes très dures à l'ennemi. Les survivants furent pour la plupart massacrés.
Leur résistance permit aux troupes françaises qui n'étaient pas directement au contact, de s'organiser en vue d'une défense en profondeur. Mais faute de ravitaillement et d'appui extérieur, les colonnes ainsi formées durent amorcer leur repli vers la Chine ou les régions montagneuses. Tour à tour, dans le centre et au Sud, elles furent anéanties ou capturées, à de rares exceptions près. Seules, celles du Nord purent passer en Chine après une lutte pied à pied et des combats acharnés. Le 1er Mai, les dernières troupes valides franchissaient la frontière.
Alors commença pour les prisonniers français et les familles, une longue et douloureuse captivité. Dans les neuf camps de déportation où furent transférés les prisonniers français, la malnutrition, les traitements barbares, la dysenterie et le béribéri tirent des ravages. Ceux qui ont survécu peuvent en témoigner.
La violence japonaise fit plus de 6 OOO morts, dont plus de 2 OOO européens, soit le tiers des effectifs, dans les combats, et près d'un millier en captivité. Elle ne prit fin qu'après la deuxième bombe atomique lancée sur NAGASAKI, le 9 Août 194S. Le Japon déposa les armes le 15 Août. Sa capitulation sans condition fut signée le 9 Septembre en rade de TOKYO sur le croiseur américain "Missouri" : le Général Leclerc signa pour la France. La Deuxième Guerre Mondiale n'était plus qu'un affreux cauchemar.
Il restait cependant, à ce moment, sur les arrières japonais, en plusieurs coins du Laos, quelques commandos français parachutés, renforcés d'éléments de l'intérieur, qui avaient harcelé jusqu'en Juin les convois et les détachements de l'ennemi.
Ils durent, sur ordre, cesser toute activité offensive pour préserver de représailles les familles et les prisonniers français. Ils exercèrent alors une surveillance constante et aventureuse des troupes japonaises de leur zone. Leur présence a garanti, jusqu'à la capitulation, celle de la France.
Porte de Chine à la frontière du Kouang Si et du Tonkin près de Don Dang
Juillet 41 : entrée dans Saïgon de troupes cyclistes japonaises
Dès la Libération de la France le gouvernement du Général de Gaulle s'était préoccupé du sort futur de l'Indochine encore dominée par les Japonais, et il publia le 23 Mars 1945 une "Déclaration" fixant le statut démocratique de l'Indochine au sein d'une "UNION FRANCAISE". Mais sur place, la situation était déjà difficile car les Japonais avaient jeté le discrédit sur la France et même proclamé l'indépendance, tandis que les services de renseignement américains utilisaient le Viêt-minh et lui fournissaient armes et instructeurs.
La capitulation japonaise du 15 Août 1945 compliqua encore les choses puisque les Alliés confièrent l'occupation du Nord de l'Indochine aux Chinois et celle du Sud aux Anglais. Ho Chi Minh et ses lieutenants, Pham Van Dong et Vô Nguyen Giap, profitèrent du vide politique et administratif français pour proclamer l'indépendance de la "République Démocratique du Viêt-nam" le 2 Septembre 1945 à Hanoi. Dans la déclaration d'indépendance, le Viêt-minh annonçait son refus de toute relation avec la "France impérialiste" et l'abolition "des traités signés par la France au sujet du Viet-Nam". En réalité, l'autorité du gouvernement d'Hô Chi Minh ne s'exerçait que dans quelques zones "libérées" du Tonkin, et dès le 12 Septembre les troupes du Général Leclerc débarquaient en Cochinchine et les Anglais leur cédaient la place progressivement.
Malgré la résistance de quelques groupes Viêt-minh, les troupes de Leclerc s'imposèrent en Cochinchine tandis que les troupes chinoises pi11aient le nord du pays. Ainsi, Hô Chi Minh fut-il amené à s'entendre avec la France qui semblait prête à faire des concessions et pouvait seule négocier le départ des amis chinois. Finalement, tout semblait en bonne voie, en Mars 1946, lorsque Leclerc fut accueilli à Hanoi par Ho Chi Minh qui allait alors se rendre en France pour discuter du statut du Viêt-nam. La conférence de Fontainebleau ne fut qu'un accord de surface car la France tenait à conserver sa souveraineté en Cochinchine alors qu'Ho Chi Minh voulait unifier les Trois "KY" (Tonkin-Annam-Cochinchine) et obtenir une indépendance quasi totale.
C'est pourquoi la situation devait rapidement se dégrader entre le gouvernement vietnamien et l'Amiral Thierry D'Argenlieu, haut-commissaire en Indochine, qui proclama une république de Cochinchine sous protectorat français et fit occuper Hanoi. Bientôt, de graves incidents éclatèrent à Haïphong et Hanoi en Novembre et Décembre 1946, rompant les accords passés ; Hô Chi Minh décida alors la lutte armée et la guerre d'usure commença.
Ce long et douloureux conflit peut se diviser schématiquement en trois grandes phases politico-militaires :
1946-1950 :
c'est une guerre de décolonisation où les Français tiennent les villes et les grands axes, alors que le Viêt-minh mène la guérilla permanente par le terrorisme et les embuscades mais aussi crée des zones "libérées" dans les régions d'accès difficile comme les montagnes du Nord-Tonkin et du Nord-Annam, ou les zones marécageuses de la Plaine des Joncs et de la presqu'île de Camau en Cochinchine. Dans ces régions, il organise un régime communiste et fanatise les jeunes tout en se ralliant les petits paysans par le partage des terres.
Toutefois, la France cherche une solution politique durable et trouve un interlocuteur valable dans la personne de l'ex-empereur d'Annam, Bao Daï, autour duquel se rassemblent de nombreux nationalistes modérés. Ainsi, en 1948, les accords de la Baie d'Along accordent à Bao Daï l'indépendance d'un Viêt-nam unifié (ce qui avait été refusé à Ho Chi Minh !). En 1949, des accords semblables sont signés avec le Cambodge et le Laos. Ainsi, ces nouveaux États vont disposer d'armées nationales, formées et encadrées par des Français qui représenteront, en 1954, cinquante pour cent des effectifs luttant contre le Viêt-minh. Malheureusement, cette décolonisation sur le papier ne résout pas les problèmes et l'armée française continue à combattre un ennemi de plus en plus puissant.
1950-1953 :
Le conflit s'internationalise car la victoire du communisme en Chine en 1949 permet au Viêt-minh de trouver des refuges et des bases d'entraînement en Chine, mais aussi de recevoir une aide militaire considérable chinoise et soviétique. Le Général Viêt-minh GIAP peut alors créer de véritables divisions et passer progressivement à une guerre plus classique.
De son côté, la France reçoit l'aide financière des U.S.A. engagés dans la guerre de Corée et désireux d'endiguer la poussée communiste dans le Sud-Est asiatique. Par contre, l'Union Française en Indochine se désintègre face à la surenchère nationaliste des gouvernements du Vietnam, du Laos et du Cambodge qui cherchent un appui dans les populations et vont exiger la rupture des derniers liens avec la France prévus par les accords de 1948-49. Ainsi, la France combat pour des États qui souhaitent son retrait total à la fin du conflit !
Dans le même temps, la situation militaire s'aggrave face à un adversaire de plus en plus nombreux, mieux armé et fanatisé, alors que les moyens du corps expéditionnaire restent limités. Il faut ainsi évacuer les régions montagneuses et se replier sur le delta au Tonkin.
Après l'évacuation dramatique de CAO-BANG en Octobre 1950, le gouvernement français fait appel au prestigieux Général de Lattre de Tassigny qui rejoint Saigon le 17 Décembre 1950. Relevant le moral de nos troupes et réorganisant le système défensif, de Lattre va briser trois vastes attaques du Viêt-minh et même reprendre l'offensive. Mais la maladie l'oblige à quitter l'Indochine en novembre 1951, et ses successeurs, les généraux Salan et Navarre vont connaître des difficultés croissances.
1953-1956 :
les Américains signent un armistice en Corée avec les Chinois et tentent d'engager une négociation globale pour résoudre les problèmes en Asie. Une conférence est prévue, à cet effet, à Genève en mai 1954, ce qui pousse l'état-major français à chercher un succès décisif avant cette date.
Le Général Navarre, commandant en chef en Indochine, déclenche le 20 novembre 1953 l'opération "CASTOR" pour installer un camp retranché à DIEN BIEN PHU ; le but est de défendre le Laos menacé par Giap mais aussi de lui tendre un piège en 1'amenant à concentrer ses troupes sur DIEN BIEN PHU où Navarre compte bien les détruire. Ainsi, le 1er mars 1994, 60 000 "Viets" encerclent les 12 000 défenseurs du camp et le 13, l'attaque commence. Mais le piège fonctionne contre les Français car, contre toute attente, Giap a réussi à acheminer une puissante artillerie qui écrase nos positions et rend le terrain d'atterrissage impraticable. Après deux mois de furieux combats, le Général de Castries capitule, le 7 mai 1954.
Depuis le 27 avril, la Conférence de Genève s'était ouverte et la chute de DIEN BIEN PHU, exploitée par nos adversaires, conduisit aux "accords de Genève", signés en juillet. Ils partageaient le Vietnam, le long du 17ème parallèle, en deux États : au Nord, la République Démocratique du Vietnam livrée à Hô Chi Minh et au Sud, après la déposition de l'empereur Bao Daï, une république présidée par le pro-américain Ngô Dinh Diem. Des élections étaient prévues en 1956 pour réunifier le pays. Elles n'eurent jamais lieu, et en avril 1956, les deniers soldats Français quittaient le Vietnam où tant d'entre eux avaient laissé leur vie au service de la France mais aussi pour la liberté de peuples menacés d'asservissement.
De fait, entre les deux Vietnam, au Cambodge et au Laos, allait commencer la lutte entre les communistes et les nationalistes soutenus par les U.S.A. : dès 1960, la seconde guerre d'Indochine débutait !
Le général Leclerc et l'amiral Thierry d'Argenlieu
Le ministre Jean Letourneau et l'empereur Bao Daï en janvier 1952
1953 : OAP région de Lang Son
Au vue des réalisations, on les imagine très nombreux. En réalité, ils ne sont qu'une poignée... Quelques dizaines de milliers tout au plus à l'aube de la 2eme guerre mondiale et, parmi eux, quelques milliers seulement à contribuer directement à la transformation de l'Indochine... L'Indochine n'a jamais été une colonie de peuplement et les données du 1er recensement méthodique de 1937 fournissent de précieuses informations.
Ces données et commentaires sont extraits de l'ouvrage "L'évolution économique de l'Indochine Française" par Charles Robequain, professeur à la Sorbonne (1939).
Combien sont ils ?
Les "européens" n'étaient que 24.000 environ en 1913, 25.000 en 1921 et 42.345 en 1937.
Pays | Population Totale | Européens et assimilés | % d'Européens / Pop. Totale |
Cochinchine | 4.616.000 | 16.084 | 0,35% |
Tonkin | 8.700.000 | 18.171 | 0,21% |
Annam | 5.656.000 | 4.982 | 0,09% |
Cambodge | 3.046.000 | 2.534 | 0,08% |
Laos | 1.012.000 | 574 | 0,06% |
Total et moyenne | 23.030.000 | 42345 | 0,18% |
Globalement, tout pays confondus, il n'y a qu'un "européen et assimilé" pour 544 habitants. La plus forte concentration est en Cochinchine (1 pour 286 habitants) et la moins forte au Laos (1 pour 1763 habitants).
Seulement 574 européens au Laos !
Les français sont en réalité beaucoup moins nombreux que cela, si on détaille davantage la notion "d'européens et assimilés" :
Gens de nationalité française par droit de naissance | 36.134 |
Gens de nationalité francaise par naturalisation | 2.746 |
Japonais | 231 |
Britanniques | 138 |
Américains | 94 |
Autres | 2311 |
Nationalité non déclarée | 691 |
Total "Européens et assimilés" | 42.345 |
Ainsi, les Français de naissance ne sont que 36.134 en 1937.
Lieux de naissance | Sexe masculin | Sexe Féminin | Sexe réunis |
France | 13.229 | 5.816 | 19.045 |
Indochine | 7.552 | 7.886 | 15.438 |
Autres colonies françaises | 2.426 | 917 | 3.343 |
Autres | 3.245 | 1.174 | 4.519 |
Total | 26.452 | 15.793 | 42.345 |
Les indiens de l'Inde Française sont environ un millier. Ils sont surtout concentrés dans les villes de Cochinchine, et d'abord à Saigon ou ils pratiquent le commerce des étoffes, le change et le prêt d'argent.
D'autres français des colonies viennent de la Réunion et des Antilles (2345 individus).
Ceux qui sont nés en Indochine comprennent les métis (ceux reconnus par leur ascendant), mais aussi les femmes indigènes mariées légalement et qui ont acquis à 21 ans leur naturalisation. De fait, les véritables "européens" sont donc nettement moins nombreux que les 42.345 individus. Ils sont en réalité environ 30.000.
L'origine géographique des français n'est pas précisé, mais on note une prédominance des départements méridionaux, et entre tous, la Corse. Les bretons sont aussi relativement nombreux. Ces origines ne sont pas indifférentes à l'histoire : elle contribue à expliquer certains traits des mœurs politiques et de l'activité économique.
La proportion des femmes a peu à peu augmenté, grâce aux progrès de l'hygiène et du confort, au développement des stations d'altitude, à la facilité des voyages maritimes et aussi au lent effritement des préventions métropolitaines contre la vie métropolitaine. L'Indochine tente même quelques femmes célibataires ayant un métier : on en trouve plusieurs dans l'enseignement. Cependant, les femmes restent bien inférieures en nombre aux hommes, surtout pour les "blanches à 100%".
La pyramide des ages montrent un net creux entre 10 et 20 ans : bien que sans cesse perfectionné, l'organisation scolaire de l'Indochine ne permet pas de retenir tous les jeunes. Les parents préférent encore entretenir leurs enfants en métropole, où l'ambiance reste "malgrè tout plus favorable à leur développement physique, à leur formation intellectuelle et morale".
La mortalité :
En 1885, sur un bataillon de 12.000 débarqués au Tonkin, 1/3 de l'effectif succomba à la fièvre ou du être rapatrié au bout du 4eme ou du 5eme mois de séjour....
Depuis, les vaccins et les sérums ont multiplié les immunisations.
Le taux de morbidité, qui pouvait être de 500 pour mille vers 1885, est passée à 200 pour mille en 1904. Il oscille encore entre 180 et 250 pour mille de 1905 à 1930, ce qui reste considérable. Les travaux d'assainissement exécutés sous la direction de l'Institut Pasteur ont beaucoup amélioré la situation de centres urbains naguère très malsaines.
L'activité professionnelle :
Domaine d'activité | Nombres | % |
Forêts et agriculture | 705 | 3.4% |
Mines et Industries | 1.172 | 5.7% |
Transports | 419 | 2% |
Commerce | 1.517 | 7.4% |
Banques et assurances | 249 | 1.2% |
Professions libérales | 1.795 | 8.8% |
Armées et Marine | 10.779 | 52.6% |
Fonctionnaires | 3.873 | 18.9% |
Total des individus ayant une profession | 20.509 | 100% |
Sans profession |
21.836 | |
Total général | 42.345 |
70% des "européens et assimilés" ayant déclarés une profession sont fonctionnaires ou militaires, soit presque 15.000 individus ! En général, les militaires restent en poste deux années.
Les fonctionnaires furent plus nombreux en 1914 (4.366) et en 1929 (4.836), avant les mesures d'économies et d'indigénisation des postes après la crise de 29.
Les personnes "sans profession" sont essentiellement les femmes et les enfants.
La catégorie "profession libérale" compte aussi 629 missionnaires (catholiques et protestants).
Reste finalement une poignée de quelques milliers de colons, sans cesse renouvelée par des éléments "frais" venus de la métropole, et qui a joué un rôle décisif dans la transformation de l'Indochine.
Autre population présente en Indochine : les Chinois.
Ils sont nettement plus nombreux que les européens.
Pays | Population totale | Chinois | % Chinois / Pop. Totale |
Cochinchine | 4.616.000 | 171.000 | 3.7% |
Cambodge | 3.046.000 | 106.000 | 3.48% |
Tonkin | 8.700.000 | 35.000 | 0.4% |
Annam | 5.656.000 | 11.000 | 0.19% |
Laos | 1.012.000 | 3.000 | 0.3% |
Total | 23.030.000 | 326.000 | 1.42% |
15 avril 1847 : Démonstration de force des Français à Tourane en réponse aux persécutions de missionnaires. Cinq corvettes cochinchinoises coulées.
1848-1858 : Sanglantes persécutions des missionnaires et des chrétiens sous Tu Duc. La France et l'Espagne s'entendent pour agir militairement. 1856 : Canonnade des forts de Tourane. 1er septembre 1858 : A son retour de Chine, Rigault de Genouilly s'empare de Tourane. 16-17 février 1859 : Prise de Saïgon. 2 février 1860 : Page ouvre le port de Saïgon au commerce international. Mars 1860 : Les troupes françaises évacuent Tourane. Février 1861 : Le corps expéditionnaire de Chine débarque à Saïgon. 25 février 1861 : Prise des lignes annamites de Chi Hoa par les forces franco-espagnoles. 13 avril 1861 : Prise de Mytho. 16 décembre 1861 : Prise de Bien Hoa. 7 janvier 1862 : Prise de l'île de Poulo Condor. 22 mars 1862 : Prise de la citadelle de Vinh Long et du poste fortifié de My Cui. 5 Juin 1862 : Traité avec la cour d'Annam signé à Saïgon. La France et l'Espagne reçoivent ensemble une indemnité de 20 millions de francs; la France annexe les trois provinces de Saïgon, Bien Hoa et Mytho, ainsi que l'île de Poulo Condor; Vinh Long est rétrocédée au gouvernement de Hué. 5 avril 1863 : Ratification du traité de 1862 par la cour d'Annam: il existe officiellement une « Cochinchine française ». 11 août 1863 : Convention plaçant le Cambodge sous le protectorat de la France. Juin 1866-juin 1868 : Mission du Mékong (Doudart de Lagrée, Francis Garnier). Mort de Doudart de Lagrée le 12 mars 1868. 20-24 juin 1867 : La Grandière occupe les trois provinces de Vinh Long, Chaudoc, et Hatien, faisant rentrer la Cochinchine française dans ses frontières naturelles. 28 novembre 1873 : Prise de la citadelle de Hanoi par Francis Garnier. 21 décembre 1873 : Mort de Francis Garnier, au Pont de Papier, tué par les Pavillons Noirs. 2-16 janvier 1874 : Ordre d'évacuation du Tonkin donné par Philastre, la citadelle de Hanoi est remises aux autorités annamites le 16. Expulsion de Jean Dupuis. 15 mars 1874 : Signature d'un traité de paix et d'alliance entre la France et l'Annam. 3 avril 1882 : Arrivée à Hanoi du commandant Rivière, envoyé par Le Myre de Vilers pour renforcer la garnison. 25 avril 1882 : Prise de la citadelle de Hanoi par Rivière. 27 mars 1883 : Prise de Nam Dinh. 19 mai 1883 : Mort du commandant Rivière au Pont de Papier. 17 juillet 1883 : Mort de Tu Duc. 18-21 août 1883 : Opération de Courbet à l'entrée de la rivière de Huê; bombardement et prise des forts de Thuan-An. 25 août 1883 : Signature à Hué par Harmand d'un nouveau traité par lequel l'Annam accepte le protectorat de la France et son installation en Cochinchine.
|
15 août-1er septembre 1883 : Opérations contre les Pavillons Noirs à Son Tay et sur le Day. 14-16 décembre 1883 : Prise de Son Tay par Courbet. 12 mars 1884 : Prise de Bac-Ninh. 16-19 mars 1884 : Prise de Hung-Hoa, par le général de Négrier. 11 mai 1884 : Convention franco-chinoise. La France occupe Lang Son, Caobang, That-Khé et les places adossées à la frontière sino-tonkinoise. 6 juin 1884 : Nouveau traité avec l'Annam, placé avec le Tonkin sous protectorat français. 23 juin 1884 : Guet-apens de Bac-Lê. La colonne Dugenne en route vers Lang Son attaquée par les troupes chinoises. 23-29 août 1884 : En représailles à l'affaire de Bac-Lê, destruction de l'arsenal de Fou-Tchéou et anéantissement de la flotte chinoise, par l'amiral Courbet. Octobre 1884-juin 1885 : Blocus et occupation de Formose, conquête des Pescadores. Février 1885 : Lutte contre l'armée chinoise du Kouang Si. Combats dans la région de Lang Son et occupation de Lang Son par le général de Négrier (13 février). 28 mars 1885 : Evacuation précipitée de Lang Son par le lieutenant-colonel Herbinger, commandant les troupes après une grave blessure du général de Négrier. 1885 : Cambodge, insurrection contre le protectorat français. 30 mars 1885 : Chute du cabinet Ferry. 4 avril 1885 : Convention franco-chinoise mettant fin aux hostilités. La France évacue les Pescadores et Formose. La Chine s'engage à ne plus faire franchir les frontières par ses troupes et à respecter les traités de la France et de l'Annam. Le traité définitif sera signé le 9 juin. 4 juillet 1885 : Guet-apens de Huê, prise de la citadelle par le général de Courcy, fuite du roi Ham-Nghi. Fin 1885-fin 1891 : Au Tonkin, opérations de pacification du delta et d'occupation de la Haute Région. Milieu 1887 : Au Laos, Pavie, consul de France à Luang Prabang, organise la défense de la ville attaquée par Déo Van Tri et sauve le roi Oun-Kham. Novembre 1887 : Création de L'Union Indochinoise sous la suzeraineté de la France. 1887-1888 : Opérations de pacification en Annam. 3 novembre 1888 : Capture du roi Ham-Nghi à Nha Noi. 12 décembre 1888 : Signature au Laos d'une convention par Pavie. Le Siam renonce à toute prétention sur les localités de la rivière Noire et du Song Ma, et à tout contrôle sur Luang Prabang. Mars-avril 1893 : Après le refus des Siamois de se retirer du Haut Cambodge et du Laos, démonstration de la flotte française à Bangkok. 26 juillet 1893 : Blocus du Siam. 30 juillet 1893 : Le Siam s'engage à évacuer la rive gauche du Mékong. Etablissement du protectorat au Laos. 23 mars 1907 : Restitution au Cambodge de Battambang et d'Angkor par le Siam. |
Le 31 août 1858 , des forces franco-espagnoles (14 bâtiments et environ 2000 hommes) arrivent dans la baie de Tourane sous le commandement du vice-amiral Rigault de Genouilly. Après un ultimatum d'une journée, les forts sont bombardés, et enlevés par les compagnies de marins. Alors que les missionnaires prédisaient un soulèvement de la population, les annamites avaient, quant à eux, prévue notre attaque et mis la région en état de défense. Genouilly avait de bien trop faibles effectifs pour se permettre de les perdre en essayant d'atteindre la capitale Hué. D'autant plus que la chaleur et les maladies (choléra ,scorbut...) décimaient suffisamment ces effectifs. L' amiral Genouilly laissa à Tourane juste les effectifs nécessaires et décida d'orienter ces efforts vers un autre point.
A) Etablissement en Cochinchine
B) Mainmise sur le bas Mékong
II- La France au Tonkin
A) Hésitations à Paris, impatience en Saïgon
Le TonkinA) La double guerre avec l'Annam et la ChineUne fois la question du régime réglée après la crise du 16 mai 1877, se met en place en France les idées d'une nouvelle avancée de la colonisation française en Indochine. Il est vrai cependant que de nombreuses voix s'élèvent pour condamner, cette nouvelle expansion, les raisons divergent selon les individus : pour certains cela reviendrai à abandonner l'Alsace et la Lorraine et donc "la Revanche", pour d'autres, c'est la politique continentale de la France qui doit primée. Les républicains vont également se diviser : les radicaux dénoncent comme les socialistes, les risques et les implications de la conquête, d'ailleurs la conquête de l'Indochine se fera la plupart du temps avec des majorités, au Parlement, très courtes. Mais toutes ces oppositions sont surtout motivées par la lutte pour le pouvoir en France métropolitaine, plutôt que par une critique de fond de la colonisation, en fait, et je cite Pierre Brocheux : « l'Indochine est un luxe que l'on accepterait, s'il était gratuit... ». Pour autant Gambetta, Freycinet, Ferry, Eugène Etienne, et d'autres ont permis la conversion des républicains opportunistes à l'entreprise indochinoise. Pour eux, démocratie républicaine, retour à la prospérité, recherche de la puissance et impérialisme vont de pair. Pour autant, il s'agit aussi de ne pas laisser la Grande-Bretagne, seule en Asie du Sud-Est, Gambetta déclarant en 1878 : « Si, à un moment donné, nous ne happons pas notre part de colonies, l'Angleterre, l'Allemagne s'en saisiront ». La campagne de révision du traité franco-vietnamien de 1874, s'accentue à partir de 1878. Dans les années qui suivent, les congrès nationaux de géographie, les chambres de commerce des grandes villes multiplient les résolutions en faveur de l'annexion du Tonkin. Jusqu'au printemps de 1883, les républicains opportunistes hésitent à mettre sur pied une opération d'envergure, c'est dans cette atmosphère d'hésitations que le cabinet Freycinet, envoie, en mars 1882, le commandant Rivière à Hanoi avec 3 compagnies. Sous la pression des commerçants du Tonkin et de Mgr Puginier, le commandant Rivière prend d'assaut la citadelle le 25 avril. La France exploite en fait, d'une part, l'affaiblissement de l'empire vietnamien, et la destabilisation interne du Tonkin, d'autre part. En effet dès 1864, des bandes rebelles du Yunnan, les Ho, ainsi que les restes des Taiping s'installent et vivent sur le pays. Une partie des Taiping, les Pavillons Noirs ou Bannières noires, sont utilisés depuis 1872-73 par la cour de Hué pour combattre leurs rivales. Le Tonkin est en fait en passe d'être incorporé dans la Chine du Sud, des troupes chinoises y sont entrés dès 1869 à la demande des vietnamiens pour combattre les dissidents chinois. Dès le 6 septembre 1882, la cour de Hué se décide pour la résistance militaire, mais à la mort de Tu Duc en juillet 1883, une grave crise dynastique commence, avec un pouvoir impérial quasi absent. Le problème, pour la France, c'est le risque d'un conflit armé avec la Chine, en effet cette dernière a prévenu dès 1880, que l'occupation du Tonkin entraînerait la guerre. En fait quand Rivière tente d'occuper les principales villes du delta, il se heurte aux Pavillons Noirs, ainsi qu'à la résistance des troupes vietnamiennes, encouragées par la présence militaire de la Chine. La confrontation avec la Chine, sera déterminante dans l'issu de la crise tonkinoise. Le projet de traité Bourée de décembre 1882 prévoyait un partage du Tonkin en 2 sphères d'influence, chinoise au nord et française au sud, mais le second ministère Ferry rejette la convention Bourée et opte pour la conquête le 16 mars 1883. La mort de Rivière, le 19 mars au Pont de Papier par les Pavillons Noirs, permet le vote des crédits nécessaires à l'envoi d'une expédition. Cette dernière sera commandé par le général Bouët et l'amiral Courbet, elle devra « organiser le protectorat ». Le 16 août, Jules Harmand, commissaire général civil lance un ultimatum au gouvernement de Hué, en cas de rejet de celui-ci, il menace et je cite : « L'empire d'Annam, sa dynastie, ses princes, sa cour auront prononcé leur condamnation, le nom de Viet Nam, n'existera plus ». Les 18-19-20 août, les forts de la rivière de Hué sont bombardés, dans le même temps, le général Bouët entreprend la conquête du delta du Fleuve Rouge. Le 25 août, les régents doivent signer avec Jules Harmand, un traité de protectorat très dur : l'administration des provinces du Tonkin, Du Thanh Hoa, de Nghê An et du Ha Tinh est placée sous le contrôle des résidents français, le Binh Thouan est cédé à la Cochinchine.
En fait pour Hué, il ne s'agit que de gagner du temps, en effet, la guerre continue au nord où Son Tay, la principale forteresse vietnamienne, résiste. Dans le même temps Ton That Thuyet, un des régents, fait fortifier Hué et construire un puissant camp retranché à Tan So dans la montagne, ainsi qu'une route de montagne vers le haut Tonkin. Dans ce camp, il fait transporter, des vivres, de l'artillerie et un tiers du trésor. Avec la Chine, un conflit semi déclaré s'installe dès l'été 1883, Jules Ferry, qui est convaincu de la faiblesse des troupes chinoises, a exigé le 9 août que l'armée chinoise évacue le Tonkin, il veut placer la Chine devant le fait accompli, c'est pourquoi, il envoi des renforts, cette politique semble réussir, car la chute de Son Tay en décembre 1883, celle de Bac Ninh en mars 1884 amènent Li Hongzhang (principal homme d'Etat chinois) à accepter le 11 mai 1884 (convention Fournier) la reconnaissance des traités franco-vietnamiens, l'évacuation du Tonkin et l'ouverture de la Chine du Sud, au commerce français. Mais le conflit avec la Chine entraîne la non ratification du traité Harmand. |
Le traité de protectorat définitif, le traité Patenôtre, est signé à Hué le 6 juin 1884 : le gouvernement impérial récupère le Binh Thouan et l'administration du Nord Annam, l'administration provinciale du Tonkin est placé sous le contrôle de résidents français, il prévoit aussi la direction de la politique étrangère du Viet Nam par la France, et l'installation d'un résident général à Hué, avec droit d'audience auprès de l'empereur.
Pour le Vietnam, le rapport tributaire avec la Chine n'existe plus : le grand sceau d'investiture accordé à la dynastie Nguyen par les empereurs de Chine est solennellement fondu le 6 juin, à Hué, il est remplacé par un sceau envoyé de France : le protectorat d'Annam-Tonkin est en place. Parallèlement , la France impose au roi Norodom du Cambodge un protectorat plus contraignant, par le traité du 17 juin 1884, le but de la France et surtout celui de Thomson, son gouverneur en Cochinchine, c'est le rattachement du Cambodge à la Cochinchine. Le traité prévoit l'installation de résidents français dans chaque province, pour contrôler les gouverneurs khmers. De plus le résident général prend en charge, l'ordre public, les services économiques, la fiscalité, pouvoirs que n'ont pas les résidents généraux au Vietnam, enfin la propriété privée est instaurée. Norodom aurait déclaré à propos de ce traité : « Votre protection est la crémation de la monarchie ». L'incident de Bac Lê le 22 juin 1884, fait rebondir la guerre avec la Chine, les troupes chinoises ont en effet résisté à l'avancée des troupes françaises, car elles n'ont pas reçu les ordres de repli. Pékin estime que l'évacuation définitive ne doit intervenir que lorsque le conflit sera définitivement réglé. Les succès du printemps font que Paris se montre intransigeant, par un ultimatum, envoyé le 12 juillet, Paris exige de la Chine, l'évacuation immédiate du Tonkin, mais aussi une indemnité de 250 millions de franc, en fait, avec cette indemnité la Chine aurait financé la conquête du Tonkin. Bien sur, la Chine refuse, et Ferry de déclarer le 21 août : « Il faut, porter un coup violent à cette vieille radoteuse (la Chine), prendre un gage, c'est à dire occuper Formose et attendre » : le grand arsenal de Fuzhou est bombardé (23-24 août), Ke Long et Tam Sui, les deux ports à charbon sont occupés en janvier 1885, blocus et embargo de l'île en février 1885, débarquement aux Pescadores en mars. La politique maximaliste de Jules Ferry va échouer, et ce pour trois raisons, d'une part, une violente campagne de protestations est orchestrée par les radicaux et les conservateurs, d'autre part l'Angleterre est très mécontente de cette politique qui gêne une partie de son négoce, (notamment le négoce du riz) et enfin les troupes vietnamiennes et chinoises lancent une contre-offensive sur le delta. Ferry est obligé d'accepté un compromis et d'accepter la médiation britannique. Mais le 28 mars 1885, l'incident de Lang Son, se produit : après avoir pris la ville avec une puissante colonne de huit mille hommes, et poussé au delà de la frontière dans le but de neutraliser l'armée chinoise, le général de Négrier, revenu à Lang Son, est blessé sous les murs de la ville. Le lieutenant colonel Herbinger qui a repris le commandement s'affole, il ordonne une retraite précipitée, détruit ses bagages et abandonne une batterie. A Paris, lorsque le 30 mars, le télégramme angoissé de Brière de l'Isle est connu, c'est l'effervescence, on craint une longue guerre avec la Chine, un enlisement du conflit comme pour le conflit mexicain, on craint surtout, selon Le Temps (journal de l'époque), un « Sedan colonial » . Clemenceau et Delafosse, vont mener l'assaut , à la Chambre, contre Ferry, qui ne peut faire état de la signature (officielle) pour le jour même, par Pékin, d'un accord d'armistice très favorable à la France, de peur de voir cette dernière, je cite « reprendre ses manoeuvres dilatoires ». Ferry est renversé par 306 voix contre 149 et 49 abstentions. La crise tonkinoise assoit définitivement la primauté du Parlement, mais s'achève par un compromis sur l'Indochine, en effet personne ne demande l'évacuation du Tonkin, pas même Clemenceau, bien au contraire, le nouveau cabinet Brisson-Freycinet demande et obtient du Parlement , 200 millions supplémentaire et l'envoi de 8 000 hommes en renfort. Le traité Patenôtre est ratifié le 4 juin 1885. Le 9 juin, le traité franco-chinois est ratifié, traité par lequel la France renonce à toute indemnité et à ses conquêtes insulaires, la Chine reconnaît le protectorat français sur l'Annam-Tonkin, abandonnant ainsi ses devoirs de puissance centrale du système tributaire, elle accepte de plus l'ouverture commerciale et ferroviaire du Yunnan et des deux Guang, dès août 1885, les troupes chinoises et les pavillons noirs de Liu Yong Fu évacuent le Tonkin. Passé la crise de 1885, la majorité du personnel politique se ralliera au fait colonial. Désormais privé d'écho en France, coupé de la Chine, le combat que mène le Vietnam impérial contre la colonisation est perdu d'avance, néanmoins ce combat va se prolonger pendant dix ans, le plus dur pour les troupes françaises reste encore à faire. III- La fin des conquêtesA) Les résistances à la colonisation
b) L'insurrection au Cambodge
B) L'occupation du Laos |
Alexandre de Rhodes, prêtre et missionnaire jésuite né à Avignon le 15 mars 1591 et mort à Ispahan le 5 novembre 1660, fut un des premiers Français à parcourir la Cochinchine et le Tonkin. Il se distingua par ses qualités de polyglotte et est surtout connu pour avoir mis au point la première transcription phonétique et romanisée de la langue vietnamienne: le quôc-ngu (écriture nationale).
Il est l'auteur du Dictionarium Annamiticum Lusitanum et Latinum, dictionnaire trilingue vietnamien-portugais-latin édité à Rome en 1651 par la Congrégation pour l'évangélisation des peuples.
Le navire passe le Cap de Bonne-Espérance le 20 juillet 1619, manque de s'échouer sur les hauts fonds sablonneux du Canal du Mozambique et atteint l’île de Goa le 9 octobre de la même année.
Il est accueilli par les jésuites installés à Goa depuis l'arrivée de François Xavier en 1542. Les nouvelles du Japon ne sont pas bonnes. L'édit Tokugawa de janvier 1614 ordonne l'expulsion des missionnaires du Japon. Alexandre va séjourner deux ans et demi à Goa et à Salsette lorsqu'il tombera gravement malade. Il y rencontre un jésuite français Étienne de la Croix avec lequel il perfectionne sa connaissance la langue locale : le canarin.
Le 12 avril 1622, il reprend le cours de son périple vers le Japon. Il s'embarque alors pour Malacca sur un navire portugais en compagnie du futur commandant de la citadelle. Le voyage est long : Cochin, Tuticorin (Thoothukudi), Ceylan, Negapatan puis Malacca le 28 juillet 1622 où il doit patienter près de neuf mois avant de pouvoir reprendre la mer.
Citadelle de Malacca au début du XVIIe siècle À peine arrivé à Macao, le 29 mai 1623, il se met à l'étude du japonais. Mais, en raison de l'intensification de la persécution des chrétiens au Japon et de la fermeture progressive du pays entamée dès 16129, ses supérieurs décident de l'orienter vers une autre destination : le Ð?i Vi?t où les pères Francesco Buzomi (1576-1639) et Diego Carvalho avaient établi une mission depuis 1615 à Tourane (aujourd'hui Ðà N?ng).
Dès 1535, des missionnaires franciscains et dominicains, espagnols et portugais, avaient posé le pied à Faifo (aujourd'hui H?i An), sans toutefois s'implanter durablement.
Restaurée après la défaite des Mac, la dynastie Lê installée à Thang Long (aujourd'hui Hà N?i) règne de façon emblématique sur le Ð?i Vi?t. Un conflit entre 2 familles de seigneurs (appelés chua) avait, dans les faits, coupé le pays en deux. Au nord, au Tonkin, les Trinh avaient pris le pouvoir et au sud, en Cochinchine, avec Ke-Hu? (aujourd'hui Hué) comme capitale, la dynastie Nguy?n dominait.
En décembre 1624, après dix-huit mois passés entre Macao et Canton, de Rhodes s'embarque avec cinq autres jésuites, dont Gabriel de Matos (1572-1633) à destination de Faifo (aujourd'hui H?i An), un des principaux ports et centre économique de la Cochinchine, au sud de Tourane (aujourd'hui Ðà N?ng). Le napolitain Buzomi et le portugais Carvalho avaient noué de bons contacts avec le gouverneur de la Province. Le roi, Sai Vuong (ou Nguy?n Phúc Nguyên) (1563-1635), préoccupé de la prospérité de son pays alors en guerre avec ses voisins du nord, voyait d'un bon œil les apports du commerce avec les Portugais.
En quelques mois, Alexandre de Rhodes maîtrise suffisamment le l'annamite pour prêcher dans cette langue. Il est tout de suite frappé par les intonations complexes de cette langue semblable, selon son expression, au « gazouillement des oiseaux ».
Dictionnaire vietnamien, portugais et latin publié en 1651 Il reprend les travaux de Francesco de Pina (1585-1625) sur place depuis 1617 et premier européen à maîtriser la langue vietnamienne, de Christoforo Borri (1583-1632) et du luso-japonais Pedro Marquez (1613-1670) arrivés en 161913, et travaille à la mise au point d'une transcription romanisée et phonétique du vietnamien, le Quoc Ngu, qui sera utilisée dans tout le pays. Il publiera en 1651 un dictionnaire annamite-latin-portugais accompagné d'une grammaire. Il est fort probable qu'il se soit également servi des premiers travaux de romanisation de la langue japonaise (romaji) de Yajiro (en), un japonais converti du milieu du XVIe siècle. Ce remarquable outil permit, non seulement une diffusion rapide de la religion, mais également une démocratisation de la connaissance dans tout le pays. Le quoc ngu est adopté depuis près d'un siècle comme le système d'écriture national du Vietnam et de façon officielle depuis 1954.
Le roi de Cochinchine, relativement indifférent aux choses religieuses, était surtout attentif au maintien des échanges commerciaux. Aussi, dès lors que le commerce avec les Portugais ralentit en 1625, la tolérance royale à l'égard des missionnaires s'émousse. Arrivé au Tonkin en mars 1626, le jésuite italien Giuliano Baldinotti (1591-1631)18 informe ses supérieurs du Collège Saint-Paul de Macao des grandes difficultés qu'il éprouve avec la langue annamite. Ainsi la décision est prise de convoquer le P. de Rhodes en juillet 1626 pour l'y transférer.
Le 12 mars 1627, accompagné par son confrère Pedro Marques, le P. de Rhodes embarque pour le Tonkin, d'où Baldinotti avait été entretemps chassé du fait de son opposition trop marquée au culte des ancêtres. Cette région est alors gouvernée par le chua et maire du Palais, Tr?nh Tráng (en) (1623-1657) alors en guerre (en) avec le roi de Cochinchine. Les cadeaux que de Rhodes apporte (une horloge à sablier et un livre d'Euclide sur la sphère) sont appréciés. Il baptise même une partie de la famille du chua dont sa propre sœur, sous le nom de Catherine. La première église du Tonkin est érigée non loin de Thanh Hoa. Néanmoins, la prédication se trouve vite compromise par le conflit qui éclate au sujet de la polygamie et ainsi qu'à des rumeurs d'espionnage propagées par les mandarins au service du roi. Placé en résidence surveillée à Hanoï depuis janvier 1630, il est banni en mai par Tr?nh Tráng, sous la pression de ses concubines. Entre 1627 et 1630, le nombre de baptisés au Tonkin est estimé à sept mille. Sur le chemin du retour, il parvient à convertir le capitaine et les deux tiers de la soldatesque tonkinoise chargée l'escorter.
Ne pouvant rentrer en Cochinchine, d'autant plus défavorable aux religieux chrétiens qu'elle les imagine devenus des espions du Tonkin, les deux compagnons retournent à Macao, où Alexandre de Rhodes va enseigner la théologie morale près de dix années.
Entre 1640 et 1645, le P. de Rhodes entreprendra quatre voyages vers la Cochinchine comme supérieur des missions (janvier - septembre 1640, décembre 1640 - juillet 1641, janvier 1642 - septembre 1643, janvier 1644 - juillet 1645). La plupart du temps, il devra œuvrer dans la clandestinité et se réfugier chez des chrétiens locaux.
Son premier retour, en janvier 1640, est motivé par l'édit royal de bannissement des missionnaires et la mort de Buzomi (1639). Il débarque dans la province de Qu?ng Nam et s'installe dans le quartier japonais de Faifo, "h?i-ph?" (??) la "ville au bord de la mer", sa capitale. Il entreprend des démarches, via le gouverneur japonais et la "tante" du roi, la princesse Minh Duc, baptisée sous le nom de Marie, qui s'avèreront infructueuses auprès de la cour de Cong Thuong Vuong (Nguy?n Phúc Lan), roi depuis la mort de son père Sai Vuong, en 163523.
Chassé en septembre par le gouverneur de la province du Cham, Ong Nghe Bo, il revient quatre mois plus tard avec Bento de Matos (1600-1652) pour évangéliser le sud du pays. De nouveau poursuivi par ce même gouverneur, il est contraint de fuir le 2 juillet 1641 pour les Philippines (à Bolinao puis Manille) où il passe l'été avant de rejoindre Macao le 21 septembre.
Macao: Église Saint-Paul de Macao (façade) datant de 1602, la plus importante église d'Asie à l'époque Après quelques mois, il retourne en Cochinchine avec une cargaison de cadeaux destinés à mettre le gouverneur du Cham dans de meilleures dispositions. Entre janvier 1642 et septembre 1643, il peut ainsi quadriller le territoire, baptiser et recruter de nouveaux adjoints. Mais il doit une fois de plus marquer une pause dans son évangélisation pour éviter d'agacer les autorités locales.
Lors de son dernier séjour entamé en janvier 1644, il est arrêté à la frontière du Tonkin, condamné à mort, peine transformée en bannissement à vie grâce à l'intervention de Marie. Durant cette période de persécution intense, Alexandre de Rhodes est le témoin du premier martyr de Cochinchine, celui du jeune catéchiste André, dix-neuf ans, décapité devant ses yeux24, et dont il ramènera la tête à Rome.
Expulsé de Cochinchine le 3 juillet 1645, il débarque à Macao vingt jours plus tard. En vue d'obtenir davantage de soutien de la part du Saint-Siège, il est décidé que le P. de Rhodes s'en retourne à Rome plaider la cause des missions d'Asie. Avant son départ, il forme ses successeurs, Carlo della Roca et Metello Sacano (1612-62), à la langue annamite.
Pierre, Paul, Marie de La Grandière est un amiral français né le 28 juin 1807 à Redon (Ille-et-Vilaine) et mort à Quimper en 1876.
Né au sein d'une vieille famille de marins, il entre au collège de la Marine à Angoulême en 1820 et est enseigne à la bataille de Navarin en 1827.
Officier de Marine, il se distingue en Amérique du Sud où il explore le Parana et l'Uruguay (station du Brésil et de La Plata), et se fit remarquer à l'attaque de l'île Martin Garcia et au blocus de Buenos-Aires. Il est promu capitaine de frégate en 1840, puis capitaine de vaisseau en 1849.
Après un passage à l'arsenal d'Indret en 1844, il devient aide de camp du préfet maritime de Brest en 1846.
Il commande le Méléagre à Terre-Neuve en 1849 comme capitaine de vaisseau.
Pendant la guerre de Crimée, il reçoit le commandement provisoire d'une division navale 1854 et prend une part active dans les expéditions contre le Kamtchatka, Sitka et dans les mers d'Okhotsk, opérations contre les Russes.
Rentré en France en 1856, il passe au Dépôt des Cartes et Plans puis prend le commandement du vaisseau Breslaw en 1859 en mer Adriatique pendant la campagne d'Italie.
Après avoir reçu en 1860 le commandement en chef de la division navale des côtes de Syrie, il passe contre-amiral le 24 décembre 1861, major général à Cherbourg, puis à Brest en 1862.
Le 1er mai 1863, il succède à l'amiral Louis Adolphe Bonard comme gouverneur de la Cochinchine, en poste à Saïgon, et commandant en chef des forces navales françaises d'Extrême Orient. À ce titre, il supervise l'Expédition en Corée du contre-amiral Roze en 1866.
Vice-amiral en 1865, il s'empare, en juin 1867 des trois provinces vietnamiennes de Vinh Long, Châu Dôc et Hà-tiên, devenant ainsi le véritable fondateur de la Cochinchine1.
Il rentre en France en 1868 et devient préfet maritime à Toulon en 1870.
L’expédition en Corée du contre-amiral Roze est une expédition militaire française dirigée en 1866 contre le royaume coréen.
La Corée, placée sous la suzeraineté chinoise dès l'époque des Hans (fin du IIe siècle av. J.-C.) mais également conquise par les Mongols avant d'avoir la plus longue dynastie du monde, celle des Choson (1392-1910), doit faire face, au XIXe siècle, aux entreprises européennes en Extrême-Orient qui se surimposent aux visées coloniales du Japon. L’expédition du contre-amiral Pierre-Gustave Roze, en 1866, est la première action militaire d'une nation occidentale – en l'occurrence la France – contre la Corée alors surnommée le « royaume ermite » du fait de son isolationnisme farouche.
Les origines de cette attaque (il est difficile de parler de guerre ici, mais plutôt de coup de main à caractère punitif) sont religieuses.
La France pénètre en Corée par l'intermédiaire de la Société des Missions étrangères de Paris, présente en Asie depuis le XVIIe siècle et permit largement des conversions à la religion catholique.
En septembre 1831 fut créé le vicariat apostolique de Corée occupé en janvier 1836 par le père Pierre Maubant, rejoint par le père Jacques Chastan et plus tard par Mgr Laurent Imbert, nouveau vicaire apostolique. La tâche de ces missionnaires s'avéra difficile car ils devaient vivre dans une semi-clandestinité.
En mars 1839, le ministre de droit Yi Chi-Yon conseille d'éliminer les catholiques et publia un édit visant à mettre fin à cette « doctrine perverse ». Les trois prélats furent arrêtés en août, torturés, condamnés à mort et décapités le 2 septembre. Ces exécutions et les arrestations de croyants ne suffirent pas à arrêter les progrès du catholicisme. En 1845, Mgr Ferréol, nouveau nonce apostolique, accompagné du père Antoine Daveluy, débarquent en Corée, conduits, depuis Shanghai, par le père André Kim Taegon.
Après que la France eut mis fin à la guerre de l'opium avec la Chine par le traité de Nankin (1842), elle conclut ensuite le traité de Whampoa (octobre 1844), lui-même suivi d'un édit de tolérance pour la religion catholique dit de Tao-Kouang, il fut décidé de demander à la Corée vassale des explications sur le meurtre des trois missionnaires. Le vice-amiral Jean-Baptiste Cécille, à bord de la frégate La Cléopâtre, accompagnée de deux autres navires La Victorieuse et La Sabine, s'en alla remettre aux autorités coréennes (3/10 août 1846) une lettre en ce sens, précisant qu'on viendrait chercher la réponse l'année suivante. Ce fut le capitaine de vaisseau Lapierre qui fut chargé de cette mission qui s'acheva assez piteusement le 10 août 1847 par l'échouage sur des hauts fonds, mal signalés sur les cartes d'origine anglaises, de l'île de Singsang (province du Cholla) de ses deux frégates La Gloire et La Victorieuse. Le gouvernement coréen fit savoir que les missionnaires avaient été condamnés selon les lois coréennes car « leurs actions étaient plus criminelles que celles des homicides et des incendiaires ». Le commandant Lapierre réfuta ces arguments et fit savoir que « Si, à l'avenir, un Français est arrêté en Corée, on devra le renvoyer à Peiking ; en agissant autrement on s'exposerait aux plus grands malheurs. »
On en resta là pendant plusieurs années malgré les demandes réitérées des diplomates français en poste en Chine au gouvernement impérial de Napoléon III pour d'autres expéditions, lequel ne prêta pas plus d'attention aux appels des missionnaires.
En 1850, un nouveau roi, Cheoljong, monte sur le trône de Corée qui manifeste plus de tolérance que son prédécesseur envers les catholiques. En 1856 Mgr Siméon-François Berneux remplace Mgr Ferréol (mort en 1853) aux fonctions de vicaire apostolique. En 1859, Mgr Berneux estimait que le nombre de Coréens croyants atteignait presque 17 000. En 1866, on compte 23 000 fidèles, deux évêques et dix missionnaires.
En 1864 est intronisé le roi Kojong âgé de 14 ans. Le régent de droit est alors Taewon'gun (ou Heungseon Daewongun, père du roi, littéralement : prince de la grande cour, titre traditionnel). Cette année-là, la Russie impériale qui, depuis des années, ne cachait pas ses ambitions sur la Corée envoya des émissaires à Kyonghung pour demander l'ouverture de relations commerciales ; ils furent éconduits. Les Russes continuèrent avec insistance de chercher à entrer en contact avec les autorités provinciales qui s'en inquiétèrent. En janvier 1866, un navire russe se présenta dans le port de Wonsan pour demander une fois de plus l'ouverture de négociations. Les catholiques de Corée, et leurs contacts à la cour, y virent un moyen de faire avancer leur cause en suggérant une alliance entre la France et la Corée pour repousser les Russes.
Le régent Taewon'gun parut d'abord ouvert à cette idée et accepta de rencontrer des missionnaires, qui, disait-on, devaient proposer un plan. On ne sait pas exactement les causes d'un subit revirement du régent qui aurait pu s'estimer l'objet d'une impolitesse de la part des missionnaires, ce qu'il reprocha vivement au secrétaire Nam Chong-sam (il était catholique) et refusa de recevoir Mgr Berneux et le père Daveluy.
Plusieurs autres facteurs ont peut-être amené Taewon'gun à prendre finalement la décision de réprimer les catholiques : le fait qu'à l'intérieur de la Chine, ouverte aux occidentaux après la deuxième guerre de l'opium commencée en 1860, les persécutions contre les chrétiens allaient en s'amplifiant, et, surtout, que la révolte des Taiping de 1865 en Chine, qui avait été inspirée par les doctrines chrétiennes, puisse survenir aussi en Corée.
L'éradication du catholicisme en Corée a donc pu paraître au régent comme une mesure propre à renforcer la sécurité de la Corée. Dans le même temps, cela lui donnait l'occasion de se débarrasser définitivement d'une faction puissante à la cour, quoique mineure, qui y pratiquait et y promouvait le catholicisme.
L'évêque Berneux fut arrêté à Séoul en février 1866, torturé puis décapité le 7 mars ; les arrestations et le massacre de huit autres prêtres français ainsi que de nombreux fidèles coréens et de leurs sympathisants suivirent. « On estime à 10 000 (nombre signifiant « une infinité » en Asie) le nombre de tués en quelques mois [4] », la plupart ayant été exécutés à un endroit appelé Jeoldu-san à Séoul sur les rives du Han.
Vers le début du mois de juillet, l'un des trois missionnaires qui avaient réussi à échapper aux recherches, le père Félix-Claire Ridel, accompagné de quelques catholiques coréens, réussit à gagner Tchefou dans la province du Chantong, en Chine, à bord d'une jonque. Il y rencontra le contre-amiral Pierre-Gustave Roze, commandant la division navale des mers de Chine. Indigné, et se remémorant les précédents massacres de 1839 restés impunis (vide supra), celui-ci écrivit le 10 juillet : « Dans cette conjoncture, il me semble de toute nécessité de ne pas laisser sans une réparation éclatante un attentat barbare dont nos compatriotes ont été les victimes et dont la perpétration émane de la volonté royale… » Roze, en bon marin, mettait d'abord en avant la nécessité de reconnaître, préalablement à toute action, des côtes si mal connues et si peu fréquentées. Il concluait : « Dans tous les cas, je n'entreprendrai rien qui puisse compromettre la sécurité de nos bâtiments et le gouvernement de l'Empereur ». Il fut convoqué à Saïgon par son supérieur le gouverneur de Cochinchine, commandant en chef des forces navales françaises en Extrême-Orient, l'amiral Pierre-Paul de La Grandière, qui compta par sa compétence parmi tous les amiraux-gouverneurs qui se succédèrent à Saïgon, pour conférer sur ce qu'il convenait de faire, notamment en fonction des moyens navals disponibles.
En son absence, Henri de Bellonet, ministre français en poste à Pékin, crut bon de prendre l'affaire en main. Il exigeait qu'une réponse énergique soit donnée aux actes de violence coréens afin que la sécurité des ressortissants français soit enfin assurée. Menant une intense activité diplomatique auprès des autorités chinoises, de Bellonet alla jusqu'à tenter de faire intervenir le prince Kong, frère de l'empereur de Chine, en tant que suzerain. Mais les Chinois ne tenaient pas à s'embarrasser de problèmes supplémentaires et éludèrent la question. De sa propre autorité, de Bellonet déclara alors le roi de Corée déchu et que rien ne s'opposait plus à la conquête de ce pays : ordre fut donné au commandant du Primauguet, stationné à Shanghai, d'envoyer des canonnières reconnaître les côtes de la Corée.
À son retour dans les eaux chinoises au début du mois de septembre, le contre-amiral Roze n'admit pas que M. de Bellonet se substituât à lui et lui fit savoir sa totale désapprobation. D'ailleurs les actions de Bellonet ne reçurent en aucun cas l'aval du gouvernement de Napoléon III et firent l'objet d'un blâme officiel.
En accord avec ses supérieurs et investi des plus larges pouvoirs d'appréciation, Roze embarqua sur le Primauguet accompagné du père Ridel et des marins coréens qui avaient conduit ce dernier en Chine, et, avec l'aviso Déroulède et la canonnière Le Tardif appareilla pour la Corée pour une mission de reconnaissance et de relevés hydrographiques. Dans un premier temps, il investit l'île de Kanghwa assurant ainsi le blocus de la voie fluviale conduisant à Séoul. Puis il remonta prudemment le fleuve Han, cours d'eau aux forts courants et sujet à l'influence des fortes marées de cette région côtière, dangereux pour la navigation de navires quelque peu importants et à fort tirant d'eau, canonnant au passage les obstacles mis sur sa route par les Coréens. Au mouillage de Séoul il fit un relevé des défenses de la ville. Et s'en retourna...
L'amiral Roze repartit de Tchefou le 11 octobre avec sept bâtiments : la frégate La Guerrière, les corvettes Le Primauguet et Le Laplace, les avisos Le Déroulède et Le kian Chan, les canonnières Le Tardif et Le Breton, qui, deux jours plus tard, mouillèrent près de l'île Boisée, à quelques milles de l'île de Kanghwa.
Les fusiliers marins y débarquèrent et enlevèrent prestement la forteresse qui contrôlait le fleuve Han. La ville fut occupée et on retira de la place et des bâtiments officiels tout ce qui paraissait avoir de la valeur : ainsi tombèrent aux mains des Français des drapeaux, des canons, huit mille fusils, une vingtaine de caisses de lingots d'argent, de l'or, des laques, des jades, de précieux ouvrages, des archives, des rouleaux de peintures...
L'amiral Roze adressa au général coréen Yi Yong-hui, qui avait massé ses troupes sur la rive droite de la Rivière Salée, une lettre exigeant réparations pour le meurtre des ressortissants français et sommant le gouvernement coréen d'avoir à lui remettre les trois ministres qui s'étaient montrés les plus actifs dans les persécutions. Les Coréens répondirent, comme en 1839, que les missionnaires avaient été jugés selon la loi du pays. Les pourparlers n'allèrent pas plus loin.
Poursuivant leur action, les troupes françaises se livrèrent à des missions de reconnaissance tant sur les îles environnantes que sur le continent. Vers la fin octobre, une de ces missions d'environ 120 hommes qui avait franchi la Rivière Salée et qui progressait en direction de Hanyang (Séoul) fut prise dans une embuscade près de la forteresse de Munsusansong et y perdit trois hommes.
Un grand nombre de soldats coréens, dont d'importants contingents d'une élite appelée « Chasseurs de tigres », avaient franchi le détroit, et s'étaient regroupés dans un monastère fortifié difficilement attaquable sur le mont Chongjok au sud de l'île de Kanghwa, ce qui constituait une menace très sérieuse pour les Français. Un détachement de 170 fusiliers marins fut envoyé pour tenter de les déloger mais fut accueilli par un feu nourri et contraint à la défensive. Sans artillerie et face à un ennemi très supérieur en nombre, les fusiliers marins s'accrochèrent, utilisant à leur profit les nombreux accidents de terrain, bloquant la contre-offensive des Coréens qui ne purent jamais reconquérir ni la ville, ni la forteresse de Kanghwa. Les Français ne tardèrent pas à se replier en emportant une trentaine de blessés qui furent mis à l'abri au camp de base.
Début novembre la flotte, parvenue, devant Séoul, se livra à un bombardement méthodique des bâtiments officiels et des faubourgs de la capitale, causant d'importants dégâts et détruisant des quantités considérables d'armes et de munitions…
L'amiral donna l'ordre de détruire tous ce qui ne pouvait être emporté et de raser tout ce qui appartenait à l'État coréen se trouvant à portée et, le 11 novembre, décida de ne pas poursuivre une attaque, laquelle, compte tenu de ses moyens réduits, n'avait que peu de chance de succès. En outre, la saison avançait et la flotte n'était pas équipée pour affronter le rigoureux hiver coréen qui se préparait. Le 12, ordre fut donné d'évacuer et les navires regagnèrent leur base en Chine à la station de Ning-po.
Les historiens coréens expliquèrent ce départ en disant que l'amiral Roze constatant que les forces coréennes étaient loin d'être négligeables et que les remparts de Mokmyok-san « observés à la longue vue » apparaissaient comme imprenables, préféra renoncer. Ce qui n'était pas complètement dénué de fondement…
L'an 1866 se disait Byeong-in dans le calendrier coréen. D'autre part, le « dérangement », (l'agitation créée par les étrangers) se dit yangyo ; les historiens coréens appelèrent donc cet événement-là Byeong-in yangyo…
Dans un rapport au consul de Shangaï daté du 15 novembre, Roze exposa qu'il avait rempli ses objectifs :
« L'expédition que je viens de faire, si modeste qu'elle soit, en aura préparé une plus sérieuse si elle est jugée nécessaire… Elle aura d'ailleurs profondément frappé l'esprit de la nation coréenne en lui prouvant que sa prétendue invulnérabilité n'était que chimérique. Enfin la destruction d'un des boulevards de Séoul et la perte considérable que nous avons fait éprouver au gouvernement coréen ne peuvent manquer de le rendre plus circonspect. Le but que je m'étais fixé est donc complètement rempli et le meurtre de nos missionnaires a été vengé. »
Cependant, les Européens résidant en Chine considérèrent que les résultats acquis étaient peu importants, sinon nuls, et souhaitèrent une expédition importante pour le printemps suivant. Celle-ci n'aura jamais lieu.
Quant aux Coréens, ce repli inespéré fut rapidement transformé par eux en triomphe : une petite nation vassale était apparemment arrivée à repousser l'attaque d'une puissance occidentale, ce que la Chine suzeraine n'avait pas su faire. Ce qui ne fit que renforcer leur détermination à refuser tout contact avec l'étranger et leur xénophobie, qui eut encore l'occasion de se manifester, n'en fut que davantage confortée.
Peu auparavant, en août 1866, un navire de commerce armé battant pavillon américain le SS General Sherman (ex USS Princess Royal) s'était échoué en tentant de remonter le fleuve Taedong qui mène à Pyongyang. Après une courte bataille le bâtiment fut incendié à l'aide de brûlots et l'équipage massacré par les troupes du régent Taewon'gun. Les États-Unis tentèrent d'obtenir réparation en faisant intervenir la Chine. Sans résultat. En 1867, ils adressèrent une demande à la légation française afin de se joindre à une éventuelle expédition punitive que, ne désarmant pas du langage comminatoire, continuait de réclamer Henri de Bellonet malgré les rappels à l'ordre. Mais la Corée allait devenir une préoccupation mineure de la politique étrangère française pour une vingtaine d'année et la demande américaine resta sans effet.
Pierre PIGNEAU est né le 2 novembre 1741 à Origny-en-Thiérache, dans l’Aisne. Il est l’aîné des garçons d’une famille de 15 enfants. Son père est "receveur de la terre" et possédait une tannerie assez profitable.
Il intègre les Missions Étrangères de Paris en 1765 et part pour la Cochinchine le 9 Septembre de la même année, contre l’avis de son père. « Je dois parcourir une partie des pays parcourus par Saint François Xavier » écrit il. Les hasards de l’histoire font qu’il voyage avec Pierre Poivre. Après un voyage qui le fera passer par l’Ile Bourbon (la Réunion), Pondichéry, Malacca et Macao, il s’installe sur l’île de Hon-Dat, à coté de Hatien (1767). Mais il est arrêté le 8 janvier 1768, accusé d’avoir donné l'hospitalité à un prince siamois plus ou moins ennemi de Mac-Thien-Tu, chef de la région de Ha-tien. Il est emprisonné pendant près de deux mois, en 1768. Il doit porter une cangue de 45 kilos et de 1,77 mètre de longueur …. Forcé par la persécution, il s’embarque avec 43 séminaristes pour Malacca puis Pondichéry. Là, il s’installe à Virampatnam pour y construire un séminaire. Il est nommé en 1771 évêque d'Adran, à l’age de 30 ans, puis sacré à Madras le 24 février 1774. Il profite de cette période pour rédiger le dictionnaire "Vocabularium Anamitico Latinum"
Il repart pour la Cochinchine, y débarqua le 12 mars 1775 pour s’installer à nouveau à Ha-tien. La mission compte alors entre 60.000 et 100.000 chrétiens, suivant les estimations. En 1779, on compte 9 prêtres des Missions Étrangères, un prêtre italien, un franciscain de Manille, et des prêtres indigènes.
A ce moment précis, l'Annam était en proie à la guerre civile, déchirée entre les Nguyen en place et les rebelles Tayson (Les « montagnards de l’ouest »). La révolte est dirigée depuis Qui-Nhon, situé au sud de Hué. A la fin de 1775, les Tayson s'emparèrent de toute la famille royale du coté de Long Xuyen, et mirent à mort le souverain et son fils. Seul représentant de la famille des Nguyen, le jeune Nguyen-Anh, le futur empereur Gia-long, âgé alors de seize ans, qui réussit à s’échapper grâce à l’aide de l’évêque. Les chrétiens voient dans cet enfant un nouveau « Moise sauvé des eaux ». Provisoirement, les Tayson, considérant la conquête de la Cochinchine terminée, remontent vers Quin Hon pour préparer l’attaque du Tonkin. Nguyen-Anh rallie alors ses partisans ainsi que des chinois fournis par le gouverneur d’Hatien et tente de reconquérir ses états du delta. Saigon est reprise en 1776. Au nord, la même année, Hanoi tombe aux mains de Tay-son, et toute la région subit une terrible famine.
Au milieu de 1778, des pirates cambodgiens envahirent la chrétienté de Ha-tien, et s’attaquent violemment aux catholiques, occasionnant plusieurs morts parmi les membres de la mission. Pigneau et les membres du séminaire se réfugient à Tan-trieu, prés de Saigon. Nguyen-Anh qui réside à proximité vient fréquemment visiter Pigneau. A dater de ce jour, une solide amitié liera le prince et l'évêque.
La tranquillité dura 3 ans. En 1782, les Tay-son reviennent dans le sud, mettent le siège devant Saigon puis s'en emparent. Plus de 10 000 Chinois de Cholon sont massacrées par les vainqueurs.
Pigneau fut obligé de prendre la fuite avec les séminaristes et quelques chrétiens, d’abord au Cambodge, puis dans les îles du golfe du Siam. Sur l’île de Poulo Vai, l’Evêque rédige un catéchisme en Cochinchinois, en attendant la fin de la mousson. En janvier 1784, il rencontra Nguyen-Anh, fugitif comme lui et réduit à la dernière extrémité. L'évêque partagea avec lui et les soldats affamés ses dernières provisions, et leur sauva ainsi la vie. Ils partent ensemble à Poulo Condore. Les Tay-son traquent aussi l’évêque. Nguyen Anh n’a plus que 1000 hommes avec lui. Nouvelle fuite sur l’île de Phu Quoc.
Comment reprendre le dessus ? Faire appel aux Siamois ? C’était le risque de perdre des provinces. On fait néanmoins appel à eux. S’en suivra une défaite cuisante. Nguyen-Anh est convaincu que compte tenu de la puissance des Tay-sons, aucune nation asiatique n’arrivera à les repousser seuls. Des offres de services furent reçus des Portugais, des Hollandais, et des Anglais.
Ne souhaitant pas l’entrée des protestants avec l’Angleterre ou des calvinistes avec les hollandais, ni voir resurgir les difficultés passées avec les portugais, Pigneau offrit au prince le secours de la France, idée qu’il finit par accepter. L’évêque est mandaté pour aller à Versailles. L’évêque quitte alors l’île de Poulo-Panjang, accompagné du fils de Nguyen Anh, le prince Canh, âgé alors de 5 ans, de son fidèle ami annamite le père Paul Nghi, de 2 mandarins, et d’une escorte de 40 soldats. Ils arrivent à Pondichéry en 1785. Mais là, tandis que les commerçants approuvaient son projet, le gouverneur et le chef de la station navale le considèrent sans intérêt. L’évêque doute du bien fondé de sa démarche et envoi une lettre au MEP pour annoncer son retour en Cochinchine. Les choses s’arrangent finalement et l’embarquement pour la France peut se faire. Arrivée à Lorient le 5 Février 1787.
Sans doute sur recommandation du marquis de Castries, ministre de la Marine, la particule « de Béhaine » s’ajoute à son nom., afin de lui faciliter son introduction à la cour. Toujours est il qu’il obtient audience avec Louis XVI le 6 mai.
Pigneau a préparé un exposé magistral qui reçoit un bon accueil. Il y parle de commerce, de richesses et de l’attrait de Tourane. Il parle également de stratégie militaire, des adversaires et de l’intérêt à contrebalancer la position anglaise en Inde. Il fournit des chiffres très précis sur la tactique à suivre. 1500 hommes suffiraient à prendre Qui-Nhon.
La cour est sensible à la qualité et à la précision de l’exposé. Montmorin et Castries, secrétaires d’État aux Affaires étrangères et à la Marine, sont favorables aux projets de l’Évêque. Une suite favorable est promise à l’Évêque. Dans cette attente, la prestance de l’évêque et l’exotisme du jeune prince seront très appréciés à la cours. Le prince Canh joue avec le fils de Louis XVI.
Une expédition fut décidée. La France s’engage à fournir 4 frégates et 1650 hommes
Un traité d'alliance entre le roi de France et le roi de Cochinchine est rédigé puis signé à Versailles le 28 novembre 1787. Il porte la signature du comte de Montmorin, ministre de Louis XVI, et celle de Pigneau, représentant le Prince Canh.
Par cette convention, la France s'engageait à aider Nguyen-anh à reconquérir son trône, et obtenait, en retour, la propriété absolue du port de Tourane, de l'île de Poulo-Condor, et le privilège exclusif du commerce avec le royaume, ce qui avait été convenu avec Nguyen Anh.
Cependant, 4 jours seulement après la signature du traité, des instructions secrètes sont envoyés à Pondichéry par Montmorin. Ces instructions visent à faire apprécier localement l’application du traité.
Toujours est il que l’évêque repart vers Pondichéry, un mois après la signature du traité avec son royal pupille et huit missionnaires. Tous sont confiants de l’exécution du traité.
A Pondichéry, le comte de Conway, destinataire des instructions secrètes, les met en œuvre en interrogeant longuement Pigneaux sur le bien fondé de l’opération. Les deux protagonistes finissent par échanger leurs arguments par courrier puis décident d’en référer directement à Versailles. Le conseil secret se réunit enfin le 4 octobre 1788 et Louis XVI décide l’arrêt définitif de l’expédition. De plus, décision est prise d’évacuer l’inde.
L'évêque refuse pour autant d’abandonner les engagements fait à Nguyen Anh. Grâces au soutien de sa famille et d’armateurs de l'Ile de France (Maurice), de Bourbon (La Réunion) et de Pondichéry, il achète de nombreux matériel de guerre, des fusils, des canons, des munitions, et plusieurs vaisseaux sont loués, qu'il envoya tout armés à Nguyen-anh. Il compte aussi sur le soutien de douze officiers de la marine française, admirateurs de son œuvre patriotique, qui n’hésitent pas à rompre leurs engagements. 359 matelots se mettent ainsi au service de la Cochinchine.
Le 24 juillet 1789, il débarque dans la baie des Cocotiers (le Cap Saint Jacques), déposé par la frégate « La Méduse » (qui deviendra elle-même célèbre lors de son naufrage au large des côtes de Mauritanie en 1816)
Nguyen Anh est très heureux de la réussite de l’expédition, remercie le roi de France, mais se désole de l’attitude de Conway qu’il juge responsable de l’absence de soutien.
Aussitôt l’évêque et les officiers se mettent au travail. Pigneau veut ménager les populations pour obtenir leurs soutiens, tout en réorganisant la marine et l’armée cochinchinoise. Pour se faire, il veut mettre en place une petite armée efficace, à l’européenne.
Victor OLIVIER de PUYMANEL et Théodore LEBRUN construisent deux citadelles, l’une à Saigon et l’autre à Dien Khanh, situé à proximité de Nha Trang. PUYMANEL crée une école de guerre. Laurent BARISY et Godefroy de FORSANZ sont commandants de frégates et s’occupent de la formation du corps des officiers. DAYOT, ChAIGNEAU et Philippe VANNIER s’occupent de la marine.
Tout le monde ne voit pas d’on œil l’arrivée des « barbares » européens. Confrontés à l'animosité des mandarins, plusieurs dizaines de français, découragés, donnèrent leur démission. Les populations, irritées des corvées imposées pour la construction des fortifications, se révoltèrent ; le roi, trop inexpérimenté et ne sachant pas maîtriser son emportement naturel, mécontentent les uns et les autres. Grâce à Mgr Pigneau, tout rentra promptement dans l'ordre ; les Français qui avaient donné leur démission consentirent à la retirer ; les officiers obtinrent la protection et les honneurs qui leur étaient dus ; le roi s'attacha dès lors à suivre plus attentivement les sages avis de son conseiller.
Il lui donna une garde de 200 hommes, tant pour veiller sur sa personne que pour honorer sa dignité. Il voulut que l'évêque habitât auprès de la résidence royale, et recevait régulièrement sa visite, écoutant volontiers ses avis, acceptant même ses reproches. Pigneau de Béhaine avait obtenu qu'il ne ferait jamais exécuter personne sans l'en avertir ; et si le prélat, après avoir mûrement examiné la cause, demandait la grâce du coupable, elle devait lui être accordée. Le roi fut toujours fidèle à cette promesse. Il évita ainsi bien des fautes auxquelles sa colère l'eût entraîné.
Le rôle politique, si considérable qu'il fût, de Mgr Pigneau, ne lui faisait pas négliger ses devoirs de vicaire apostolique. Il réorganise sa mission, fait revenir de Chantaboun les élèves du séminaire. Il y avait sous sa direction 14 prêtres des M.-E., y compris les huit qu'il avait ramenés avec lui, trois religieux Franciscains, et neuf prêtres indigènes. Il assigna à chacun son champ d'apostolat. Dans un autre ordre d'idées, Pigneau avait également travaillé pour les missionnaires et les chrétiens, en composant un dictionnaire annamite-latin de grande valeur, que publia en 1838 Mgr Taberd, un de ses successeurs. C'est aussi grâce à lui que l'on doit l'introduction du mangoustanier en Cochinchine.
Sur le plan militaire, le roi avait déjà repris ses territoires du sud, avant même le retour de l’évêque. Des 3 frères Tay-sons, il n’en reste plus que 2 qui sont brouillés. L’un meurt en Septembre 1792 puis l’autre un peu plus tard. Fin 1792, la victoire maritime à Qui Nhon produit un immense impact sur les populations. Le roi refuse pourtant de prendre l’initiative au grand désespoir des français qui pensent à nouveaux se retirer.
Cependant, en 1799, le roi se décide à diriger par terre et par mer une double expédition contre Qui-nhon, la principale forteresse des Tay-son, qui bravait toutes les attaques. Le prélat assiste à l’attaque mais contracte une douloureuse maladie (dysenterie amibienne) qui dura deux mois, malgré le soutien du roi et la présence de son meilleur médecin.
Pigneau de Béhaine expira le 9 octobre 1799. Sa mort est maintenue secrète jusqu'à la capitulation de Qui-nhon le 2 novembre. Des funérailles royales sont organisées à Saigon. A 2 heures du matin, une procession s’élance et durera plus de 7 heures. Le cortège compte 12.000 hommes, 120 éléphants et plus de 100 lanternes. 40.000 personnes suivront la procession. Nguyen Anh préside les funérailles et prononce l'éloge du défunt. Il lui fit élever un riche mausolée près duquel il plaça une garde de 50 soldats, en prescrivant qu'elle y demeurât à perpétuité.
L’évêque d’Adran meurt donc 2 ans avant la prise d’Hué (1801) et la soumission du Tonkin en 1802. Les Tay Son sont complètement défaits. Nguyen Anh peut alors se proclamer le 31 mai de la même année empereur. Il prend le nom de Gia Long (« Belle prospérité », qui est aussi la réunion de Gia Dinh – nom de Saigon – et de Thanh Long – ancien nom de Hanoi). Hue devient la nouvelle capitale d’un Vietnam réunifié. Il a non seulement reconquis les territoires de ses ancêtres Nguyen mais il leur a ajouté le Tonkin, réalisant ainsi l’unité du pays depuis le golfe du Tonkin jusqu’au golfe du Siam.
Il meurt en 1820. Minh Mang le remplace. Les officiers français, victime d’ostracisme de la part de Minh Mang, préfèrent se retirer. La persécution des catholiques recommence en 1831.
Les dernières années de la vie de l’évêque furent sous le signe du doute et de la tristesse.
L’évêque voit d’abord nombre de ses proches ou amis mourir, en Indochine par la maladie ou en France du fait de la révolution française. Le comte de Montmorin, signataire du traité, meurt empalé lors des massacres de 1792.
Sa présence auprès du roi le tourmente énormément. Les instructions de la Sacrée Congrégation font défenses aux missionnaires de s’ingérer dans les affaires temporelles des princes. De fait, il est l’objet de nombreuses critiques de missionnaires, y compris dans les rangs des MEP (Mgr Pothier au Se Tchouen par exemple). Les franciscains espagnols de Cantho ne reconnaissent plus son autorité. Il souffre de l’hostilité de la majorité de ses confrères en Extrême Orient. Mais il sait qu’il a le soutien de Rome.
Quant au roi, il est autoritaire, coléreux, susceptible d’humeur changeante, et fait des erreurs. Pigneau est perplexe face à sa lenteur et son irrésolution. En 1792, il est prêt à partir, déçu. Il sait qu’il est un symbole, que sa seule présence suffit à galvaniser les troupes. Lui préfère pourtant rester en retrait.
L’espoir d’une vraie conversion du prince Canh va en s’amenuisant également. L'évêque avait-il fait, comme d'autres grands apôtres, le rêve de le convertir au vrai Dieu, et par lui, tout le royaume annamite ? Ce ne fut qu'un rêve. Il ne sera pas le Constantin de notre Occident. Au contact de l’évêque, le Prince Canh s’imprègne de la morale catholique. A son retour en Cochinchine, il refuse même d’aller saluer l’autel de ses ancêtres, causant un grand émoi dans sa famille. Mais une lutte d’influence agit sur le jeune garçon par les mandarins, et l’espoir d’une conversion va s’évanouir. En 1797, il accepte même 3 concubines ! Malade, il mourra prématurément en 1801 à l’age de 22 ans.
Pigneau souffre aussi de l’attitude des officiers français. Malgré l’ascendant moral de l’évêque, la plupart d’entre d’eux ne rêvent que de fortunes et de gloires. Mal payés, en nature ou en monnaie locale, ils doivent faire du négoce pour vivre. Ils oublient leurs devoirs religieux, à l’exception notable de Chaigneau. Puymanel a une vie « détestable » et vit un temps avec une femme publique.
Le bilan religieux est aussi décevant. Les missions chez les « sauvages » échouent. En 1797, le nombre de chrétiens de la mission a baissé à 25.000. La roi déclare la même année n’avoir que du « mépris et de la haine pour le Christianisme ».
L’évêque demande à Rome une adaptation de certains rites pour mieux propager la foi :
- - la pratique de la liturgie en langue chinoise et non latine,
- - des tenues religieuses différentes, car elles provoquent l’ironie voire le ridicule.
Mais c’est surtout l’interdiction du culte des ancêtres, pratique largement répandue dans tout le pays, que souhaiterait revoir l’évêque. Il propose de l’adapter à la religion catholique en le transformant en « honneur à la mémoire des aïeux ». Malgré une lourde correspondance sur ce sujet, Rome refuse. « Nous raffinons trop…cela finira par la ruine complète de la religion ici » déclare l’évêque. Le culte des ancêtres ne sera finalement accepté par Rome qu’en 1932 et officiellement en 1964.
C’est donc face à toutes ces difficultés que s’éteint l’évêque en 1799, après plus de 29 ans de vicariat apostolique.
Lorsqu'en 1859 la France planta son drapeau en Cochinchine, elle y retrouva le tombeau de l'évêque, qui fut restauré. Le 10 mars 1902, suite à la volonté de Paul Doumer, une statue de l'évêque d'Adran fut inaugurée sur la place de la cathédrale.
La maison natale de l'évêque à Origny-en-Thiérache est transformée en musée le 1er juin 1914. Elle est ouverte lors de la journée des Monuments Historiques.
En 1983, les autorités de la ville d'Ho Chi Minh Ville éprouvent le besoin soudain de vider le cimetière français de la ville et de raser le tombeau de l'Évêque. Malgré d'intenses sollicitations de la part du consul de France, le tombeau du grand père ("Lang Cha Ca") est détruit le 1er mars devant une foule d'opposants difficilement contenue par les forces de l'ordre. Rien ni personne ne pourra s'opposer à la destruction au marteau piqueur de l'épitaphe composée par Gia Long lui même. L'exhumation du cercueil donna néanmoins du fil à retordre aux autorités. Elle dura 2 jours en raison de la solidité de l'ouvrage. A son ouverture, la foule découvrit un magnifique cercueil en bois précieux laqué de rouge et d'or. A l'intérieur, le corps du prélat reposait dans toute sa splendeur. Les restes furent incinérés puis placés dans une urne. Deux jours plus tard, ils prirent la route de la France à bord de la Jeanne d'Arc, en compagnie des restes de Francis Garnier et d'Ernest Doudard de Lagrée.. Une partie de ses cendres repose aux MEP, le reste dans son village natal. Lire le récit complet dans le livre "Les Portes d'Annam" de FX Landrin.
La famille d'Auguste Pavie est originaire de Dordogne. Son arrière grand-père était marchand teinturier. Son grand-père, Pierre, né le 22 décembre 1782 à Brantôme, est soldat de l'Empire. Conscrit aux Chasseurs il fait les campagnes d'Italie en 1806, de Prusse en 1807, d'Allemagne en 1809. Fait prisonnier il rentre en France l'année suivante. Sa destinée professionnelle le conduit en Bretagne puisqu'on le retrouve gendarme à cheval à Plancoët. En 1814 il épouse Marie Céleste Dupoux à Uzel. En 1815, tout l'ouest se soulève contre la mobilisation des gardes nationaux. L'armée chouanne reprend son combat et Dinan est assiégée. Pierre Pavie sauve d'un coup de baïonnette le vicomte Du Breil de Pontbriand qui est à la tête d'une division de volontaires royalistes, en détournant « le coup qu'il reçut lui-même dans l'épaule et traversa son habit ». Son livret mentionne cet acte de bravoure. A sa retraite il devient garde-champêtre. Il s'installe à Dinan vers 1835, dans cette petite ville pittoresque « avec ses maisons avec pignons sur rue, ses magnifques églises, ses vieilles murailles et ses rues étroites et tortueuses. » Il meurt en 1845.
Le père d'Auguste Pavie, Augustin, né en 1820, est ébéniste, puis garde-champêtre. Il épouse en 1846 Adèle Cocard une Dinanaise. Il entre également dans la gendarmerie et est affecté successivement à Loudéac, Jugan, Saint-Quay et Guingamp où il finit sa carrière comme commissaire de police. Auguste voit le jour en 1847, dans une petite maison à pans de bois, comme il y en a tant à Dinan, suivi de son frère Pierre et de sa soeur Adèle. Les enfants Pavie vivent dans ce milieu modeste, où la vie est rythmée par l'école, les fêtes locales, l'arrivée des dernières inventions comme le chemin de fer ou la photographie.
Auguste Jean Marie Pavie est né à Dinan le 31 mai 1847. On ne sait quasiment rien de sa jeunesse et de sa scolarité. Mais on peut imaginer qu'il a été bercé par le souvenir de son grand-père soldat de l'Empire. Son biographe Jean Laurent Gheerbrandt dit que c'est un « enfant très sensible, très doux, bien que sa nervosité le jetât parfois à de terribles colères ; très sage à l'école infantine, il poursuit de bonnes études et, sans négliger le latin, se distingue toujours premier en géographie et en histoire. Il professe un culte juvénile pour le premier Empire. »
Auguste signe son engagement dans l'armée le 31 mai 1864 à Guingamp, où son père avait été nommé commissaire de police. Son livret militaire le décrit ainsi : taille d' 1m62, cheveux châtains clairs, yeux gris, visage ovale. Il espère faire partie de l'expédition du Mexique mais il est rayé des listes, sans doute en raison de sa trop grande jeunesse et de sa frêle apparence. Soldat au 62e régiment il est basé à Brest. Il gravit les échelons : caporal, caporal voltigeur, sergent-fourier, sergent. Mais Pavie s'ennuie et décide de changer de corps. Il passe au 4e régiment d'infanterie de marine le 21 octobre 1867, redevient simple soldat et doit à nouveau gravir les échelons. Il embarque à Toulon le 25 octobre 1868 et arrive à Saïgon le 12 janvier 1869. Mis en congé le 27 octobre 1869, il entre au service télégraphique d'Indochine comme agent auxiliaire stagiaire. Il rencontre alors Raphaël Garcerie qui sera son mentor pendant quelques années.
A l'annonce de la guerre de 1870 il décide de rentrer en métropole, mais ne pouvant quitter sa nouvelle administration il se fait rapatrier sanitaire. Il combat sous les forts de Paris. Libéré du service le 19 juin 1871 il regagne Saigon en 1872. Il restera en Indochine jusqu'en 1895.
Pavie commence sa carrière comme commis des télégraphes, gravit lentement les échelons, quoique toujours très bien noté. Son premier poste au Cambodge lui permet de développer à la fois ses qualités d'explorateur et de montrer son aptitude à s'imprégner de la civilisation locale. Ces qualités le font remarquer. Il apprend le cambodgien, se voit confier de petites missions d'exploration qu'il accomplit à merveille en dressant des itinéraires précis. Son indépendance est toutefois vivement critiquée par son supérieur qui fait de lui « un exemple de la violation des règles de la hiérarchie. » Pendant ces années Pavie se forge une discipline. Il marche –20 à 25 km par jour pour 10 à 12 heures de marche- ne se plaint jamais, évoque rarement la fièvre, frôle parfois la mort. Très tôt il adopte le vaste chapeau de feutre qui l'abrite du soleil et de la pluie, le veston court de toile blanche, le sampot khmer, l'ample culotte qui s'arrête aux genoux et laisse les jambes et les pieds nus, le bâton de voyageur. S'y ajoute plus tard la longue barbe qui lui vaut, ainsi qu'il l'écrit d'être traité de « père », qui rassure et augmente le respect. Nommé vice-consul à Luang Prabang en novembre 1885, Pavie ajoute un vrai talent de diplomate à ses qualités. A partir de 1888, il devient le chef d'une véritable mission à vocation scientifique, géographique et politique. On va parler dès lors de « mission Pavie ». Pavie et ses compagnons vont faire un travail considérable et relever plus de 35 000 km d'itinéraires pour une superficie de 675 000km2. Face aux Siamois, Pavie révèle son sens de la négociation faite de patience et d'obstination. Mais le rêve de Pavie, ce qui sous-tend son action pendant toutes ses années d'explorateur et de diplomate, est de faire du Laos une province de l'Indochine.
En septembre 1895, Pavie rentre en France, en pleine gloire. Il est commandeur de la Légion d'honneur et est nommé ministre plénipotentiaire. Mais ce retour cache aussi un échec, peut-être un désaveu de sa hiérarchie parisienne. Dans les ultimes négociations avec le Siam en juillet 1893, Pavie a dû s'effacer devant son ancien protecteur, Le Myre de Vilers. Ainsi que l'écrit Henri Bryois le 21 septembre 1895 : « L'un annulait l'autre, l'écrasait de son titre, de ses pouvoirs passés, de ses plaques et de ses cordons, de sa qualité de député, surtout de son exubérance vantarde et de ses gesticulations don-quichottesques. M. Pavie rentra dans l'ombre et dévora silencieusement son chagrin. Agent respectueux et soumis, homme de dignité mais ayant foi dans la justice immanente des choses -justice que je crois lente parce que boiteuse- le ministre-résident de France à Bangkok ne trahit nullement son mécontentement par la moindre attitude équivoque de mesquine bouderie, de rancune apparente, de mauvaise volonté visible. »
Pavie épouse le 25 octobre 1897 à Paris Hélène Gicquelais de trente ans sa cadette. « Notre rencontre et notre mariage » écrit Hélène Gicquelais « s'accomplirent dans la meilleure tradition romantique : d'une part l'explorateur auréolé de ses succès lointains, de l'autre la jeune orpheline et le méchant tuteur s'opposant à leur union. Mais il connaissait mal la force de volonté stimulée par l'obstacle du soupirant. » Le mariage est béni par monseigneur Vey, évêque de Bangkok, lui aussi fervent partisan du rattachement du Siam à la France. Un fils, Paul, naît l'année suivante, qui deviendra médecin et sera emporté par la tuberculose en 1940. Pavie se partage entre son hôtel particulier rue Erlanger à Paris, Dinan, sa propriété de la Raimbaudière à Thourie en Ille-et-Vilaine et des activités dans les diverses sociétés dont il est membre comme la Société de géographie, l'Ecole coloniale, la Mission laïque ou encore la Commission pour la sauvegarde et l'éducation des races indigènes. Il refuse de hautes fonctions administratives (légation de Mexico, Pékin, gouvernement général de Madagascar) et se consacre désormais à la publication des travaux de la mission.
En route, Pavie prenait des notes, parfois au crayon, parfois à l'encre, sur des cahiers reliés en grosse toile brune. On y trouvait des annotations sur la faune, sur la flore, le climat, des relevés topographiques, parfois de longues réflexions sur la politique de la France, l'attitude des administrateurs locaux ou des militaires. Mais au fur et à mesure de la rédaction de ses publications, il détruisait ses cahiers. Seuls restent quelques carnets relatifs à la période cambodgienne. Pavie a envoyé néanmoins aux Affaires étrangères un journal de marche mis au propre régulièrement, accompagné de correspondance. Les publications restent dans l'ensemble très fidèles aux journaux, le style étant toutefois plus travaillé (André Masson, un de ses préfaciers, a noté un rythme de cinq pieds) et parfois plus imagé. Il est dommage que les carnets aient été détruits car ils étaient pleins de spontanéité, parfois de colère vis-à-vis de l'administration française. Etonnamment, la période cambodgienne, celle où il s'est construit, celle où il a vu le plus de destructions et de morts, occupe peu de place dans ses publications.
En France, la vie de Pavie est aussi rythmée par les visites d'amis comme Brazza, Monteil, ou Binger, d'anciens protecteurs comme Le Myre de Vilers, d'Estournelles de Constant, Lecomte ou de simples inconnus qui veulent son avis avant de partir en Indochine. Il reçoit également le prince Monivong, fils de Sisowath, sorti de Saint-Cyr, ainsi que les enfants et les neveux de Deo Van Tri, et en 1905 son ancien compagnon de route, le cambodgien Keo. « Pas un jour » écrit Hélène Pavie « sa pensée ne quitta l'Indochine. En France comme à l'étranger il ramenait instinctivement ses impressions à un point de comparaison, le Laos et le Cambodge. »
Pavie meurt le 7 juin 1925 après avoir passé près de vingt ans à écrire le récit de ses explorations. On lui fait des obsèques civiles. Le sous-préfet de Dinan parle d'un homme « au robuste bon sens, à la clairvoyance fine et prudente que laissait deviner un regard tout de franchise et de clarté ». En 1930 on inaugure dans le hall d'entrée de l'Ecole coloniale une statue réalisée par Anne Quinquaud. En 1933 Vientiane accueille une statue de Paul Ducuing. Pavie y est représenté avec son large chapeau, un bâton de bambou à la main, le socle de pierre entouré de deux offrants. Statue qui se trouve aujourd'hui dans le jardin de l'ambassade de France. La même statue érigée à Luang Prabang a été vraisemblablement jetée dans le Mékong en 1975. En 1947, pour le centenaire de sa naissance, une statue est érigée à Dinan devant un parterre de célébrités, dont la princesse héritiere du Laos.
Au plus fort de la mission, une quarantaine de personnes entourent Pavie : des topographes comme Cupet, des scientifiques, des agents politiques comme de Coulgeans et Lefèvre-Pontalis, des militaires comme de Malglaive, Rivière, Friquegnon et Massie, des agents commerciaux comme Vacle. Parmi les scientifiques, citons Counillon, géologue, qui participe à la mission Pavie de 1889 à 1892, opérant des relevés de route et qui finira sa carrière en Indochine, ou Le Dantec, attaché à la mission en 1889-1890, docteur ès sciences naturelles, chargé à son retour en métropole du cours d'embryologie générale à la Sorbonne. Lugan rejoint la mission Pavie en 1889. Commis de résidence il devient gérant du vice-consulat de Luang Prabang à la mort de Massie ; il participe à de nombreuses explorations. Ses journaux du poste de Luang Prabang au plus fort de la crise siamoise montrent l'attachement profond de l'homme au Laos. Il finit sa carrière comme consul à Nan.
Le capitaine Cogniard parcourt en 1890-1891 le sud du Laos en compagnie de Cupet et de Malglaive. Il est ensuite commandant de la région de Laokay. Nicolon attaché à la mission Pavie de 1887 à 1889 avait été désigné avec Cupet pour faire partie de la commission franco-siamoise de délimitation des frontières. Il effectue plusieurs reconnaissances, a en charge le poste de Luang Prabang quand Pavie et Cupet s'absentent. Très affaibli, il quitte l'Indochine en 1889. Avant son départ il écrit à Pavie : « Je dois me retirer si je ne veux pas laisser ici le peu qui me reste, les os et la peau. Repris par les fièvres, je suis, comme le dit M. Massie, au bout de mon rouleau. »Il rejoint le 2e régiment de la légion étrangère en Algérie ; puis à la suite du massacre de la colonne Bonnier à Tombouctou en 1894, il part pour le Soudan et meurt en février 1896, à peine rentré en France.
Tous les compagnons de Pavie ont laissé de nombreux écrits. Pavie les publiera en premier, rendant ainsi hommage au rôle important qu'ils ont joué dans sa mission.
Cupet (Pierre-Paul) (1859-1907)
Cupet a été l'un des plus proches collaborateurs d'Auguste Pavie. Né à Bar-le-Duc en 1859, fils de gendarme, il entre à Saint-Cyr en 1877. Il part en Algérie en 1879 comme sous-lieutenant au 2e zouaves. Il y reste cinq ans. Pavie le décrit ainsi : « Tour à tour soldat, topographe, télégraphiste, puisatier, devenu presque légendaire dans le sud de la province d'Oran dont il escalade toutes les montagnes à la recherche de communications optiques et visite tous les points d'eau pour le choix des étapes. Les Arabes au milieu desquels il passe l'année 1883 et les premiers mois de 1884 et dont il a frappé l'imagination ne le connaissent que sous le pseudonyme suggestif de « Bou el Aroui » (le père du mouflon) tant ils l'ont vu parcourir les montagnes. » En janvier 1885 il s'embarque pour le Tonkin et prend part aux dernières opérations suivant la bataille de Langson. Puis il fait partie des troupes du lieutenant-colonel Klipfel engagées contre les insurgés du Cambodge. En 1886 il commande le poste de Mytho en Annam. Le commandant en chef des troupes au Tonkin Munier le désigne pour faire partie de la mission franco-siamoise qui sous la présidence de Pavie doit fixer la frontière au Laos. Sous l'impulsion de ce dernier, il explore la région frontière entre le Tonkin et le Laos, le Kammon, et le Tran-Ninh. Il parcourt également le pays des Sedang, des Peunong et des Radès sur le plateau qui sépare le Mékong de la mer. En 1893 il travaille à une nouvelle carte de l'Indochine publiée en 1902 avec les capitaines Friquegnon et de Malglaive. Il a relevé pour sa part 9000 kilomètres d'itinéraires.
Cupet est promu lieutenant-colonel en 1903 et officier de la Légion d'honneur en 1905. Infatigable marcheur, Cupet sait dépeindre les populations qu'il rencontre. Il meurt au cours de manœuvres dans la Drôme à la veille d'être nommé colonel en 1907. Lors de ses obsèques le général Gallieni dira qu'il a toujours été pour Pavie « un collaborateur des plus précieux et déploya dans les circonstances les plus difficiles des qualités d'initiative, d'habileté, de bravoure, d'endurance à la fatigue et au climat qui mirent bientôt ses services hors pair [...] Ajoutez à ces qualités un esprit très cultivé, une grande modestie, une bienveillance et une affabilité qui s'étendaient à tous. »
Lefèvre-Pontalis (Pierre-Antonin) (1864-1938)
En 1885 Pavie se trouve à Paris. C'est à son hôtel de la rue Jacob, qu'il rencontre Lefèvre-Pontalis, un étudiant de vingt ans, venu assister à un concert de musique khmère organisé par Pavie à l'intention de Camille Saint-Saëns. Le jeune homme suit des cours à l'Ecole des langues orientales et rêve de partir en Indochine. Quelques années plus tard, après avoir intégré le ministère des Affaires étrangères, Lefèvre-Pontalis rejoint la mission Pavie en octobre 1889 en qualité d'attaché d'ambassade. Il parle le malais et l'annamite. Pavie lui confie la rédaction du journal de marche. Rapidement « il montre les qualités d'endurance, de courage et de volonté, force de l'explorateur. Disciple convaincu il affronte avec joie les premières fatigues, va nu pieds dans ses marches, supporte sans effort les privations que comporte le séjour dans les contrées sans communications avec les centres d'approvisionnement, et sans transition s'habitue au régime sobre qui s'entend du manque de pain, de viande, de vin, de tous alcools, celui du reste qui permet le mieux à l'Européen de braver le climat.» Pendant vingt mois il accompagne Pavie. De retour en France en juillet 1891, il est attaché à la direction politique du ministère des Affaires étrangères. Il rejoint Pavie en janvier 1894 en tant que commissaire adjoint de la République. Il fait partie de la commission de délimitation de la frontière sino-tonkinoise et de la commission franco-anglaise du haut-Mékong. Au grand regret de Pavie, Lefèvre-Pontalis ne reste pas en Indochine mais poursuit une carrière de diplomate. Il occupe divers postes au Caire, Saint-Pétersbourg, Athènes et Washington et est ministre à Bangkok en 1912.
Malglaive (Joseph de) (1862-1914)
« Un des plus sympathiques officiers qu'il m'a été donné de connaître» (Auguste Pavie)
Joseph de Malglaive entre à Saint-Cyr en 1883. A sa sortie il est nommé sous-lieutenant au 69e régiment d'infanterie à Nancy. Il part pour l'Indochine en 1884. Affecté à Hué auprès du général de Courcy, il se distingue par sa bravoure lors d'une attaque annamite. Il effectue ensuite de nombreux levés topographiques qui lui valent des lettres de félicitations et le mettent en relation avec le capitaine Cupet. En avril 1889, il est affecté au poste de Lao-Kay comme officier de renseignements et parcourt toute la rive gauche du Fleuve rouge jusqu'à Phé-Long. Pavie fait sa connaissance grâce à Cupet et l'affecte au groupe devant explorer les territoires du Kammon et du Tran Ninh à partir de février 1890. Il lui confie par la suite l'exploration du Mékong et la recherche de passages accessibles dans la chaîne annamite.
« En lisant la relation dans laquelle le voyageur raconte avec brio, entrain et une inaltérable bonne humeur ses déboires comme ses succès, on ressentira pour lui la vive sympathie qu'éprouvent tous ceux qui le connaissent. Ses vues sages sur l'organisation militaire et civile des régions visitées méritent qu'on en tienne le plus grand compte, enfin on ne saurait trop souhaiter de voir ceux à qui seront confiées ces populations si diverses les conduire avec la bonté et la modération qu'il conseille. » (Auguste Pavie)
A son retour à Paris de Malglaive est attaché au ministère des Affaires étrangères jusqu'en 1892 pour la rédaction de la carte de la mission. Il est réintégré en 1893 dans l'armée métropolitaine, mais il ne fera pas carrière dans l'armée. Très déçu il écrivait à Pavie à la suite de la publication du volume de la mission dont il était le rédacteur : « Il m'est infiniment précieux que votre main me classe au rang de vos amis et des compagnons que vous avez menés à la conquête pacifique sinon sans peine ni périls des terres laotiennes. »Il meurt au front en septembre 1914.
Massie (Victor-Alphonse) (1854-1892)
Pharmacien-major de l'armée de terre, Massie arrive au Tonkin en 1882. Il séjourne à Sontay et à l'hôpital de Langson. Il entre en 1888 dans la mission Pavie en qualité de naturaliste. En 1889 Massie est affecté à la gestion du poste de Luang Prabang. Rédacteur du journal mensuel du poste, il décrit sa vie au contact des populations, ses excursions dans les environs de la ville où il rassemble de nombreux échantillons d'objets préhistoriques, de coquillages et de minerais. On lui doit un dictionnaire français-laotien. En avril 1892 le prince Henri d'Orléans de passage à Luang Prabang écrit : « On se prive, on boit de l'eau, on vit économiquement au consulat de France ; M. Massie dépense les trois quarts de son traitement et ses économies pour arracher aux Siamois des exilés annamites et obtenir pour eux justice. Vous voyez, dit M. Massie, à quoi j'en suis réduit ; c'est toujours à recommencer. Dans les villages, les drapeaux tricolores portent des queues de poisson en signe de raillerie. J'écris à Bangkok ; j'écris à Paris ; j'entasse rapports sur rapports ; invariablement on me répond : Faites de votre mieux, mais ne risquez rien, surtout pas d'affaires. Pourquoi payer des agents si on leur enlève tout leur pouvoir ? nous ne sommes soutenus que pour l'inaction ; vous savez l'impuissance qu'il y a à faire respecter nos droits ; ce que vous voyez et savez n'est rien auprès de ce qui est ; mais je vais rentrer en France ; nous verrons si la Chambre instruite de ce qui se passe à la frontière de Siam permettra qu'on continue à nous laisser insulter, humilier, bafouer, chasser comme nous le sommes ».
Massie se suicide le 30 novembre 1892 après, semble t-il, une discussion très vive avec l'officier siamois de Khong. Mais il était sans doute au début d'une maladie mentale qui se manifestait par des voix qu'il entendait, des idées de persécution qui le hantaient et une grande irritabilité.
Vacle (Joseph) (1857-1907)
C'est en 1888 que Vacle est attaché à la mission Pavie. A cette époque il est membre de la mission commerciale au Laos. Il parcourt l'ensemble du Laos et se distingue par sa douceur et sa grande connaissance des populations. Il est chargé par le gouverneur de Lanessan de ramener le calme dans la région de Cho-Bo après le massacre du résident Rougery ce qu'il réussit en deux mois. Quelques années après, il se voit confier l'administration de Luang Prabang. Commandant supérieur du haut Laos par interim il signe avec l'anglais Stirling la déclaration du 16 mai 1896 remettant le territoire de Muong Sing à la France conformément à la convention franco-anglaise du 15 janvier 1895. Il prend sa retraite en 1906. Albert de Pouvourville le décrit ainsi en 1888 : « Nous voyons aussi arriver l'original et charmant M. Vacle, en costume de chasseur alpestre, la plume au chapeau, le bâton à la main, effrayant la gent volatile de son aspect inusité. Il s'installe dans son « tub », se fait frictionner à l'instar du hammam, retarde le dîner pour faire sa toilette du soir et finalement se présente en culotte courte de drap gris souris, bas de soie mauve, souliers à boucles, veston pincé dans le dos, le tout négligemment recouvert d'une robe de chambre décolletée en satin rose du Cambodge. Il a un succès de bon aloi. Cette originalité qui ne dépare pas le reste de son caractère n'empêche pas M. Vacle d'être un explorateur hardi et un diplomate avisé et plein de tact». De Lanessan écrit à la mort de Vacle dans « Le Siècle » un article intitulé Un colonial modèle. La description se rapproche de celle de Pouvourville. « Il se présenta dans mon cabinet en culotte courte, chemise à jabot, bas de soie noirs et souliers vernis à boucles d'argent. Petit, un peu bedonnant, tout rasé, frais et gras, toujours souriant et d'une exquise politesse il avait un minuscule éventail dans la main droite, un bracelet d'argent au poignet gauche et paraissait sortir d'un bal du dix-huitième siècle[...]»
Coulgeans (Marc-Daniel Durousseau de) (1856-1903)
En octobre 1877 de Coulgeans entre dans l'administration des postes et télégraphes et part en Indochine. Au moment des troubles du Cambodge il est chargé du bureau de Krauchmar. Il y rencontre Pavie. Attaché à la mission Pavie en 1890, il est installé à Stung Treng comme agent commercial. Il explore la région alentour, écrit son journal, fait une étude très intéressante sur la rivière Se-Sane et ses habitants. Ses journaux évoquent, souvent avec humour, les nombreuses tracasseries que lui cause l'agent siamois en poste. « L'agent siamois se serait cru déshonoré si pendant toute sa visite il n'eut eu une attitude parfaitement grossière et insolente. Aussi n'en manqua t-il pas. » De Coulgeans surveille également de près la tentative de la chaloupe Argus pour passer les chutes de Khône et remonter le Mékong. Au plus fort de la crise franco-siamoise il participe en avril 1893 à la prise de Stung Treng en compagnie du résident Bastard et du capitaine Thoreux. Il sera successivement vice-consul à Korat puis consul à Battambang.
Rivière (Armand-Joseph) (1862-1895)
Sorti de l'Ecole polytechnique en 1882, Rivière demande à partir en Indochine. Il est détaché en 1887 aux Chasseurs annamites à Vinh comme lieutenant. En décembre 1889 il rejoint Pavie comme topographe. Il participe à l'exploration du Kammon et du Tran Ninh avec le groupe de Cupet. « D'une apparence robuste » ainsi que le dit Pavie, « d'un tempérament énergique, d'un caractère gai et plein d'entrain », Rivière souffre de nombreux accès de dysenterie qui l'affaiblissent. Après avoir travaillé à Hanoï à la carte d'ensemble de la mission, il rentre en France en juillet 1891 ; réintégré à son régiment, il est attaché au service géographique de l'armée. En octobre 1894 sur sa demande il rejoint la mission Pavie. Il participe à la commission de délimitation des frontières avec l'Angleterre. A nouveau malade fin février 1895, il est ramené à Luang Prabang. Le 29 avril il s'embarque sur le Mékong à destination du Cambodge et succombe le 21 mai à Savannakek.
Autres explorateurs
Yersin
Alexandre Yersin, né suisse, se fait naturaliser français en 1888. Après des études de médecine, il entre au laboratoire de la rue d'Ulm, futur institut Pasteur. Il prend part aux travaux d'Emile Roux sur la diphtérie, et à la rédaction des mémoires sur le bacille diphtérique et sa toxine. En 1890 il s'embarque pour l'Indochine en tant que médecin des Messageries maritimes. Yersin souhaite explorer le pays « moï » c'est-à-dire la région des hauts plateaux de l'intérieur du centre et sud de l'actuel Annam. Il part de la côte d'Annam vers Bien-Hoa et le plateau de Lang Bian. Il parcourt près de 500 km de mars à juin 1892. Fasciné par cette vie d'exploration, Yersin incorpore les Troupes de la marine et devient médecin des colonies. Sur les conseils du capitaine Cupet, il parcourt la région entre la côte et le Mékong. Il obtient à son retour une nouvelle mission du ministère de l'Instruction publique afin d'approfondir l'exploration de son précédent voyage dans le sud de l'Annam vers la rivière Donnaï. En décembre 1893, il rencontre Pavie à Saïgon au moment où s'organisent les différentes missions de délimitation des frontières avec l'Angleterre et la Chine. Mais Yersin souhaite rester indépendant et refuse de suivre Pavie.
Yersin va cotoyer les Moïs Bihs et les Penongs. Il livre quelques descriptions vestimentaires et coutumières, fait des photos. Comme beaucoup de ses contemporains, il se contente de décrire et reste persuadé de la supériorité de l'Européen. « Ils comprennent notre supériorité et désirent notre présence parmi eux. D'ailleurs c'est un peuple essentiellement sauvage qui n'a pas d'écriture donc pas de traditions. Ils ne connaissent même pas les divisions du temps. »
A la demande de l'Institut Pasteur et du gouvernement français il se rend à Hongkong en 1894 où une grave épidémie de peste s'est déclarée. Il découvre alors le bacille responsable de la maladie. De retour en France en 1895 il met au point avec Emile Roux, André Borrel et Albert Calmette un sérum anti-pesteux. Yersin retourne en Indochine et s'installe à Nha-Trang fondant un laboratoire pour étudier les maladies humaines et les épizooties locales. Il s'intéresse aussi à l'agronomie tropicale et parvient à acclimater l'arbre à caoutchouc et l'arbre à quinquina. Il meurt à Nha-Trang en 1943.
Trumelet-Faber
Fils adoptif d'un militaire qui a effectué toute sa carrière en Algérie, Trumelet-Faber s'embarque en décembre 1888 pour servir au 4e bataillon de tirailleurs annamites à Hué. En 1890 il passe au 3e régiment de tirailleurs tonkinois puis devient chef de bataillon. C'est à Hanoï qu'il rencontre Pavie en 1890. Il quitte Tourane avec huit miliciens annamites, deux interprètes et seize coolies pour explorer l'arrière pays annamite. L'objectif du voyage est de découvrir une communication transversale entre les deux parties de l'Indochine française et d'observer aussi la pénétration des Siamois en Annam. Trumelet-Faber parcourt d'avril à août 1891, 650 km et lève 400 km d'itinéraires en pays inconnu, à la rencontre de populations, qui aux yeux des Européens sont des sauvages.
Trumelet-Faber décrit les Moï, leurs habitudes vestimentaires, leur caractère, leur mode de vie, abordant également le problème du langage, de l'écriture, des superstitions et de la musique. Trumelet-Faber raconte les conditions de son voyage : la marche ou le voyage à dos d'éléphants, l'arrêt dans les cases communes des villages ou les bivouacs en pleine nature, le manque de nourriture, la faune, l'hostilité des populations. Il écrit mais photographie également gens et paysages. Les albums réalisés sont intitulés : « An-Nam-Ton-king région des sauvages de la rive du Mékong », Tong-King Hanoï Rivière noire Frontière chinoise vers Lang-Son et « de Tourane au bassin du Mékong. Exploration des régions de l'Indochine française entre le 15° et le 17° de latitude nord ». Il n'oublie pas l'aspect politique de sa mission en remettant aux villageois les couleurs de la France au bout d'une hampe : « Peuples de la montagne ! à partir d'aujourd'hui vous êtes entrés dans la grande famille française et ce pavillon est le vôtre. C'est pour vous le confier que le chef de mon peuple m'a envoyé parmi vous. Conservez-le avec soin, car tant que vous le garderez, tant que vous l'entourerez de respect, tant que vous le défendrez contre quiconque voudra le prendre, le bonheur sera au milieu de vous.»
C'est au terme de cinquante ans d'études et d'expéditions à travers l'Indochine que le Français Auguste Pavie (1847-1925) coordonne la réalisation de cette carte : Indo-Chine : carte de la mission Pavie. et l'offre en 1922 au Prince Roland Bonaparte (1858-1924), président en exercice de la Société de géographie de Paris. Père de l'Indochine française, Auguste Pavie sert dans l'infanterie de Marine en Cochinchine dès 1868, avant d'être envoyé au Cambodge en 1875 puis dans les principautés laotiennes en 1885. En lutte permanente contre les influences siamoise à l'Ouest et chinoise au Nord, il s'entoure très tôt de nombreux collaborateurs civils et militaires dans tous les domaines scientifiques. Pluridisciplinaire, la Mission Pavie a pour but la reconnaissance de ces territoires en vue de la délimitation des frontières entre Indochine française, Siam, Chine et Birmanie. Document de synthèse, cette carte retrace plusieurs décennies d'expéditions françaises dans ces régions depuis la première remontée du Mékong en 1863 par Ernest Doudart de Lagrée (1823-1868) jusqu'aux récents travaux du nouveau Service géographique de l'Indochine créé en 1899
TRAITÉ HARMAND. — Préliminaires de paix entre la France et l'Annam, signé à Hué le 25 août 1883
(traité de protectorat de l'Annam et du Tonkin)
Entre les soussignés,
D'une part,
J.-T. Harmand, commissaire général et plénipotentiaire de la République française, agissant au nom de la France,
Assisté de :
MM. Palasme de Champeaux, administrateur principal des affaires indigènes de Cochinchine, ex-chargé d'affaires de France à Hué;
Ory, chef de cabinet du commissaire général ; de la Bas- tide, capitaine du génie, aide de camp du commissaire général ;
Masse, administrateur des affaires indigènes de Cochin- chine ;
Ilaïtce, interprète du gouvernement français en Chine, secrétaire particulier du commissaire général;
D'autre part,
Leurs excellences Tran Dinh Tuc, premier plénipoten- tiaire (Hiep Bien Dai Hoc Si), grand censeur;
Nguyen Trong Hiep, deuxième plénipotentiaire (Lai Bo Thuong Tho) ministre de l'Intérieur et des Affaires étran- gères de S. M. le roi d'Annam, agissant au nom du gouver- nement annamite,
Assistés de :
Huinh Huu Thuong (Song Bien Noi Cac), membre du Conseil privé,
Il a été convenu ce qui suit :
ARTICLE PREMIER. — L'Annam reconnaît et accepte le protectorat de la France avec les conséquences de ce mode de rapports au point de vue du droit diplomatique européen, c'est-à-dire que la France présidera aux relations de toutes les puissances étrangères, y compris la Chine, avec le gou- vernement annamite, qui ne pourra communiquer diplomati- quement avec lesdites puissances que par l'intermédiaire de la France seulement.
ART. 2. — La province de Binh Thuan est annexée aux possessions françaises de la basse Cochinchine.
ART 3. — Une force militaire française occupera d'une façon permanente la chaîne des montagnes de Deo Ngang, qui aboutit au cap Vung Chua ainsi que les forts de Thuan An et ceux de l'entrée de la rivière de Hué, qui seront construits au gré des autorités françaises.
ART. 4. — Le gouvernement annamite rappellera immédiatement les troupes envoyées au Tonkin, dont les garnisons seront remises sur le pied de la paix.
ART. 5. — Le gouvernement annamite donnera l'ordre aux mandarins du Tonkin d'aller reprendre leurs postes, nom- mera de nouveaux fonctionnaires aux postes vacants et confirmera éventuellement, après entente commune, les nominations faites par les autorités françaises.
ART. 6 — Les fonctionnaires provinciaux, depuis la frontière nord du Binh Thuan jusqu'à celle du Tonkin, et par cette dernière nous entendons la chaîne Deo Ngang, qui servira de limite, administreront comme par le passé, sans aucun contrôle de la France, sauf en ce qui concerne les douanes ou bien les travaux publics, et. en général, tout ce qui exige une direction unique et la compétence des techni- ciens européens.
ART. 7. — Dans les limites ci-dessus, le gouvernement annamite déclarera ouvert au commerce de toutes les nations, outre le port de Qui Nhon, ceux de Tourane et de Xuan Day. On discutera ultérieurement s'il n'est pas avantageux aux deux États d'en ouvrir d'autres, et l'on fixera également les limites des concessions françaises dans les ports ouverts. La France y entretiendra des agents sous les ordres du résident de France à Hué.
ART. 8. — La France pourra élever un phare soit au cap Varela, soit au cap Padaran ou à Poulo Cécir de mer, suivant les conclusions d'un rapport qui sera fait par les officiers et les ingénieurs français.
ART. 9. — Le gouvernement de S. M. le roi d'Annam s'engage à réparer, à frais communs, et après entente entre les deux hautes parties contractantes, la grande route d'Hanoï à Saïgon et à l'entretenir en bon état, de façon a y permettre le passage des voitures. La France fournira des ingénieurs pour faire exécuter les travaux d'art tels que ponts et tunnels.
ART. 10. — Une ligne télégraphique sera établie sur ce trajet et exploitée par des employés français. Une partie des taxes sera attribuée au gouvernement annamite qui concédera en outre, le terrain nécessaire aux stations.
ART. 11. — Il y aura à Hué un résident, fonctionnaire d'un rang très élevé. Il ne s'immiscera pas dans les affaires intérieures de la province de Hué, mais il sera le représentant du protectorat français, sous le contrôle du commissaire général délégué par le gouvernement de la République française, lequel présidera aux relations extérieures du royaume d'Annam, mais pourra déléguer son autorité et tout ou partie de ses pouvoirs au résident de Hué.
Le résident de France à Hué aura droit d'audience privée et personnelle auprès de S. M. le Roi d'Annam, qui ne pourra se refuser de le recevoir sans motif valable.
ART. 12. — Au Tonkin, il y aura un résident à Hanoï, un à Hai Phong, un dans les villes maritimes qui pourraient ultérieurement se fonder, un au chef-lieu de chaque grande province. Aussitôt que le besoin s'en fera sentir, les chefs- lieux des provinces secondaires recevront aussi des fonctionnaires français, qui seront placés sous l'autorité des résidents de la grande province de laquelle ils relèvent suivant les systèmes des divisions administratives du pays.
ART. 13. — Les résidents ou les résidents adjoints seront assistés des aides et collaborateurs qui leur seront nécessaires, et protégés par une garnison française ou indigène suffisante pour assurer leur pleine sécurité.
ART. 14. — Les résidents éviteront de s'occuper des détails de l'administration intérieure des provinces. Les man-
darins indigènes de toute catégorie continueront à gouverner et à administrer sous leur contrôle ; mais ils pourront être changés sur la demande des autorités françaises, s'ils manifestaient de mauvaises dispositions à leur égard.
ART. 15. — C'est par l'intermédiaire des résidents seuls que les fonctionnaires et employés français de toute catégorie appartenant aux services généraux, tels que postes et télégraphes, trésor, douanes, travaux publics, écoles françaises..., etc.. pourront avoir des rapports officiels avec les autorités annamites.
ART. 16. — Les résidents rendront la justice dans toutes les affaires civiles, correctionnelles et commerciales entre les Européens de toutes les nationalités et les indigènes, entre ceux-ci et les Asiatiques étrangers qui voudront jouir des avantages de la protection française.
Les appels des jugements des résidents seront portés à Saïgon.
ART. 17. — Les résidents contrôleront la police dans les agglomérations urbaines, et leur droit de contrôle sur les fonc- tionnaires indigènes s'étendra suivant le développement des dites agglomérations.
ART. 18. — Les résidents centraliseront avec le concours du Quan Bo le service des impôts, dont ils surveilleront la perception et l'emploi.
ART. 19. — Les douanes, réorganisées, seront entière- ment confiées à des administrateurs français. Il n'y aura que des douanes maritimes et frontières, placées partout où le besoin se fera sentir. Aucune réclamation ne sera admise relativement aux douanes pour les mesures prises par les autorités militaires au Tonkin.
ART. 20. — Les citoyens ou sujets français jouiront, dans toute l'étendue du Tonkin et dans les ports ouverts de l'Annam, d'une entière liberté pour leurs personnes et pour leurs propriétés. Au Tonkin et dans les limites des ports ouverts de l'Annam, ils pourront circuler, s'établir et posséder librement. Il en sera de même de tous les étrangers qui réclament le bénéfice de la protection française d'une façon permanente ou temporaire.
ART. 21. — Les personnes qui, pour des motifs d'ordre scientifique ou autres, voudront voyager dans l'intérieur de l'Annam, ne pourront en obtenir l'autorisation que par l'intermédiaire du résident de France à Hué, du gouverneur de la Cochinchine ou du commissaire général de la République
au Tonkin. Ces autorités leur délivreront des passe-ports, qui seront présentés au visa du gouvernement annamite.
ART. 22. — La France entretiendra, tant que cette précaution lui paraîtra nécessaire, des postes militaires le long du fleuve Rouge, de façon à en garantir la libre circulation. Elle pourra également élever des fortifications permanentes où elle le jugera utile.
ART. 23. — La France s'engage à garantir désormais l'intégrité complète des Etats de S. M. le roi d'Annam, à défendre ce souverain contre toutes les aggressions du dehors et contre toutes les rébellions du dedans et à soutenir ses justes reven dications contre les étrangers.
La France se charge à elle seule de chasser du Tonkin les bandes connues sous le nom de Pavillons noirs, et d'assurer par ses moyens la sécurité et la liberté du fleuve Rouge.
S. M. le roi d'Annam continue comme par le passé à diriger l'administration intérieure de ses Etats, sauf les restrictions qui résultent de la présente convention.
ART. 24. — La France s'engage également à fournir à S. M. le roi d'Annam tous les instructeurs, ingénieurs, savants, officiers, etc., dont elle aura besoin.
ART. 25. — La France considérera en tous lieux, au dedans comme au dehors, tous les Annamites comme ses vrais pro- tégés.
ART. 26. — Les dettes actuelles de l'Annam vis-à-vis de la France sont considérées comme acquittées par le fait de la cession du Binh Thuan.
ART. 27. — Des conférences ultérieures fixeront la quotité à attribuer au gouvernement annamite sur le produit des douanes, des taxes télégraphiques, etc., du royaume, des impôts et des douanes du Tonkin et des monopoles ou entre- prises industrielles qui seront concédés au Tonkin.
Les sommes prélevées sur ces recettes ne pourront pas être inférieures à 2 millions de francs.
La piastre mexicaine et les monnaies d'argent de la Cochin- chine française auront cours forcé dans toute l'étendue du royaume concurremment avec les monnaies nationales annamites.
La présente convention sera soumise à l'approbation du président de la République française et de S. M. le roi d'Annam et les ratifications en seront échangées aussitôt que possible.
La France et l'Annam nommeront alors des plénipotentiaires qui se réuniront à Hué pour examiner et régler tous les points de détail.
Les plénipotentiaires nommés par le président de la Répu- blique française et S. M. le roi d'Annam étudieront, dans une conférence, le régime commercial le plus avantageux aux deux Etats, ainsi que le règlement du système douanier sur les bases indiquées à l'article 19 ci-dessus. Ils étudieront aussi toutes les questions relatives aux monopoles du Tonkin, aux concessions de mines, de forêts, de salines et d'indus- tries généralement quelconques.
Fait à Hué, en la légation de France.
Le 25e jour du mois d'août 1883 (23e jour du 7e mois anna- mite).
TRAN DINH TUC, NGUYEN TRONG HIEP.
HARMAND, PALASME DE CHAMPEAUX.
Paul BEAU (1857 - 1926) Rôle : Gouverneur Général d'Indochine, Homme de loi puis diplomate. Sa vie : De 1902 à 1908, il est nommé Gouverneur Général d'Indochine. Il est le défenseur d'une politique d'association. Il lance des réformes dans le domaine de l'éducation, dont l'ouverture de l'Université de Hanoi et l'établissement des assemblées consultatives dans les protectorats d'Annam et du Tonkin. Cette période est marquée par des émeutes de paysans au Centre et par une montée de l'anti-colonialisme parmi les intellectuels.
|
Paul DOUMER (1857 - 1932) Rôle : Membre du Parti Radical et ex-Ministre des Finances. Sa vie : Né à Aurillac en 1857. En 1897, Paul Doumer est nommé Gouverneur Général de la nouvelle Union Indochinoise. Il joue un grand rôle dans le "fleshing out le" concept de l'Union en lui fournissant une source stable de revenus dans les monopoles d'état sur le sel, l'alcool, l'opium et en mettant en place des bureaux administratifs centraux dans des domaines clés (l'agriculture, les affaires civiles, les postes, les travaux publics). En 1902, il démissionne de son poste. il devient président du Sénat en 1923 puis de la de la République en 1931. En 1932, il est assassiné par un exalté russe, Gorgulov qui fut guillotiné.
d'ARGENLIEU Thierry (1889 à 1964) Rôle : Officier de la Marine. Sa vie : Pendant la première guerre mondiale, il devient moine "Carmelite" avec un haut poste. Pendant la seconde guerre mondiale, il retourne dans la Marine dans les forces Françaises Libres, où il est nommé amiral. En août 1945, il est nommé Haut Commissaire d'Indochine. Sa volonté est de restaurer la souveraineté Française sur l'ensemble de l'Indochine. Au printemps 1946, il favorise la séparation entre les résidents Français et les Vietnamiens pro-Français en Cochinchine dans le but d'éviter un référendum "Ho-Sainteny". En juin 1946, il annonce la création de la République de Cochinchine. En août 1946, il sabote les négociations de Fontainebleau en prévoyant une seconde conférence de Dalat. Le 24 février 1946, il est rappelé à Paris et remplacé par Emile Bollaert.
|